Solennité de la Toussaint

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Matthieu (V, 1-12).

Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne[1]. Il s'assit[2], et ses disciples s'approchèrent[3]. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire[4]. Il disait :

« Heureux les pauvres de cœur[5] : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux[6] : ils obtiendront la terre promise[7] ! Heureux ceux qui pleurent[8] : ils seront consolés[9] ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice[10] : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux[11] : ils obtiendront miséricorde ! Heureux les cœurs purs[12] : ils verront Dieu[13] ! Heureux les artisans de paix[14] : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice[15] : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux êtes-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi[16]. Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Comment les malades pourraient-ils s’élever aux sommets escarpés ? La foule ne va pas dans les lieux élevés. Jésus, dans les régions inférieures, guérit les malades et, ensuite, leur donne la force qui leur permet de monter, nous donnant là un signe de cette bonté qui l’a porté à descendre vers nous pour penser nos blessures et par notre union avec lui nous amener à la communion avec la nature divine (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, V 46).

[2] Il s’assied pour enseigner, afin d’affirmer qu’il enseigne avec l’autorité d’un maître. Il va sans doute parler longtemps : préparons-nous à l’entendre aussi longtemps qu’il voudra nous parler, et que ce ne soit jamais trop longtemps pour nous (saint Augustin : « Du sermon sur la montagne », I 1).

[3] Cet empressement des disciples à se rapprocher de lui indique l’empressement qu’ils avaient déjà dans le cœur à accomplir ses préceptes (saint Augustin : « Du sermon sur la montagne », I 1).

[4] Seuls les chrétiens estiment les choses à leur vraie valeur, et ils n'ont pas les mêmes motifs de se réjouir et de s'attrister que le reste des hommes. A la vue d'un athlète blessé, portant sur la tête la couronne du vainqueur, celui qui n'a jamais pratiqué aucun sport considère seulement les blessures qui font souffrir cet homme. Il n'imagine pas le bonheur que lui procure sa couronne. Ainsi font les gens dont nous parlons. Ils savent que nous subissons des épreuves, mais ignorent pourquoi nous les supportons. Ils ne considèrent que nos souffrances ! Ils voient les luttes dans lesquelles nous sommes engagés et les dangers qui nous menacent. Mais les récompenses et les couronnes leur restent cachées, non moins que la raison de nos combats. Que voulait dire Paul en affirmant : « On nous croit démunis de tout, et nous possédons tout » (II Corinthiens, VI 10) ? Il entendait par là les biens terrestres et spirituels. Lorsque les villes le recevaient comme un ange, que les gens se seraient fait arracher les yeux pour les lui donner et qu'ils se seraient laissé couper la tête pour lui, n'avait-il pas toutes leurs richesses à sa disposition ? Et si tu veux considérer les biens spirituels, tu reconnaîtras qu'il les possédait aussi en abondance. Aimé du Roi de l'univers, du Maître des anges, au point de partager ses secrets, il était le plus riche de tous, et tout lui appartenait. Aucun démon n'était capable de résister à son autorité, aucune souffrance ni maladie ne pouvait lui imposer sa loi. Pour ce qui nous regarde, quand nous sommes soumis à l'épreuve à cause du Christ, supportons-la vaillamment, bien plus, avec joie. Si nous jeûnons, bondissons de joie comme si nous étions dans les délices. Si l'on nous outrage, dansons allègrement comme si nous étions comblés d'éloges. Si nous subissons un dommage, considérons-le comme un gain. Si nous donnons au pauvre, persuadons-nous que nous recevons. Celui qui ne donne pas de cette manière, ne donne pas de bon cœur. Aussi bien, quand tu veux faire un don à quelqu'un, ne considère pas seulement ce que cela te coûte. Songe plutôt que tu en retires un profit plus important, car ceci l’emporte sur cela. En faisant l'aumône, comme en pratiquant n'importe quelle vertu, pense à la douceur de la récompense, plutôt qu'à la dureté du sacrifice. Avant tout, rappelle-toi que tu combats pour le Seigneur Jésus. Alors tu entreras de bon cœur dans la lutte et tu vivras toujours dans la joie, car rien ne nous rend si heureux qu'une bonne conscience (saint Jean Chrysostome : homélie XII sur la Deuxième lettre aux Corinthiens, 4).

[5] La pauvreté nous rappelle que nous n’avons rien par nous-mêmes, que nous avons tout reçu de Dieu, que tous les biens sont communs ; elle nous anène à être soumis à Dieu, et dans cette soumission à partager tout ce que nous avons ; elle nous fait entrer en communion de la bonté divine, en attendant qu’elle nous fasse entrer en possession de sa gloire (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, IV 2).

   Que signifie : « les pauvres en esprit » ? Les humbles, ceux dont le cœur est contrit. L'esprit désigne ici l'âme, la volonté. En effet, il y a beaucoup de pauvres qui 1e sont involontairement et forcés par la nécessité ; ce n'est pas de ceux-là qu'il parle (ce ne serait pas pour eux un éloge; il proclame d'abord heureux ceux qui s'humilient et s'abaissent volontairement. Alors, pourquoi le Seigneur a-t-il dit : « Les pauvres », et non : « Les humbles » ? C'est parce que la pauvreté contient l'humilité. Il désigne par là les hommes qui craignent et respectent les préceptes de Dieu, ceux que, selon le prophète Isaïe (LXVI 2), Dieu accueille avec faveur : « Celui sur qui je jette les yeux, c'est le pauvre et le cœur contrit qui tremble à ma parole » (...) Mais, me direz-vous, pourquoi parler ainsi à ses disciples qui étaient de la plus humble condition ? Ils n'avaient aucune occasion de vaine gloire, eux, des pauvres, des pécheurs, de simples gens que rien ne distinguait. Même si cette leçon ne concernait pas les disciples, elle s'adressait à ceux qui étaient là présents et à ceux qui allaient la recevoir plus tard, en les

[6] La douceur chrétienne nous garde libres de toute agitation dans les contrariétés ; elle réprime tout désir de vengeance et détourne de se faire justice soi-même ; elle s’applique à ne jamais, autant que faire se peut, heurter ou froisser personne. Etendue au sens le plus évangélique, la douceur ne résiste pas au mal, elle cède aux méchants et elle s’applique à vaincre le mal par le bien nous (saint Augustin : « Du sermon sur la montagne », I 1).

[7] La terre sainte promise à Abraham est appelée une terre coulante de lait et de miel. Toute douceur y abonde ; c'est la figure du ciel et de l’Eglise. Ce qui rend l'esprit aigre, c'est qu'on répand sur les autres le venin et l'amertume qu'on a en soi-même. Lorsqu'on a l'esprit tranquille par la jouissance du vrai bien, et par la joie d'une bonne conscience, comme on n'a rien d'amer en soi, on n'a que douceur pour les autres ; la vraie marque de l'innocence, ou conservée, ou recouvrée, c'est la douceur. L'homme est si porté à l'aigreur, qu'il s'aigrit très souvent contre ceux qui lui font du bien

Presque tout le monde est malade de cette maladie-là ; c'est pourquoi on s'aigrit contre ceux qui nous conseillent pour notre bien, et encore plus contre ceux qui le font avec autorité, que contre les autres. Ce fond d'orgueil qu'on porte en soi en est la cause. Bienheureux donc ceux qui sont doux ils possèderont la terre, où abonde toute douceur, parce que la joie y est parfaite (J.-B. Bossuet : « Méditations sur l’Evangile », sermon de Notre Seigneur sur la montagne, III° jour).

[8] Il y a quatre sources où le juste puise ses larmes. Il pleure en pensant à ce qu’il a été et aux fautes qu’il a commises ; il pleure en pensant aux choses qui l’attendent, au jugement de Dieu ; il pleure en regardant ce qu’il est ; il pleure en levant les regards vers le séjour où il devrait être et qu’il comprend les gloires et les joies de la patrie. Dans le désir que l’âme a de la possession de Dieu, elle s’élève quelquefois jusqu’à lui par la grâce de la contemplation, et retombant sur terre, en face des misère qu’elle y retrouve, elle se croit abandonnée de Dieu et de là naissent ses larmes (saint Grégoire le Grand : Moralia in Job, XXII 21).

[9] O doux Jésus, donnez-moi un signe certain, de votre amour, une source de larmes coulant toujours au-dedans de moi, afin que mes larmes elles-mêmes vous disent mon amour. Je me souviens, ô Jésus, de cette humble femme, Anne, qui venant prier au tabernacle pour obtenir un enfant, partit, portant la paix sur son visage (...) Si elle a tant pleuré, cette femme qui désirait un enfant, comment doit pleurer une âme qui désire et cherche Dieu ? (...) Regardez-moi donc et ayez pitié de moi, parce que les douleurs de mon cœur se sont multipliées (...) Donnez-moi votre consolation céleste et donnez-moi d’abord ces larmes intérieures qui partent de l’amour, brisent les liens du péché et mènent à la consolation. Je me souviens aussi de la dévotion ardente d’une autre femme qui, dans son pieux amour, vous cherchait au tombeau où l’on vous avait déposé, qui, après le départ des disciples, ne s’en allait pas mais demeurait là, assise et pleurant, qui, après votre résurrection, avec beaucoup de larmes, explorait tous les coins de votre tombeau pour vous retrouver (...) Parce qu’elle aima plus que tous les autres, en aimant elle pleura, et en pleurant elle vous chercha, et, persévérant dans sa recherche, elle mérita de vous voir et de vous parler la première (...) Si elle pleura ainsi et persévéra dans ses larmes, cette femme qui cherchait parmi les morts celui qui était vivant, comment doit pleurer et persévérer dans ses pleurs celui qui vous connaît pour le Rédempteur, pour le roi du ciel et de la terre, et qui de tout son cœur aspire à vous voir ? (...) Donnez-moi la grâce des larmes car je ne puis l’avoir que par votre Esprit qui amolit les cœurs endurcis des pécheurs, afin que je puisse laver dans mes larmes la victime que je veux vous offrir (saint Anselme : oraison XVI).

[10] Je me suis délivré de mes fautes, j’ai réglé mes mœurs, j’ai pleuré mes péchés, je commence à avoir faim et soif de la justice. C’est un signe santé (saint Ambroise de Milan : commentaire de l’évangile selon saint Luc, V 56).

[11] La miséricorde naît des vertus précédentes. On ne peut arriver à une vraie compassion à l’égard des malheureux, si l’on n’a d’abord un sincère détachement de tout et une véritable humilité d’esprit, si l’ême ne s’est remplie de douceur par l’obéissance aux lois divines, si elle n’a commencé à pleurer ses péchés et à avoir soif de la justice (saint Anselme : homélie II).

[12] Qu’elle est belle, qu’elle est ravissante cette fontaine incorruptible d’un cœur pur ! Dieu se plaît à s’y voir lui-même comme dans un beau miroir : il s’y imprime lui-même dans toute sa beauté. Ce miroir devient un soleil par les rayons qui le pénètrent : il est tout resplendissant. La pureté de Dieu se joint à la nôtre, qu’il a lui-même opérée en nous, et nos regards épurés le verront briller en nous-mêmes, et y luire d’une éternelle lumière (J.-B. Bossuet : « Méditations sur l’Evangile », sermon de Notre Seigneur sur la montagne, VII° jour).

[13] Voilà le but de notre amour, la fin qui nous rend parfaits sans nous détruire. Il y a la fin de la nourriture et la fin du vêtement. La fin de la nourriture, c'est d'être détruite par la manducation ; la fin du vêtement, c'est d'être achevé par le tissage. Celui-ci comme celle-là arrivent à leur fin, mais la fin de l'une est sa destruction, tandis que celle de l'autre est son achèvement. Tout ce que nous faisons, tout ce que nous faisons de bon, tout ce que nous nous efforçons d'obtenir, toutes les causes dignes d'éloges pour lesquelles nous nous dépensons, tout ce que nous désirons d'honnête, nous ne le rechercherons plus quand nous serons parvenus à la vision de Dieu. Que pourrait bien chercher celui qui possède Dieu ? Qu'est-ce qui pourrait satisfaire celui qui ne se satisfait pas de Dieu ? Nous voulons voir Dieu, nous cherchons à le voir, nous désirons ardemment le voir. Qui n'a pas ce désir ? Mais remarque ce que dit l'évangile : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! » Fais en sorte de le voir. Pour prendre une comparaison parmi les réalités matérielles, comment voudrais-tu contempler le soleil levant avec des yeux chassieux ? Si tes yeux sont sains, cette lumière sera pour toi un plaisir ; s'ils sont malades, elle sera pour toi un supplice. Assurément, il ne te sera pas permis de voir avec un cœur impur ce que l'on ne peut voir qu'avec un cœur pur. Tu en seras écarté, éloigné, tu ne verras pas. Heureux, en effet, les cœurs purs : ils verront Dieu ! (…) La vision de Dieu est promise quand il s'agit d'hommes au cœur pur. Cela n'est pas sans raison, puisque les yeux qui permettent de voir Dieu sont dans le cœur. Ce sont les yeux dont parle l'Apôtre Paul quand il dit : « Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur » (Ephésiens, I 18). Dans le temps présent, ces yeux, en raison de leur faiblesse, sont donc illuminés par la foi ; plus tard, en raison de leur vigueur, ils seront illuminés par la vision (saint Augustin : sermon LIII, 6).

[14] C’est une bonne œuvre, celle qui consiste à rétablir la paix entre des frères divisés par les intérêts temporels, l’amour-propre ou la jalousie. cependant ceci est peu de chose au témoignage de Jésus-Christ, disant à des frères ainsi divisés : « Qui m’a établi juge entre vous ? » Déjà il avait donné ce conseil : « Ne revendiquez pas ce qui vous a été enlevé ». Il y a une œuvre de paix bien meilleure et bien plus haute, celle par laquelle les païens, ennemis de Dieu, par la puissance de la doctrine, sont amenés à la pénitence, à la réconciliation, à la paix avec dieu, celle par laquelle les hérétiques sont amenés à rompre avec leurs erreurs, celle par laquelle les schismatiques sont ramenés à l’unité dans le sein de l’Eglise (saint Chromace d’Aquilée : « Des huit béatitudes », sermon II).

[L’évêque Chromace d’Aquilée, mort en 407, était un ami de saint Ambroise et de saint Jean Chrysostome, en même temps que de saint Jérôme et de Rufin qu’il ne réussit pas à réconcilier. On conserve son sermon sur les huit béatitudes et dix-sept instructions sur les chapitres II, V et VI de saint Matthieu, remarquables par le sentiment de piété et les applications morales qui en découlent. Le style de Chromace d’Aquilée est agréable et sa pensée est originale. Avant d’être évêque, Chromace avait réuni autour de lui une communauté de clercs que fréquentaient de nombreux fidèles dont saint Jérôme ; Rufin qui y fut baptisé. Elu à la succession de l’évêque Valérien, il fut consacré par saint Ambroise de Milan, vers 388.]

[15] La persécution est l’occasion, pour ceux qui la subissent, de fuir plus complètement le mal, de s’en détacher et d’aller plus complètement à Dieu. Il est vraiment heureux celui que ses ennemis eux-mêmes aident à atteindre le bien. Il ne regarde plus à ce qu’il a abandonné, il regarde à ce qu’il qu’il désire ; il ne fait plus attention à la perte des biens terrestres et il se réjouit du gain des richesses éternelles ; il regarde le feu comme un élément qui purifie, le glaive comme brisant le lien qui enchaîne l’esprit à la matière, toute souffrance comme un antidote au poison de la volupté. Les tourments les plus variés étaient acceptés avec joie par les athlètes de la foi comme l’expiation du péché et comme le moyen de détruire les traces que le plaisir avait laissées dans leur cœur et leur âme (...) Tout ce qui vous attaque vous délivre, vous délivre du péché, pour vous établir en Dieu. Voilà quel est le fruit de la persécution : à cause du fruit, aimons donc la fleur (saint Grégoire de Nysse : « Des béatitudes », VIII).

[16] C'est comme s'il disait : « Même si l’on vous traite de séducteurs, de charlatans, de méchants, ou de n’importe quel nom, vous êtes heureux. » Que pourrait-il y avoir de plus étrange que ces préceptes, que les autres, dit-on, doivent fuir et redouter : mendier, pleurer, subir la persécution et l'insulte ? Et pourtant le Christ l'a dit, l'a persuadé, non à deux, à dix, à cent, à mille personnes, mais au monde entier. Et en écoutant des choses si terribles, si contraires aux habitudes du monde, les foules étaient frappées d'étonnement, tant était grande la puissance de celui qui parlait. Mais ne va pas croire qu'il nous suffit de recevoir des injures pour être bienheureux. A cela le Christ a posé deux conditions : que ces injures soient souffertes pour lui et qu'elles soient mensongères. S’il n’en est pas ainsi, celui qui les subit n'est pas heureux, il est même à plaindre (saint Jean Chrysostome : homélies sur l’évangile selon saint Matthieu, XV 8).