3e dimanche de l'Avent

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Luc (III 10-18).

Les foules (qui venaient se faire baptiser[1] par Jean[2]) l’interrogeaient en disant : « Que nous faut-il donc faire ? » Répondant, il leur disait : « Que celui qui a deux tuniques, partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de quoi manger fasse de même ![3] »

Vinrent aussi des publicains[4] pour être baptisés, et lui dirent : « Maître, que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « N'exigez rien de plus que ce qui vous est prescrit. » Des soldats aussi l’interrogeaient : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Et il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde[5] ».

Comme le peuple était dans l’attente, et que tous se demandaient dans leur cœur, au sujet de Jean, s’il n'était pas le Christ[6]. Jean prit la parole et leur dit à tous : « Pour moi, je vous baptise avec de l'eau[7] ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi[8], et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales[9] ; lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu[10]. Il tient la pelle à vanner dans sa main pour nettoyer son aire et ramasser le blé dans son grenier ; quant à la paille, il la consumera dans un feu qui ne s'éteint pas[11]. » Ainsi donc, par beaucoup d’autres exhortations, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle[12].


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Dans la religion d’Israël, on connaît l’immersion comme moyen de purification légale ; ainsi, le Lévitique la commande-t-il pour la purification du lépreux qui est guéri (XIV 8) et pour effacer l’impureté sexuelle (XV 16-18), tandis que le Livre des Nombres la commande pour laver l’impureté qui résulte de l’attouchement d’un cadavre (XIX 19). Aux prescriptions de la Loi, les scribes ont ajouté quelques autres bains qui opèrent une pureté légale mais qui n’ont aucun caractère directement moral, même s’ils permettent de passer du domaine profane au domaine sacré ou inversement. Des bassins d’eau pure ou des piscines rituelles permettaient de se purifier. Le Baptême de Jean manifeste sa différence d’avec les rites de pureté pharisiens sur un point essentiel : conféré sous le signe de la conversion morale, il reprend l’essentiel de la prédication de l’Ancien Testament pour la placer dans la perspective du Royaume de Dieu qui approche. Quelques paroles prophétiques exprimaient déjà le symbolisme du bain de l’eau en vue de la purification intérieure (Psaume LI 9, Isaïe I 16, Ezéchiel XXXVI 25, Zacharie XIII 1). Le baptême de Jean est appelé un baptême pour la rémission des péchés : il annonce déjà le salut en se substituant en quelque sorte aux rites de pardon de l’Ancienne Alliance. Le baptême de Jean s’accompagne d’une orientation morale (charité, justice, droiture) qui prépare la venue du Royaume de Dieu. Le baptême de Jean ne donne la purification intérieure que dans la mesure où Dieu accepte les dispositions intérieures de celui qui le reçoit.

[2] Le baptême de Jean préparait à la grâce de trois façons : par l’enseignement qui l’accompagnait et qui préparait les hommes à la foi du Christ ; par l’idée qu’il donnait du baptême du Christ ; par la pénitence qui préparait les hommes à recevoir l’effet du baptême du Christ (saint Thomas d’Aquin : Somme Théologique, III° partie, question 38).

[3] Le salut peut s’opérer dans toutes les situations, aussi la pénitence n’est-elle pas de changer d’état de vie mais de réformer sa manière de vivre, en remplaçant l’égoïsme par la charité, l’indifférence par la compassion envers ceux qui sont dans le besoin ; il convient de se séparer de ce que l’on a en trop ou de ce à quoi l’on est attaché avec excès. L’aumône « est donc un des moyens que le Sauveur nous a donnés pour nous purifier des fautes que nous pouvons commettre après le baptême. La pureté première nous est donnée par le baptême ; mais voulant garder dans la pureté ceux qu’il a acquis à si grand prix, le Dieu tout miséricordieux nous enseigne la miséricorde. Sachons apprécier le don précieux de la bonté divine et nous qui ne pouvons jamais être sans quelque blessure intérieure, aimons à employer le remède qui nous a été donné » (saint Cyprien : « De opere et eleemosynis »).

[4] Les impôts étaient affermés pour une somme déterminée, à de riches particuliers ou à des compagnies qui se chargeaient de les percevoir directement, non sans y ajouter des taxes pour couvrir leurs frais et se ménager un bénéfice. Ces fermiers de l'impôt public étaient appelés publicains, nom que l’on donnait aussi à leurs agents subalternes (portitores à Rome). Ces impôts (portorium ou teloneum) portaient sur les marchandises, les individus et les moyens de transport, hormis ce qui servait à l'armée ou au fisc ; ils étaient levés aux frontières d'un état (douane), à la sortie d'une ville (octroi) et sur des points de passage comme l'entrée d'une route ou d'un pont (péage). Sous aucun régime la levée de l'impôt n'a été un moyen de se concilier la faveur populaire. Les exactions et les vexations dont les publicains se rendaient coupables, n'avaient fait qu'accroître cette impopularité, inhérente à la fonction ; Hérondas affirmait que chaque demeure frissonnait de peur à leur vue. « Autant du Publicains, autant de voleurs », disait d'eux le comique Xénon, en cela fidèle interprète du sentiment public dans le monde gréco-romain où Lucien les assimilait à ceux qui tenaient des maisons de débauche, et où Cicéron les appelait « les plus vils des hommes ». Le monde juif ne pensait pas autrement : la littérature rabbinique associait volontiers les publicains aux voleurs et aux meurtriers, elle les réputait traitres et apostats puisqu'ils violaient les observances de pureté légale. Il est courant d’accoler les publicains et les pécheurs (évangile selon saint Matthieu, IX 10), les publicains et les païens (évangile selon saint Matthieu, XVIII 17), les publicains et les prostituées (évangile selon saint Matthieu, XXI 31). Le Talmud interdit aux publicains les fonctions de juges ou de témoins dans les procès. L'impopularité du métier de publicain n'empêchait pas qu'il ne fût fort recherché, la perspective du gain imposant facilement silence aux susceptibilités de l'amour-propre. La société juive de l'époque du Nouveau Testament, comme on le voit souvent dans l'Evangile, accolait souvent les pécheurs et les publicains, mais les publicains formaient la catégorie la plus honnie des pécheurs où l'on rangeait ceux qui avaient une conduite immorale (adultères, prostituées, faussaires ...), ceux qui exerçaient une profession qui portait à la malhonnêteté (âniers, chameliers, voituriers, matelots, boutiquiers, bouchers, mèdecins ...), ceux dont les métiers mettaieent en rapport avec des femmes (blanchisseurs, colporteurs, tisserands ...), ceux qui faisaient des tâches répugnantes (tanneurs, fondeurs, ramasseurs d'ordures ...)

[5] Pour lui, les soldats ne sont point des tueurs d’hommes, mais des serviteurs de la loi, non des hommes occupés à venger leurs injures personnelles, mais les défenseurs du salut public. Que dout-on blâmer dans les gens de guerre ? Doit-on blâmer des hommes qui doivent mourir, d’accepter de mourir ou d’arriver par la la victoire à une paix honorable ? Un tel blâme serait le fait d’un lâche, mais non d’une âme religieuse : l’acharnement à nuire, la cruauté dans les vengeances, la dureté, l’esprit de domination, voilà ce que l’on condamne justement dans la guerre (saint Augustin : Contra Faustum manichæum, XXXII 7).

[6] Il était si grand qu’il pouvait passer pour le Christ ; certains le croyaient. Il n’avait pas à propager cette idée, il n’avait qu’à l’accepter. Mais cet humble ami de l’époux, rempli d’amour pour l’époux, ne veut point se substituer à l’époux : il rend témoignage à son ami et il montre à l’épouse le véritable époux. Voulant être aimé de l’époux, il a horreur d’être aimé à la place de l’époux... Il préférera rendre témoignage au Christ, s’humilier devant le Christ, que de passer pour le Christ... Et, à cause de cela, il est le plus grand des prophètes, parce qu’il reconnut et montra le Christ quand le Christ fit son entrée dans son royaume (saint Augustin : sermon CCLXXXVIII, 2).

[7] Par cette parole, « je vous baptise avec de l’eau », Jean indiquait nettement qu’il n’était pas le Christ, puisqu’il ne conférait qu’un rite extérieur. L’homme étant composé de deux éléments, d’un corps et d’une âme, il faut, pour sa sanctification, un rite extérieur et une vertu spirituelle. Pendant que le corps est lavé avec l’eau, les fautes de l’âme sont purifiées par l’Esprit. Et c’est pourquoi, pendant que nous accomplissons un rite extérieur, nous invoquons une grâce supérieure. C’est pourquoi, autre fut le baptême de pénitence, autre fut le baptême de la grâce : celui-là n’avait que l’élément matériel, celui-ci réunit les deux éléments. En s’attribuant le baptême de pénitence, Jean déclarait non seulement par ses paroles, mais par son œuvre qu’il n’était point le Christ. Faire pénitence de ses fautes, c’est l’œuvre de l’homme; faire descendre la grâce, c’est la part de Dieu (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, II 79).

Ce baptême lavait le corps mais ne purifiait pas l’âme; il n’apportait pas le pardon (saint Grégoire le Grand : homélie VII sur les péricopes évangéliques, 3).

[8] Le rôle des Prophètes était d’éloigner du péché ; le rôle propre du Christ de sauver ceux qui croiraient en lui (saint Hilaire : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, II 4).

[9] Abaissons-nous donc aux pieds de Jésus, c’est le seul moyen de nous élever. Jean s’abaisse jusqu’à se déclarer indigne de déchausser son souverain : et Jésus, pour le relever, viendra bientôt recevoir de lui le baptême; et cette main, qui se trouve indigne de toucher les pieds de Jésus, est élevée, dit saint Chrysostome, au haut de sa tête, pour verser dessus l’eau baptismale (Bossuet : Elévations sur les Mystères, 21° semaine, élévation 7).

[10] Quand il parle du Christ, ce n’est plus que consolation : ce n’est plus la hache qui frappe, l’arbre que l’on coupe et que l’on jette au feu, ni la colère qui approche ; c’est la rémission des péchés, la condonation du châtiment, la justice, la sanctification, la rédemption, l’adoption, le partage de l’héritage, l’effusion du Saint-Esprit. Il indique tout cela dans la parole : « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Vous serez tous imprégnés de l’Esprit-Saint : tandis que l’eau ne lave que l’extérieur, l’Esprit-Saint comme le feu, pénétrera au plus intime de vous-mêmes, il détruira tout ce qui est mauvais (saint Jean Chrysostome : homélie XI sur l’évangile selon saint Matthieu, 4).

Sur l’autel lévitique, il y avait un feu qui brûlait sans cesse, et servait à consumer la graisse des victimes, figurant ceux qui, établis dans le Christ, sont consumés chaque jour par le feu du divin amour, en holocauste et en odeur de suavité au Seigneur. C’est ce feu que Jésus-Christ est venu apporter sur terre, qui brûle tous les vices et qui fait que ses élus vivent d’une vie nouvelle (Paschase Radbert : « Liber de corpore et sanguine Domini »).

Paschase Radbert, élevé par les religieuses de Notre-Dame de Soissons qui l’ont trouvé sur le seuil de leur monastère. Moine de l’abbaye de Corbie, il en fut élu abbé (843), mais ne fut jamais ordonné prêtre. Opposé au roi Charles le Chauve et à une partie de ses moines, il dut abandonner sa charge abbatiale et se retirer à l'abbaye de Saint-Riquier (849). Rentré à Corbie, il y mourut vers 860. Ses reliques furent transférées à l'église abbatiale de Corbie (12 juillet 1058), et son nom fut inscrit au calendrier liturgique de l'abbaye. De saint Paschase Radbert qui écrivit beaucoup, on a conservé une quinzaine d’ouvrages. Fidèle à l’enseignement des Pères de l’Eglise, particulièrement de saint Jérôme, de saint Ambroise, de saint Augustin et de saint Hilaire, il fit de nombreux commentaires des Ecritures dont il enseignait le sens littéral. Saint Paschase Radbert composa le premier essai systématique de théologie eucharistique, le « Liber de corpore et sanguine Domini ».

[11] Soyons donc du froment et aucune tribulation ne pourra nous nuire. Ne soyons pas de la paille : car, après avoir été la pâture des bêtes pendant la vie présente, nous serions brûlés par le feu éternel (saint Jean Chrysostome : homélie XI sur l’évangile selon saint Matthieu, 6).

[12] Quand le soleil est proche de son lever, il envoie devant lui sa lumière, et l’aurore annonce la venue du jour : ainsi avant d’apparaître au monde, Jésus fait tomber un rayon de lui sur Jean-Baptiste pour qu’il annonce sa venue. Et Jean-Baptiste prépare dignement la venue du grand roi: tel le roi, tel doit être son hérault : avec Jésus c’était l’avènement de la grâce, il fallait, pour le préparer, un homme né selon les lois, non de la nature, mais de la grâce (« Opus imperfectum in Mattheum » : homélie III).

L’« Opus imperfectum in Mattheum » est un commentaire latin anonyme, transmis mutilé, plein d’idées originales, écrit au VI° siècle, par un évêque d’Italie du nord ou d’Illyrie, que beaucoup supposent arien ; jusqu’au XVI° siècle, cet écrit était attribué à saint Jean Chrysostome.

C’était, en effet, un spectacle étrange de voir cet homme, fils d’un prêtre, qui n’ayant pas eu jusque-là besoin des hommes, sortait du désert après trente ans, et apparaissait présenté par le prophète Isaïe lui-même. Il apparaissait semblable à Elie, avec une sainteté plus grande encore. Elie n’avait point habité dans le villes : Jean-Baptiste, depuis son enfance, était au désert. Il convenait, en effet, que le précurseur de celui qui venait nous affranchir de la malédiction du travail et de la souffrance eût quelque chose de ce don et se montrât supérieur à cette malédiction... La prophétie qui s’était tue depuis si longtemps se faisait entendre à nouveau, et avec quel éclat! Il n’annonçait plus ce qu’avaient annoncé les autres, des guerres et des victoires, la famine et la peste, des destructions de villes, les Perses et les Babyloniens, mais il annonçait le royaume des cieux, le ciel et l’enfer. Il n’assemblait pas de troupes pour la révolte, mais il donnait des avis précieux pour le salut; il apprenait à mépriser les choses de la terre. Sa vie faisait entendre dans les déserts des accents plus puissants que sa voix elle-même (saint Jean Chrysostome : homélie X sur l’évangile selon saint Matthieu, 3-5).