6e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Luc (VI 17 & 20-26)[1].

Jésus descendit de la montagne avec les douze Apôtres et s'arrêta dans la plaine[2]. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon.

Regardant alors ses disciples, Jésus dit : « Heureux, vous les pauvres[3] : le royaume de Dieu est à vous[4] ! Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés ! Heureux, vous qui pleurez[5] maintenant : vous rirez ! Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous repoussent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l'homme[6]. Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie[7], car votre récompense est grande dans le ciel : c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. Mais malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation ! Malheureux, vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim ! Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez. Malheureux êtes-vous quand tous les hommes disent du bien de vous : c'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes ».


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Pour éviter les confusions et les contradiction inutiles, il ne faut pas confondre ce passage avec celui des béatitudes dans l’évangile selon saint Matthieu (V 3-10) ; en effet, dans ce passage de l’évangile selon saint Luc, Jésus est « dans la plaine », alors qu’au cinquième chapitre de l’évangile selon saint Matthieu, il est « dans la montagne » ; de plus, le premier évangile donne les béatitudes au début du ministère galiléen de Jésus, tandis que le troisième met ce discours après une prédication déjà assez longue.

[2] Comment les malades pourraient-ils s’élever aux sommets escarpés ? La foule ne va pas dans les lieux élevés. Jésus, dans les régions inférieures, guérit les malades et, ensuite, leur donne la force qui leur permet de monter, nous donnant là un signe de cette bonté qui l’a porté à descendre vers nous pour penser nos blessures et par notre union avec lui nous amener à la communion avec la nature divine (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, V 46).

[3] La pauvreté nous rappelle que nous n’avons rien par nous-mêmes, que nous avons tout reçu de Dieu, que tous les biens sont communs ; elle nous anène à être soumis à Dieu, et dans cette soumission à partager tout ce que nous avons ; elle nous fait entrer en communion de la bonté divine, en attendant qu’elle nous fasse entrer en possession de sa gloire (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, IV 2).

[4] Pourquoi parler ainsi à ses disciples qui étaient de la plus humble condition ? Ils n'avaient aucune occasion de vaine gloire, eux, pauvres, pécheurs, simples gens que rien ne distinguait. Même si cette leçon ne concernait pas les disciples, elle s'adressait à ceux qui étaient là et à ceux qui la recevraient plus tard, en les mettant à l'abri du mépris. Mais elle s'adressait aussi aux disciples. Car s’ils n'en avaient pas besoin alors, ils en auraient besoin ensuite, quand ils opèreraient des prodiges et des miracles, quand ils auraient de l'honneur dans le monde et du crédit auprès de Dieu. Ni la richesse, ni la puissance, ni la royauté même n'étaient capables de les remplir d'orgueil autant que les privilèges que Dieu leur accordait. D'ailleurs, il était naturel que, avant même de faire des miracles, ils fussent exposés à cette tentation, en voyant la foule immense entourant leur Maître ; ce sentiment était bien humain. Le Seigneur réprime donc aussitôt en eux toute pensée d'orgueil. Cependant, il ne leur parle pas de commandement ou de précepte, mais de béatitude : il rend ainsi son discours plus acceptable et ouvre à tous le chemin de son enseignement. Car il ne dit pas que tel ou tel autre est heureux, mais que sont heureux tous ceux qui font telle ou telle chose. Esclave, mendiant, indigent, étranger, sans nulle considération : rien ne t'empêche d'être heureux, pourvu que tu pratiques cette vertu (saint Jean Chrysostome : homélies sur l’évangile selon saint Matthieu, XV 3).

[5] Il y a quatre sources où le juste puise ses larmes. Il pleure en pensant à ce qu’il a été et aux fautes qu’il a commises ; il pleure en pensant aux choses qui l’attendent, au jugement de Dieu ; il pleure en regardant ce qu’il est ; il pleure en levant les regards vers le séjour où il devrait être et qu’il comprend les gloires et les joies de la patrie. Dans le désir que l’âme a de la possession de Dieu, elle s’élève quelquefois jusqu’à lui par la grâce de la contemplation, et retombant sur terre, en face des misère qu’elle y retrouve, elle se croit abandonnée de Dieu et de là naissent ses larmes (saint Grégoire le Grand : Moralia in Job, XXII 21).

[6] C'est comme s'il disait : « Même si l’on vous traite de séducteurs, de charlatans, de méchants, ou de n’importe quel nom, vous êtes heureux ». Que pourrait-il y avoir de plus étrange que ces préceptes, que les autres, dit-on, doivent fuir et redouter : mendier, pleurer, subir la persécution et l'insulte ? Et pourtant le Christ l'a dit, l'a persuadé, non à deux, à dix, à cent, à mille personnes, mais au monde entier. Et en écoutant des choses si terribles, si contraires aux habitudes du monde, les foules étaient frappées d'étonnement, tant était grande la puissance de celui qui parlait. Mais ne va pas croire qu'il nous suffit de recevoir des injures pour être bienheureux. A cela le Christ a posé deux conditions : que ces injures soient souffertes pour lui et qu'elles soient mensongères. S’il n’en est pas ainsi, celui qui les subit n'est pas heureux, il est même à plaindre (saint Jean Chrysostome : homélies sur l’évangile selon saint Matthieu, XV 8).

[7] Seuls les chrétiens estiment les choses à leur vraie valeur, et ils n'ont pas les mêmes motifs de se réjouir et de s'attrister que le reste des hommes. A la vue d'un athlète blessé, portant sur la tête la couronne du vainqueur, celui qui n'a jamais pratiqué aucun sport considère seulement les blessures qui font souffrir cet homme. Il n'imagine pas le bonheur que lui procure sa couronne. Ainsi font les gens dont nous parlons. Ils savent que nous subissons des épreuves, mais ignorent pourquoi nous les supportons. Ils ne considèrent que nos souffrances ! Ils voient les luttes dans lesquelles nous sommes engagés et les dangers qui nous menacent. Mais les récompenses et les couronnes leur restent cachées, non moins que la raison de nos combats. Que voulait dire Paul en affirmant : « On nous croit démunis de tout, et nous possédons tout » (II Corinthiens, VI 10) ? Il entendait par là les biens terrestres et spirituels. Lorsque les villes le recevaient comme un ange, que les gens se seraient fait arracher les yeux pour les lui donner et qu'ils se seraient laissé couper la tête pour lui, n'avait-il pas toutes leurs richesses à sa disposition ? Et si tu veux considérer les biens spirituels, tu reconnaîtras qu'il les possédait aussi en abondance. Aimé du Roi de l'univers, du Maître des anges, au point de partager ses secrets, il était le plus riche de tous, et tout lui appartenait. Aucun démon n'était capable de résister à son autorité, aucune souffrance ni maladie ne pouvait lui imposer sa loi. Pour ce qui nous regarde, quand nous sommes soumis à l'épreuve à cause du Christ, supportons-la vaillamment, bien plus, avec joie. Si nous jeûnons, bondissons de joie comme si nous étions dans les délices. Si l'on nous outrage, dansons allègrement comme si nous étions comblés d'éloges. Si nous subissons un dommage, considérons-le comme un gain. Si nous donnons au pauvre, persuadons-nous que nous recevons. Celui qui ne donne pas de cette manière, ne donne pas de bon cœur. Aussi bien, quand tu veux faire un don à quelqu'un, ne considère pas seulement ce que cela te coûte. Songe plutôt que tu en retires un profit plus important, car ceci l’emporte sur cela. En faisant l'aumône, comme en pratiquant n'importe quelle vertu, pense à la douceur de la récompense, plutôt qu'à la dureté du sacrifice. Avant tout, rappelle-toi que tu combats pour le Seigneur Jésus. Alors tu entreras de bon cœur dans la lutte et tu vivras toujours dans la joie, car rien ne nous rend si heureux qu'une bonne conscience (saint Jean Chrysostome : homélie XII sur la deuxième lettre aux Corinthiens, 4).