16e dimanche des temps ordinaires

Première lecture

Lecture du livre de la Genèse (XVIII 1-10)[1].

Aux chênes de Mambré[2], le Seigneur apparut à Abraham qui était assis à l'entrée de la tente. C'était l'heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Aussitôt, il courut à leur rencontre, se prosterna jusqu'à terre et dit : « Seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur. On va vous apporter un peu d'eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher du pain et vous reprendrez des forces avant d'aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « C'est bien. Fais ce que tu as dit ».

Abraham se hâta d'aller trouver Sara dans sa tente, et il lui dit : « Prends trois grandes mesures de farine, pétris la pâte et fais des galettes ». Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau qu'on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, pendant qu'ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l'intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi dans un an, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils »[3].


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Abraham pratique de manière spontanée et empressée l’hospitalité qui est en Orient un devoir sacré : il court au devant des inconnus qui se présentent à lui, les salue respectueusement, met tout en œuvre pour apaiser leur faim et leur soif ; il a cette belle formule (traduction littérale) « Vous vous réconforterez le cœur avant d'aller plus loin ». Pour eux, il n’hésite pas à sacrifier le veau gras et tendre du troupeau. Peut-être a-t-il l'impression de donner beaucoup, même si cela lui semble naturel. En fait, il reçoit, ce jour-là, bien plus qu'il n'a donné : l'un des mystérieux visiteurs lui annonce que son vœu le plus cher et apparemment le plus fou va se réaliser : « Avant un an, ta femme Sara aura un fils ». Cette rencontre aux chênes de Mambré est une théophanie : dans les trois personnages qui sont considérés comme un seul interlocuteur par Abraham, la tradition voit la manifestation du Dieu trinitaire.

[2] Dans le livre de la Genèse, Mambré est le centre de bien des souvenirs concernant Abraham : outre l'apparition dont parle ce texte où Dieu lui annonce la naissance d'Isaac et le châtiment de Sodome, il y apprend l'enlèvement de Lot, et il y meurt (Genèse, XIV 13; XVIII 1-33; XXV 9). Isaac s'y trouve aussi à la fin de sa vie et Jacob vient s'y fixer momentanément (Genèse, XXXV 27). La localisation de Mambré est assez floue dans la Bible : tantôt il s'agit de la campagne en dehors d'Hébron (Genèse, XVIII), tantôt Mambré est identitfié avec Hébron (Genèse, XXIII 19). D'autres textes (Flavius Josèphe, Eusèbe de Césarée, saint Jérôme, Sozomène, Eutropia) parlent d`un lieu de pèlerinage assez composite, près d'Hébron, où l'on vénérait le térébinthe d'Abraham et la source qui l'accompagnait. Au temps de Constantin, l’on renversa l'autel païen et l'on construisit une basilique Les fouilles de 1926-1928 au Ramet-el-Khalil ont montré que l'enceinte actuelle, constituée de gros blocs et datant du temps d'Hadrien, renferme les traces d'une basilique byzantine, et reprend une enceinte hérodienne inachevée qui fut renversée durant la guerre de Titus. Cette enceinte renferme un vieux térébinthe, un autel et un puits. En outre les fouilles ont fait apparaître un dallage pré-hérodien, qui serait daté, d'après la céramique incluse, du IX° ou du VIII° siècle avant le Christ.

[3] Trois hommes se tiennent près d'Abraham. Abraham les voit tous les trois, mais il n'en adore qu'un seul, et il le confesse son Seigneur. L'Ecriture l'affirme : ils étaient trois à se tenir debout près de lui ; cependant le patriarche sait bien qui il doit adorer et confesser. L'aspect des trois hommes qui lui font face est identique, mais Abraham reconnaît son Seigneur avec les yeux de la foi et le regard du cœur. (...) Celui qu'Abraham adore et confesse promet qu'il reviendra l'année suivante à la même époque : alors Sara aura un fils. Dieu avait annoncé un fils à Abraham, et voilà que cet homme qui est là, devant lui, lui fait maintenant la même promesse ! Seul change le nom de celui qui promet ; la foi d'Abraham, elle, ne varie pas. Il voit un homme, et pourtant il l'adore comme le Seigneur, car il pressent le mystère de l'incarnation future. Cette foi extraordinaire d'Abraham n'a pas manqué d'attestation : le Seigneur lui-même a déclaré dans l'Evangile (évangile selon saint Jean, VIII 56) : « Abraham, votre père, a tressailli de joie à la pensée de voir mon jour. Il I'a vu et il s'en est réjoui. » (...) Toutes les manifestations mystérieuses du Fils dans l'Ancienne Alliance (...) n'annulent pas la vérité de sa nature divine ; l'aspect qu'il revêt pour s'adapter au regard de l'homme croyant ne trompe pas la foi des saints à qui il se fait voir. Car ses manifestations providentielles préfigurent le mystère du dessein sauveur de Dieu qui brillera dans l'Evangile : ce que le patriarche voit et croit, c'est ce que l'Apôtre contemple et proclame. L'Ancienne Alliance est « l'ébauche des réalités à venir » (épître aux Hébreux, X 1) ; l’apparence prise par cette ébauche annonce la vérité de l'incarnation future. Dans un homme, Dieu se laisse voir, confesser, adorer, lui qui, à la plénitude des temps, sera engendré dans un homme. Pour se montrer à Abraham, il assume une forme humaine qui préfigure ce qu'il sera réellement un jour. Il s'offre alors au regard seulement, Dieu dans l'homme, mais sans naître corporellement ; plus tard il naîtra tel qu'il est apparu. La familiarité avec l'apparence qu'il a prise pour se laisser contempler est une aide pour croire à la réalité de sa naissance. Autrefois, pour être vu en s'adaptant à la faiblesse de notre nature, Dieu assuma une forme humaine ; maintenant, à cause de la faiblesse de notre nature, il naît tel qu'il était apparu. L'ombre prend corps, I'apparence devient réalité, l'apparition nature. Dieu cependant ne change pas en lui-même, lorsque, pour nous, dans un homme il se laisse voir ou prend naissance ; naissance et vision ont d'ailleurs entre elles des caractères communs: il apparaît, tel qu'il naîtra ; tel qu'il était apparu, il naît (saint Hilaire de Poitiers : « De Trinitate », IV 25-27).