16e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Matthieu (XIII 24-43).

Jésus proposa cette parabole[1] à la foule : « Le Royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l'ivraie[2] au milieu du blé et s'en alla. Quand la tige poussa et produisit l'épi, alors l'ivraie apparut aussi.

Les serviteurs du maître vinrent lui dire : ‘ Seigneur, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?  Il leur dit : ‘ C'est un ennemi qui a fait cela.  Les serviteurs lui dirent : ‘ Alors, veux-tu que nous allions l'enlever ? ’ [3] Il répondit : ‘ Non, de peur qu'en enlevant l'ivraie vous n'arrachiez le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d'abord l'ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, rentrez-le dans mon grenier.’ [4]

Jésus leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de sènevé[5] qu'un homme a semée dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches[6]. »

Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain[7] qu'une femme[8] enfouit dans trois grandes mesures de farine[9], jusqu'à ce que toute la pâte ait levé[10]. »

Tout cela, Jésus le dit à la foule en paraboles et il ne leur disait rien sans employer de paraboles[11], accomplissant ainsi la parole du prophète : « C'est en paraboles que je parlerai, je proclamerai des choses cachées depuis les origines. »

Alors, laissant la foule, il vint à la maison. Ses disciples s'approchèrent et lui dirent : « Explique-nous clairement la parabole de l'ivraie dans le champ[13]. » Il leur répondit[14] : « Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme ; le champ, c'est le monde[15] ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; l'ivraie, ce sont les fils du Mauvais[16]. L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable[17] ; la moisson, c'est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l'on enlève l'ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde[18]. Le Fils de l'homme enverra ses anges et ils enlèveront de son Royaume tous ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal ; et ils les jetteront dans la fournaise[19] : là il y aura des pleurs et des grincements de dents[20]. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Celui qui a des oreilles, qu'il entende[21] ! »


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Le mot parabole traduit l'hébreu « Mashal » recouvre des sens variés, depuis la sentence jusqu'à la comparaison. La parabole est une comparaison concrète destinée à faire comprendre un enseignenent abstrait. Elle se rapporte à un genre littéraire déjà nettement fixé au premier siècle de notre ère : la littérature rabbinique en contient de nombreuses qui sont en étroit rapport avec les paraboles évangéliques. Une étude attentive montre que l'on peut y découvrir la pensée de Jésus et souvent ses propres expressions. Dans la parabole, Jésus est original, tout en demeurant fidèle au genre littéraire ; le message qu'on y trouve est celui de l'Evangile.

[2] Dans l'Ecriture, l'ivraie est un nom collectif qui désigne toutes les plantes nuisibles à l'agriculture, singulièrement les épines et les ronces dont Jésus parlait dans la parabole du semeur. Il s'agit peut-être ici de l'ivraie enivrante (lolium temulentum) dont les épis sont assez semblables à ceux du blé.

[3] Cependant ils ne mettent pas aveuglément leur dessein à exécution ; ils ne s’en reconnaissent pas le droit, ils attendent l'ordre du Maître : « Le veux-tu ? » lui demandent-ils (saint Jean Chrysostome : homélie XLVI sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[4] Que répond alors le Maître ? I1 s'y oppose en disant : « Vous risqueriez, en ramassant l'ivraie d'arracher en même temps le blé. » Il les en empêche pour deux raisons : la première, la crainte de nuire au blé ; la seconde, la certitude qu’un châtiment inevitable s'abattra sur ceux qui sont atteints de cette maladie mortelle. Si l'on veut leur punition sans que la moisson en souffre, attendons le moment convenable (saint Jean Chrysostome : homélie XLVI sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[5] Le sénevé est une plante de la famille des crucifères, pouvant atteindre deux mètres de haut, et dont les graines servent à faire la moutarde. Celles-ci étant toutes petites, Jésus les a utilisées dans plusieurs paraboles du Royaume (évangile selon saint Matthieu, XIII 31-32 ; évangile selon saint Marc, IV 30-32 ; évangile selon saint Luc, XIII 18-19) : à la disproportion entre la graine et la tige répond celle qui existe entre la naissance et le développement du Royaume.

[6] Il a voulu être broyé et c’est alors que l'on a connu la vertu et la flamme qui étaient en lui (...) Mais, auparavant, il a voulu être semé, comme le grain de sénevé qu’un homme sème dans son jardin. C’est dans un jardin qu’il a été pris, dans un jardin qu'il a été enseveli ; et c’est dans un jardin que, par sa résurrection, il a pris son accroissement prodigieux. Et maintenant l’Ecriture peut dire : « Comme le pommier s’élève au milieu des arbres de la forêt, ainsi mon frère est grand au milieu des hommes (Cantique des cantiques, II 3) » Il ne paraissait qu’un grain quand on se saisit de lui, c’est un arbre quand il ressuscite, un arbre qui couvre la terre de son ombre. Il ne paraît qu'un grain quand on l’ensevelit en terre, il est un arbre quand il s’élève au ciel. Il est à la fois grain de froment car il fortifie le cœur de l'homme, et grain de sénevé car il enfamme la bouche de l’homme. Il se fait sentir à nous avec une saveur âcre quand nous le contemplons dans sa passion, dans son jeûne et ses mortifications, dans ses larmes et sa flagellation ; et cette vue nous incite à pleurer. Il fut réellement la plus petite de toutes les semences. « Nous l’avons vu et il n’avait plus aucune beauté ; il était le dernier des hommes. » Voulez-vous voir comment il est devenu le plus grand de tous les arbres ? « Il est le plus beau des enfants des hommes. » Celui qui n’avait plus aucune beauté a été mis au-dessus des anges, au-dessus des prophètes. Le Christ est un germe, il est le germe d’Abraham : « c’est à ce germe, dit saint Paul, que les promesses ont été faites (épître de saint Paul aux Galates, III 16). » Il est 1e plus petit de tous les germes, car il est venu, mais non dans la puissance royale, non dans la richesse, non dans la sagesse de ce monde ; et bientôt il a épanoui dans tout l’univers son feuillage splendide. En sorte que nous pouvons dire : « Je me suis reposé à l’ombre de celui que je désirais. » Sur cet arbre viennent se reposer avec amour les anges des cieux et tous ceux qui, par leurs actions spirituelles, savent prendre leur vol dans les hauteurs. Saint Jean s'y reposait quand il reposait sa tête sur la poitrine du Sauveur ; et même il est devenu comme une branche de cet arbre ; Pierre en était aussi une branche, Paul une autre branche qui, animee de sa sève croissait, croissait toujours (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 180-185).

[7] Le levain est un élément qui vient se joindre à la farine. Jésus, en tant qu’il était de la même nature que ses pères, pouvait se comparer au grain de blé : mais ayant ajouté à cette nature humaine la nature divine, il devient un ferment à l'égard de celle-là. Déjà il est partout dans la loi ancienne, il est partout mais caché ; il est révélé par les prophètes, et il commence à se manifester dans l'Evangile : c'est lui qui ramène tout à l'unité (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 187-188).

[8] Cette femme qui mêle le ferment divin à la masse de l’humanité c’est la Vierge Marie ; comme la mort était venue par Eve, la vie vient à tous par Marie (saint Pierre Chrysologue : sermon XCIX).

Cette femme c’est aussi l’Eglise qui doit faire pénétrer Jésus au-dedans de notre âme jusqu’à ce que la chaleur de la sagesse céleste remplisse les parties les plus secrètes de notre cœur (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 187).

[9] Le levain fait fermenter la masse, quand on l'approche de Ia farine, mieux encore, quand on l'y mêle complètement. Aussi le Sauveur ne dit-il pas que la femme a placé le levain, mais qu'elle l’a enfoui dans la farine. De même, vous aussi, lorsque vous vous mêlerez, lorsque vous vous unirez étroitement à vos adversaires, vous en viendrez à bout. Le levain, tout en disparaissant dans la masse, n'y perd pas sa force ; au contraire, il la communique peu à peu ; il en sera de même pour le message évangelique. C'est le Christ seul qui donne au levain sa puissance : il a mêlé à la multitude ceux qui avaient foi en lui, pour que nous nous communiquions les uns aux autres nos connaissances. Qu'on ne lui reproche donc pas le petit nombre de ces disciples, car la puissance du message est grande, et quand la masse a fermenté, elle devient levain elle-même, à son tour, pour le reste (saint Jean Chrysostome : homélie XLVI sur l'évangile selon saint Matthieu, 2-3).

[10] Dans cette pâte travaillée par l’Eglise il y a maintenant la science divine ; ce levain transforme les pensées, il soulève les âmes, il excite les génies, il élève, il dilate, il met tout en progrès (saint Pierre Chrysologue : sermon XCIX).

[11] Il nous révèle le monde céleste par des exemples pris de la terre, et par des choses du présent il nous révèle l’avenir (saint Pierre Chrysologue : sermon XLVII).

Et il y a dans cette exposition de la vérite par le moyen de l’allégorie, quelque chose qui porte à l'amour, plus que si elle nous était exposée dans sa nudité. Quelle en est la raison ? Je ne saurais trop la dire : il me semble que si l’âme s’endort dans les choses matérielles, ce passage des choses matérielles aux choses spirituelles lui donne une vitalité particulière : la verité qui lui est exprimée de cette façon l’émeut, la réjouit et en même temps lui apparaît dans un prestige plus grand que si elle lui était présentée en un langage plus ouvert (saint Augustin : épître LV).

[12] Je vais ouvrir la bouche pour dire des sentences, pour proférer les énigmes des temps anciens (Psaume LXXVII 2). Ces paroles sont tirées du psaume LXXVII où est racontée la délivrance de l’Egypte. Ce rapprochement nous fait comprendre que tout ce qui était dans l’histoire du peuple ancien était symbolique, et Jésus nous promet de nous donner la clef de tous ces mystères (saint Jérôme : commentaire de l’évangile de Matthieu).

[13] Si nous voulons connaître le sens caché des paraboles de Jésus, entrons avec lui dans la maison où il séjourne, et comme ces deux disciples de Jean qui s'attachèrent à lui, demandons-lui la permission de demeurer avec lui (Origène : commentaire de l'évangile selon saint Matthieu X 1).

[14] Jésus donne à ses apôtres des explications qu’il refuse à « ceux qui sont dehors ». En effet, la foule l’écoute volontiers, mais avec des idées préconçues sur le Royaume ; dès lors qu'il s'agit d'humilité et de renoncement, elle refuse de lui faire confiance. Il faut donc l'enseigner par des exemples concrets mais sans lui donner trop de lumière qui augmenterait sa responsabilité et même l'aveuglerait. Les paraboles répondent précisément à cette recherche ; elles ont plusieurs « profondeurs ». Les apôtres vont plus loin que la foule et, après l'Ascension, ils percevront des résonances encore plus profondes (évangile selon saint Marc, IV 33).

[15] C'est l'Eglise catholique répandue dans le monde entier, que les méchants jusqu'à la fin des siècles s'y trouveront mêlés aux bons sans toutefois nuire aux bons ; parce que les bons, en ignorant les méchants ou en les supportant pour la paix de l'Eglise, sont en communion non avec les méchants mais avec l'autel et les sacrements de Dieu (saint Augustin : « Contra Donatistas »).

[16] De même que l'ivraie ressemble au blé, l'habileté de Satan consiste à mêler à la vérité des erreurs qui lui ressemblent, de façon à pouvoir facilement circonvenir les simples (...) Le Sauveur nous montre ici que l'erreur vient toujours après la vérité. Et en effet, après les prophètes sont venus les faux prophètes, après les apôtres les faux apôtres, et après le Christ viendra l'Antéchrist : le diable ne peut qu'imiter et s'attaquer à ce qui exite ; il ne peut créer, il agit seulement après que Dieu a créé, car sa grande joie est de détruire. Ayant vu croître une semence qu'il ne pouvait détruire, il y mêla la sienne. C'est ainsi que les hérésiarques se sont introduits dans l'Eglise, et une fois introduits, le démon n'a plus besoin d'agir : quand ils ont pris racine, ils répandent leur poison qu'ils avaient dissimulé jusque-là (saint Jean Chrysostome : homélie XLVI sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[17] Diable, du grec diabolos (de dia-ballô qui signifie : « diviser, accuser, calomnier ») : « médisant ». Ce mot est utilisé par les traducteurs alexandrins de l’Ancien Testament pour rendre le mot hébreux Satan, l’ange accusateur de l’homme devant le tribunal de Dieu (Livre de Job, I). Dans le Nouveau Testament, le diable est avant tout le « Tentateur » (évangile selon saint Matthieu, IV 1), le « prince de ce monde » (évangile selon saint Luc, IV 6) qu’il domine par la mort (évangile selon saint Jean, VIII 44) ; le Christ établit son royaume sur sa défaite (épître aux Hébreux, II 14). Le chrétien doit lui résister. Satan a la puissance de la mort, mais il sera détruit. La victoire sur le « prince de ce monde » est acquise, une fois pour toutes, à l’heure où Jésus se livre librement à la mort pour nous donner sa Vie. C'est le jugement de ce monde et le prince de ce monde est « jeté bas. » Selon l’Apocalypse, « il se lance à la poursuite de la Femme », mais il n'a pas de prise sur elle : la nouvelle Eve, « pleine de grâce » de l'Esprit Saint, est libérée du péché et de la corruption de la mort. « Alors, furieux de dépit contre la Femme, il s'en va guerroyer contre le reste de ses enfants. »

[18] Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siègera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche (évangile selon saint Matthieu, XXV 31-33)

[19] Cette fournaise est l’Enfer. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement en enfer où elles souffrent du feu éternel. La peine principale de l'enfer est la séparation éternelle d'avec Dieu en dehors de qui l'homme n’a ni la vie ni le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. Les enseignements de l’Ecriture et de l'Eglise au sujet de l'enfer sont un appel à la responsabilité de l'homme dans l’usage de sa liberté en vue de son destin éternel. Il s’agit en même temps d’un appel pressant à la conversion : « Entrez par la porte étroite. Car large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui le prennent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent » (Matthieu, VII13-14). « Ignorants du jour et de l'heure, il faut que, suivant l'avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants pour mériter, quand s'achèvera le cours unique de notre vie terrestre, d'être admis avec Lui aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu, au lieu d'être, comme de mauvais et paresseux serviteurs, écartés par l'ordre de Dieu vers le feu éternel, vers ces ténèbres du dehors où seront les pleurs et les grincements de dents » (Vatican II, Lumen Gentium, 48). Pour mériter l’enfer, il faut une aversion volontaire de Dieu, et y persister jusqu'à la fin. Dans ses prières quotidiennes, l'Eglise implore la miséricorde de Dieu qui veut « que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir » (II Pierre, III 91) .

[20] Dès qu'on est condamné au feu, on perd évidemment le royaume : c'est le plus grand malheur. Je le sais, beaucoup tremblent au seul nom de la géhenne, mais pour moi, la perte de cette gloire supérieure, je la déclare plus terrible que les tourments de la géhenne (...) C'est une chose redoutable que la géhenne, c'est un horrible châtiment ; mais ce n'est rien en comparaison de la perte de cette gloire qui devait nous rendre éternellement heureux. Quel supplice d'être un objet d'aversion pour le Christ, d'entendre de sa bouche : « Je ne vous connais plus » ; d'être accusé par lui de n’avoir pas voulu lui donner à manger quand il était dans le besoin. Mieux vaudrait tomber sous le coup de mille foudres que de voir ce visage si doux se détourner de notre face et cet œil si serein nous regarder avec indignation (saint Jean Chrysostome : homélie sur l’évangile selon saint Matthieu, XX 7-8).

[21] Nous pourrions croire que ces yeux que Jésus-Christ déclare bienheureux sont les yeux de la chair ; mais nous l'avons entendu dire tout à l’heure : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » C’est pourquoi, il me semble, que les yeux que Jésus-Christ déclare bienheureux sont ceux qui peuvent connaître les mystères du Christ, et Jésus invite à regarder pour voir les moissons blanchissantes. Ces yeux que Jésus béatifie ne sont-ils pas tous ceux qui peuvent connaître les mystères du Christ, que Jésus-Christ invitait à regarder en haut afin de contempler les moissons, blanchissantes ? (saint Jérôme : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu).