4ème dimanche de Pâques - Année C

Epître

Lecture de l'Apocalypse de saint Jean (VII 9,14-17)[1].

Moi, Jean, j'ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient[2] debout devant le Trône et devant l'Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main[3].

L'un des Anciens me dit : « Ils viennent de la grande épreuve[4] ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l'Agneau[5]. C'est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu, et le servent jour et nuit dans son temple[6]. Celui qui siège sur le Trône habitera parmi eux. Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, la brûlure du soleil ne les accablera plus, puisque l'Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur[7] pour les conduire vers les eaux de la source de vie[8]. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ».


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Par ses visions grandioses et ses images chocs, l’Apocalypse est un message d'espérance destiné à des croyants décimés et persécutés. Au jour de leur baptême, les chrétiens se sont habillés de blanc, couleur du triomphe du Christ ; ils se sont plongés dans la mort et la résurrection du Christ. Aussi ces chrétiens par avance savent-ils que leurs épreuves si dures et si longues soient-elles, n'auront qu'un temps. Le bénéfice de la victoire de Jésus s'étendra même à toute l'humanité, à cette « foule immense... de toutes nations, races, peuples et langues. » Les disciples du Christ ne peuvent donc jamais désespérer, même dans les situations les plus dramatiques.

[2] Saint Jean souligne le caractère liturgique de cette assemblée, par le verbe « se tenir devant » qui, en effet, est l'expression de l'attitude du service, et, par excellence, du service royal (livre de Daniel, I 4) et du service divin (premier livre des Rois, XVII 1) ; le service royal n'étant d'ailleurs que la figure et le reflet du service divin. Or ce service liturgique honore à la fois Dieu (désigné ici, dans le style des apocalypses et du judaïsme tardif, par « le Trône »), et l'Agneau : Dieu comme principe et auteur premier du salut, l'Agneau, comme médiateur et réalisateur de cette œuvre du salut.

[3] Cette assemblée liturgique est l’assemblée du triomphe et de la joie. Le blanc est, en effet, dans l'Apocalypse, la couleur du vainqueur qui, après avoir surmonté l'épreuve, entre dans la joie du triomphe. Tel est également le sens des palmes dont le balancement accompagne le rythme des acclamations. Aussi devons-nous reconnaître dans cette foule innombrable, non pas seulement les martyrs de la persécution mais l'assemblée de tous les élus qui, par leurs bonnes œuvres (qui sont signifiées par les palmes), ont mérité d’être associés au triomphe et à la gloire du Rédempteur.

[4] « La grande épreuve » n’est pas l'une des épreuves que les croyants ont à rencontrer dans le monde, mais la dernière et suprême épreuve. Il ne s'agit pas exclusivement de l'épreuve du martyre, mais de l'épreuve de la foi, de cette contradiction et de ce scandale suprêmes dont la perspective angoissante a fait dire à Jésus : « Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (évangile selon saint Luc, XVIII 8). Certes, l'Apocalypse est écrite avant tout à la gloire des martyrs, mais l'assemblée céleste que le Vieillard désigne à saint Jean réunit non seulement les martyrs proprement dits, mais tous les fidèles du Christ qui avec lui « ont vaincu le monde » dans la grande épreuve eschatologique.

[5] « Le sang de l'Agneau » n’est pas seulement une évocation directe et exclusive du martyre ; il n’a pas seulement purifié que les fidèles du Christ qui ont versé leur sang en communion avec sa propre passion. Bien plutôt les images du lavage et du blanchiment évoquent ici la purification baptismale. Peu importe l'image paradoxale de « blanchir dans le sang », le style biblique ne recule pas devant de telles associations : la Genèse parle de « laver dans le vin » qui est d'ailleurs « le sang de la grappe » (Genèse, XLIX 11). L’idée qui l'emporte sur la cohérence de l'image, est celle de la transfiguration de l'être tout entier dans le sang rédempteur. On sait combien le vêtement, dans la Bible, lié intimement à la personne, l'exprime, la représente et finalement la désigne. La robe blanche n'est pas simplement ici la récompense des élus qui sont restés la fidèles, elle est l'expression même de l'être nouveau, né dans le sang du Christ. L'eau du mystère baptismal, à laquelle sans aucun doute l'image du lavage et du blanchiment fait allusion, tient toute sa vertu du sang du Christ. Le bain régénérateur de l'humanité est celui même du sang de l'Agneau immolé.

[6] La mention du Temple souligne la proximité de Dieu et l'intimité constante des élus avec lui. Ainsi la vie des élus ne trouve pas de meilleure expression que celle du service liturgique. Saint Jean, au début de l'Apocalypse, a proclamé que les élus constituent un « royaume de prêtres » pour leur « Dieu et père. » L'insistance délibérée sur le caractère incessant de ce service (« jour et nuit ») accentue encore la couleur sacerdotale de ce passage. I1 est très légitime de penser que le service liturgique au Temple de Jérusalem a fourni au voyant l'expression dont il avait besoin pour faire comprendre la vocation finale des croyants et le sens de leur bonheur eschatologique. Il n'en pouvait trouver de meilleure, susceptible à la fois de donner une image concrète de ce bonheur et d'écarter toute interprétation matérialisante.

[7] L’Agneau devient ici le Pasteur. Pour entrer dans ce mystère de l’Agneau-Pasteur, il faut se reporter au psaume XXIII où Yahvé lui-même est le Pasteur d'Israël. L’Agneau est Pasteur parce qu'il a rassemblé, unifié et constitué le troupeau des fidèles du Seigneur par l'efficacité rédemptrice de son sacrifice. Aussi le troupeau est-il désormais inséparable de lui, ce que l'Apocalypse exprime en disant que les élus « le suivent partout », comme les brebis suivent leur pasteur dans les déserts palestiniens.

[8] L’Agneau-Pasteur conduit ses brebis aux sources de vie. Quand le psaume parle des « eaux du repos », et Isaïe des « eaux bouillonnantes », saint Jean parle des « eaux de la vie. » En saint Jean, la « vie » est souvent associée à l'eau, tel le dialogue avec la Samaritaine (IV 10-14) et le discours de Jésus à la fête des Tentes (VII 37-38).