5e dimanche de Carême

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (VIII 1-11).

Jésus s'était rendu au mont des Oliviers[1] ; de bon matin, il retourna au temple de Jérusalem. Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner[2].

Les scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme, surprise en train de commettre l'adultère. Ils la firent avancer, et dirent à Jésus[3] : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu[4] ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol[5]. Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre »[6]. Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Quant à eux, sur cette réponse, ils s'en allaient l'un après l'autre[7], en commençant par les plus âgés[8]. Jésus resta seul[9] avec la femme en face de lui[10]. Il se redressa[11] et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Alors, personne ne t'a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus »[12].


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Le mont des Oliviers est à l’est de Jérusalem, au-delà de la vallée du Cédron qui le sépare de la colline du Temple. Le prophète Ezéchiel, en quittant le Temple, vit se reposer la gloire du Seigneur sur le mont des Oliviers : « La gloire de Yahvé monta du milieu de la ville et s’arrêta sur la montagne qui est à l’est de la ville » (Ezéchiel, XI 23). Jésus aime ce lieu solitaire du mont des Oliviers : il y a de secrètes harmonies entre lui et cette montagne. Saint Augustin souligne que l’huile servait déjà pour les onctions sacrées et que Jésus, l'oint, le consacré par excellence, nous a oints, nous a consacrés et nous a fortifiés pour lutter contre le démon (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, XXXIII 3). Alcuin, après avoir rappelé que l’on « fait aussi des onctions d'huile sur les membres blessés et malades », affirme que le mont des Oliviers est le symbole de la miséricorde qui va se répandre sur le monde ; au jour des Rameaux, Jésus, venant de Béthanie, descendit le mont des Oliviers (évangile selon saint Luc, XIX 37) d’où il avait annoncé la ruine du Temple (évangile selon saint Marc, XIII 3-4) et pleuré sur Jérusalem (évangile selon saint Luc, XIX 41-44).

[2] Cette attitude familière leur prouve qu'il est bien à eux, et établit la réalité de son Incarnation (Alcuin).

C'est aussi l'attitude des docteurs. Il est assis dans le temple, nous rappelant que depuis qu'il a établi sa demeure dans son Eglise, tous les peuples sont venus à Lui et ont cru en Lui (saint Bède le Vénérable).

[3] Ses ennemis ont remarqué sa douceur, cette excessive mansuétude ; car c’est de lui que le Psalmiste avait annoncé : « Ceins ton épée sur ta cuisse, vaillant ; dans le faste et l’éclat, va, chevauche, pour la cause de la vérité, de la douceur, de la justice » (Psaume XLV 4). Il nous a donc apporté la vérité comme un savant, la douceur comme un libérateur, la justice comme quelqu’un qui connaît tout... Lorsqu’il parlait, on reconnaissait la vérité ; lorsqu’il restait impasssible devant ses ennemis, on louait sa douceur. Ces deux qualités, la vérité et la douceur, étaient une véritable torture pour ses ennemis jaloux et envieux. Ils voulurent donc lui tendre un piège au sujet de la troisième qualité, la justice. En effet, la Loi avait ordonné de lapider les adultères ; or la Loi ne pouvait pas ordonner l'injustice. Si donc quelqu’un parlait autrement qu’un précepte de la Loi, il était par là même coupable d’injustice. Ils dirent donc entre eux : « On le croit plein de vérité et de douceur ; il faut l’attaquer sur la justice. Amenons-lui une femme prise en flagrant délit d’adultère, rappelons-lui le supplice ordonné par la Loi. S'il commande de la lapider, où sera sa douceur ? S'il est d’avis de la renvoyer, où sera sa justice ? Pour ne pas perdre son renom de douceur par lequel il s’est rendu populaire, il dira sans aucun doute qu’il faut la renvoyer. Nous avons donc trouvé là une occasion de l’accuser : nous le déclarerons coupable de violation de la Loi. Nous lui dirons : Tu es un ennemi de la Loi, ta réponse est contraire à Moïse, ou plutôt à Celui qui a donné la Loi à Moïse : tu mérites la mort, tu dois être lapidé avec cette femme. » Mais le Seigneur, dans sa réponse, saura sauvegarder les droits de la justice et ne point s'éloigner de la douceur. Celui à qui l’on tendait des pièges ne s’est pas laissé prendre ; au contraire, ceux qui les tendaient ont été pris (saint Augustin : « Tractatus in Johannis evangelium », XXXIII 4).

[4] Ils le mettaient dans cette situation inextricable, que s'il pardonnait, il semblait détruire la Loi ; et s'il condamnait, il semblait démentir le but de sa venue : car il était venu pour la rémission des péchés. Ils l'amenaient ainsi à donner un démenti à la parole qu'il allait dire bientôt : « Je ne juge personne » (saint Ambroise : épître XXVI 11).

[5] Il écrivait donc de ce doigt qui a écrit la Loi (saint Ambroise : épître XXVI 14).

Et qu'écrivait-il ? Peut-être leurs noms : peut-être leurs péchés ; car le Prophète a dit : « Ceux qui vous abandonnent seront inscrits sur la terre » (saint Jérôme : « Dialogi contra Pelagianos », II).

Ici se pose une question : celui qui juge en étant lui-même en état de péché, pèche-t-il en portant un jugement contre une autre personne qui se trouve coupable du même péché ? Il est manifeste que le juge pèche, en scandalisant, s'il prononce un jugement tout en étant publiquement en état de péché ; et cela semble également être le cas s'il est secrètement en état de péché : « Du fait même que tu juges un autre, tu te condamnes toi-même » (épître aux Romains, II 1). Or il est évident que personne ne se condamne soi-même, si ce n'est en péchant : il semble donc que l'on pèche en jugeant un autre. Il convient ici de faire une double distinction. En effet, ou bien celui qui juge persévère dans sa volonté de pécher, ou bien il se repent d'avoir péché. De même, il condamne ou bien en tant que serviteur de la Loi, ou bien en son nom propre. Certes, s'il se repent d'avoir péché, le péché n'est déjà plus en lui ; et ainsi, il peut énoncer un jugement sans commettre aucun péché. Par contre, s'il a toujours la volonté de pécher : ou bien il prononce un jugement en tant que serviteur de la Loi, et alors il ne pèche pas du fait qu'il rend ce jugement (cependant, il pèche du fait qu'il commet des actions pour lesquelles il mérite de subir la même peine [que celle qu'il inflige]) ; ou bien c'est en son nom propre qu'il rend ce jugement, et alors il pèche en le faisant, parce qu'il n'est pas mû par l'amour de la justice, mais par un mal profondément enraciné ; autrement, il punirait d'abord en lui ce qu'il blâme chez les autres : « Le juste est le premier à s'accuser lui-même » (Proverbes, XVIII 17) (saint Thomas d’Aquin : commentaire de l’évangile selon saint Jean, chapitre VIII, 1133).

[6] Que leur répond la vérité, la douceur et la justice qu'ils veulent calomnier ? Il ne dit pas : « Qu'on ne la lapide pas », pour n’être pas en opposition avec la Loi. Il ne dit pas : « Qu'on la lapide ! » car il n'est pas venu pour perdre mais pour sauver ce qui périssait. Que répond-il donc ? Voyez quelle parole de vérité et de douceur : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Avec quelle sagesse il les ramène à eux. Ils étaient en dehors d'eux, accusant autrui et ne sachant pas voir en eux. Ces prévaricateurs de la Loi voulaient veiller à l'accomplissement de la Loi, mais en accusant et non, comme on doit le faire, en condamnant l'adultère par la chasteté. Oui, il faut accomplir la Loi mais faut-il que la Loi soit vengée par ceux qui méritent le châtiment ? Que chacun donc rentre en soi, qu'il se considère, qu'il comparaisse au tribunal de sa conscience, et qu'il accuse ses fautes. « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! » C'est là la parole de la justice : Que la coupable soit punie, mais non par ceux qui sont coupables eux-mêmes ; que la Loi soit vengée, mais non par ceux qui la transgressent (saint Augustin : « Tractatus in Johannis evangelium", XXXIII 5). 

[7] Quiconque sera occupé à se juger songera peu à juger autrui (saint Grégoire le Grand : « Moralia in Job », XIV 13).

Ils sortaient ceux qui ne voulaient pas être avec le Christ. Au dehors, c'était la lettre de la Loi : au dedans, c'était la vérité des mystères ; ils ne voyaient dans la Loi que les feuilles de l'arbre, ils n'en voyaient pas le fruit ; se réfugiant sous l'ombre de la Loi, ils ne voyaient point le soleil de justice (saint Ambroise : épître XXVI 15).

[8] Peut-être, parce qu'ils étaient les plus coupables, peut-être parce qu'ayant plus d'expérience, ils comprirent mieux la profondeur de cette parole, et se mirent plus vite à pleurer leurs fautes (saint Ambroise : épître XXV 6).

[9] Il est demeuré seul parce que c'est son privilège exclusif de remettre les péchés. Et elle peut recevoir le pardon celle qui est demeurée seule avec Jésus (saint Ambroise : épître XXVI 6).

[10] Il y avait là, en face l'une de l'autre, une grande misère et une grande miséricorde (...) Grande devait être la crainte de cette femme si coupable en face de lui qui était sans péché, et qui avait dit : « Que celui qui est sans péché lui jette le premier la pierre ! » Il avait le droit, lui, de l'écraser (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, XXXIII 5).

[11] Voyez la bonté de Jésus: quand cette femme était accusée, Jésus baissait la tête ; et quand les accusations cessent, il la relève : il est comme humilié par les accusations, il triomphe dans le salut de tous (saint Ambroise : épître XXVI 17).

[12] Hé quoi, Seigneur allez-vous favoriser le péché ? Non, faites attention à ce qui suit : « Va et désormais ne pêche plus ». Ainsi Jésus porte une condamnation, mais sur le péché et non sur cette pauvre âme (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, XXXIII 5).

Il ne la condamne pas car il est le salut ; il la relève, car il est la vie ; il la purifie, car il est la source de la pureté. tout à l'heure il était incliné : il voulait montrer qu'il relève ceux qui sont à terre (...) En lui disant : « Va et ne pèche plus », il amende la coupable sans innocenter la faute. Au contraire le péché est plus complètement condamné quand on amène le coupable à condamner sa faute et à haïr ses actes. Si le coupable est frappé, c'est la personne elle-même, plus que l'acte, qui est atteinte : et quand il y a absolution de la faute, cette délivrance de la personne est la condamnation complète du mal (saint Ambroise : épître XXVI 20).