5e dimanche de Carême

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (XII 20-33).

Parmi les Grecs[1] qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu durant la Pâque, quelques-uns abordèrent Philippe[2], qui était de Bethsaïde en Galilée. Ils lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus[3]. » Philippe alla le dire à André ; et tous deux vinrent le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclara : « L'heure est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié[4]. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas[5], il reste seul[6] ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit[7]. Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s'en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle[8]. Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. Maintenant je suis bouleversé[9]. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l'entendant, la foule qui se tenait là disait que c'était un coup de tonnerre ; d'autres disaient : « C'est un ange qui lui a parlé[10]. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, c'est pour vous. Voici maintenant que ce monde est jugé ; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Probablement que ces grecs étaient des païens de langue grecque qui, sans se soumettre aux pratiques distinctives du judaïsme, acceptaient sa croyance au Dieu unique, se pliaient à certaines exigences morales et, pour certains d’entre eux, gardaient le repos du sabbat et certaines prescriptions alimentaires ; les écrivains du Nouveau Testament leur donnent souvent le nom de craignants Dieu ou de pieux ; ceux dont il est ici question viennent en pélerinage à Jérusalem pour la Pâque. Ayant aperçu Jésus et l'ayant entendu parler, ces étrangers bien intentionnés veulent le rencontrer.

[2] Ils s'adressent à Philippe qui, comme saint Pierre et saint André, était originaire de Bethsaïde-Julias, dans la tétrarchie de Hérode Philippe, au nord-est du lac de Tibériade, sur la rive orientale du Jourdain, région où, plus que dans le reste de la Palestine, on était ouvert à la culture étrangère parce que plus fréquentée par des Gentils. Le nom grec de Philippe dit assez que l'Apôtre avait des accointances avec le monde hellénistique.

Saint Clément d'Alexandrie, se réclamant d’une tradition ancienne, identifie Philippe au jeune homme qui demanda la permission d'aller enterrer son père avant de le suivre et à qui Jésus répond de laisser les morts ensevelir les morts.

Selon l'évangile selon saint Jean, on peut supposer qu'il fut d'abord un disciple de saint Jean-Baptiste avant d'être appelé par le Seigneur à qui il conduit Nathanaël ou Barthélemy (Evangile selon saint Jean I 43-51). C'est à lui que Jésus s'adresse avant la première multiplication des pains (Evangile selon saint Jean VI 5-7). Enfin, pendant la Cène, il demande à Jésus de montrer le Père (Evangile selon saint Jean XIV 7-12).

La tradition nous apprend qu'il alla prêcher chez les Scythes et qu'il mourut très vieux à Hiérapolis (Phrygie) où, selon Eusèbe qui cite Polycrate, il fut enterré. Clément d'Alexandrie prétend qu'il mourut de mort naturelle alors que d'autres disent qu'il fut martyrisé sous Domitien ou sous Trajan (lapidé puis crucifié). Il est généralement représenté jeune, à l’instar de saint Thomas ; il porte souvent la croix de son supplice et, parfois, il porte des pains qui rappellent son rôle de la multiplication des pains. Parce qu’il est natif de Bethsaïde, on l’associe à André.

Les plus importantes reliques du corps de saint Philippe sont à Rome, avec celles de saint Jacques le Mineur, dans la crypte de la basilique des Saints-Apôtres.

L'abbaye Saint-Maur-des-Fossés possédait dans son trésor une partie du chef de saint Philippe rapportée de Constantinople vers 1245, comme l'attestait un acte conservé dans les archives. D'autre part, le duc Jean de Berry, oncle du roi Charles VI, avait donné aux chanoines de Notre-Dame de Paris une relique du chef de saint Philippe. Etant malade dans son hôtel de Nesle, il demanda que cette relique lui fût apportée en procession, le premier mai, par les chanoines revêtus de chapes de soie, tenant chacun un rameau de bois vert et l'église semée d'herbe verte.

[3] Les Gentils viennent voir Jésus pendant que les Juifs veulent le tuer. Toutefois, il y avait là des Juifs qui au jour de son entrée triomphale chantaient : Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur ! Béni soit le roi d'Israël ! Ainsi de la Circoncision et de la Gentilité on s'unissait comme deux murailles qui se rejoignent, dans la paix et dans une foi commune au Christ (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium LI 1).

[4] Oui, il était temps, puisque les Juifs le repoussaient, de détruire toutes les barrières qu'il s'était imposées à lui-même (saint Jean Chrysostome : homélie LXVI sur l'évangile selon saint Jean, 2).

A cette approche des gentils qui voulaient le voir, Jésus arrête aussitôt sa pensée sur la vocation des gentils qui devait être le fruit de sa mort. Ces grandes prophéties où les nations lui sont données comme son héritage et sa possession, lui sont présentes : dans le petit il voit le grand. Ce que les Mages avaient commencé dès sa naissance, qui était la conversion des gentils en leurs personnes, ceux-ci le continuent, et le figurent encore vers le temps de sa mort : et le Sauveur voyant concourir dans les gentils le désir de le voir avec celui de le perdre dans les Juifs, voit en même temps dans cet essai, commencer le grand mystère de la vocation des uns, par l'aveuglement et la réprobation des autres. C’est ce qui lui fait dire : « L'heure est venue, que le Fils de l'homme va être glorifié. » Les gentils vont venir, et son royaume va s'étendre par toute la terre. Il voit plus loin ; et il voit, selon les anciennes prophéties, que c'était par sa mort qu'il devait acquérir ce nouveau peuple, et cette nombreuse postérité qui lui était promise (J.-B. Bossuet : « Méditations sur l’Evangile », dernière semaine, 10° jour).

[5] Il serait mis à mort par l'infidélité des Juifs, mais il se multiplierait par la foi de peuples nombreux (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium LI 9).

[6] Ainsi s'est-il offert pour nous à son Père, à la manière d'une gerbe et comme les prémices de la terre. Car l'épi de blé, comme nous-mêmes d'ailleurs, ne peut être considéré isolément. Nous le voyons dans une gerbe, formée de nombreux épis d'une seule brassée. Car le Christ Jésus est unique, mais il nous apparaît et il est réellement comme constituant une brassée, en ce sens qu'il contient en lui tous les croyants, évidemment dans une union spirituelle. Sans cela, comment saint Paul pourrait-il écrire : « Avec lui il nous a ressuscités, avec lui il nous a fait régner aux cieux » (Ephésiens, II 6-7) ? En effet, puisqu'il est constitué par nous, nous ne faisons qu'un seul corps avec lui (Ephésiens, III 6) et nous avons acquis par la chair l'union avec lui (saint Cyrille d’Alexandrie : commentaire du livre des Nombres, II).

[7] Ce n'est pas seulement une consolation qu'il donne aux siens pour sa mort prochaine ; c'est aussi une invitation qu'il leur fait d'y prendre part. Je ne veux pas seulement que vous sachiez supporter ma mort, je veux que, pour en avoir tous les gains, vous sachiez vous y associer (saint Jean Chrysostome : homélie LXVII sur l'évangile selon saint Jean, 1).

[8] Oui, c'est une chose douloureuse de sacrifier ce que l'on aime. Cependant le laboureur fait cela. Il répand, il enfouit ce blé qu'il aime. Il le fait dans l'espérance de la moisson (...) Il n'est personne qui ne s'aime soi-même (...) Il y a un amour de soi qui est mauvais. Saint Paul, parlant des périls des derniers temps, écrivait : Il y aura des hommes qui s'aimeront eux-mêmes. Et comment s'aimeront-ils ? Ils aimeront l'argent, dit-il. En s'aimant eux-mêmes ils ont aimé une chose qui était hors d'eux-mêmes ; et ils se sont éloignés de leur conscience qui était au-dedans d'eux-mêmes ; ils se sont éloignés de Dieu qui, lui aussi, était intime à leur âme. Et en s'aimant ainsi ils se sont perdus. Voulez-vous vous sauver ? Revenez à vous-mêmes en vous déprenant des choses extérieures ; mais ne demeurez pas en vous, sortez de vous-mêmes pour vous remettre entre les mains de celui qui vous a faits. Faites ce qu'on fait les martyrs : ils ont méprisé, foulé aux pieds, tout ce qui était au dehors d'eux, les plaisirs, les erreurs, les craintes. Rentrant en eux-mêmes, il se sont déplus à eux-mêmes, et ils sont allés en celui en qui ils devaient trouver la vie véritable, la perfection véritable, afin d'y détruire cette racine qui les faisait vivre en eux-mêmes, et d'y faire vivre ce qu'il y avait créé.(saint Augustin : sermon CCCLXXX 2 & 3).

Celui qui obéit à ses convoitises, qui cherche son plaisir, qui s'écoute, celui-là perdra son âme ; car en agissant ainsi il s'éloignera de la voie de la vertu. Il faut donc ne pas s'écouter ; et le Sauveur ne parle pas seulement de ne pas s'écouter, il réclame une véritable haine. De même que nous ne pouvons pas voir, entendre ceux qui nous sont odieux, ainsi devons-nous détester de nous trouver en face du moi et de ses convoitises quand elles lui sont personnelles (saint Jean Chrysostome : homélie LXVII sur l'évangile selon saint Jean, 1).

[9] Il nous voit fatigués, abattus, et il veut nous transfigurer en lui. Il ne veut pas que quand l’un de ses membres arrivera à son dernier jour et se sentira troublé par la crainte de la mort, il puisse se dire qu’il n’appartient pas au Christ, dans la pensée que le Christ n’a point connu ce genre de troubles et des tristesses. Pour leur épargner ces pensées de désespoir, il a recueilli en lui ses membres infirmes, comme la poule recueille ses poussins ; et il dit en leur nom : « Et maintenant mon âme est troublée. » Et il leur dit en eux-mêmes : Reconnaissez-vous en moi, et quand vous vous sentez troublés ne désespérez point ; ramenez votre regard à celui qui est vote chef ; et souvenez-vous que quand il disait : « mon âme est troublée », c’est vous qui étiez en lui, c’est en votre nom qu’il parlait (saint Augustin : sermon CCCV).

[10] Le contenu du message n’est perçu que par Jésus et, peut-être aussi par ses disciples. Quant à elle, la foule n’entend qu’un bruit confus et mystérieux, comme un coup de tonnerre ; notons au passage que le coup de tonnerre est parfois regardé comme la voix de Dieu (Exode, IX 28 ; II Samuel, XXII 14 ; Psaume XXIX 3 ; Job, XXXVII 5). Certains comprennent que Jésus a reçu un message plus précis, et ils imaginent une communication angélique. Mais personne, dans la foule, ne discerne des sons articulés. Les compagnons de saint Paul éprouveront quelque chose de semblable au moment de sa conversion sur le chemin de Damas (Actes des Apôtres, IX 7 & XXII 9).