2e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (II 1-11).

Et le troisième jour[1], il y eut une noce[2] à Cana[3] de Galilée[4], et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à la noce, ainsi que ses disciples. Et le vin venant à manquer, la mère de Jésus[5] lui dit : « Ils n'ont pas de vin »[6] . Et Jésus lui répondit : « Femme, qu’y-a-t-il entre toi et moi ?[7] Mon heure n'est pas encore arrivée[8] ». Sa mère dit aux servants : « Faites tout ce qu'il vous dira ». Il y avait là six jarres de pierre destinées aux purifications des Juifs[9], et contenant chacune deux ou trois mesures[10]. Jésus dit aux servants : « Remplissez d'eau ces jarres ». Et ils les remplirent jusqu'au bord. Et il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en à l’intendant du festin ». Ils lui en portèrent. Quand l’intendant eut goûté l’eau devenue du vin (et il ne savait pas d'où cela venait, mais les servants le savaient, eux qui avaient puisé l'eau), l’intendant appela le marié et lui dit : « Tout le monde sert d’abord le bon vin, et, quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à présent »[11].

Tel fut le premier des signes de Jésus[12] ; il le fit à Cana de Galilée. Et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui[13].


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Le chapitre premier de l’évangile selon saint Jean se partage en quatre journées : à la première, Jean-Baptiste annonce la manifestation du Christ aux pharisiens ; à la deuxième, Jean-Baptiste montre l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde et raconte son baptême ; à la troisième, Jean-Baptiste montre l’Agneau de Dieu à deux de ses disciples, dont l’un est André, qui suivent Jésus ; la quatrième, André amène son frère Simon à Jésus qui lui donne le nom de Pierre ; à la quatrième, Jésus part pour la Galilée, après avoir appelé Philippe de Bethsaïde et Nathanaël de Cana (Barthélemy). La quatrième journée semble être le premier des trois jours évoqués au début du deuxième chapitre.

[2] L’évangile selon saint Jean qui ne raconte pas plus de sept miracles, met le premier très en relief, tant parce qu’il résume dans sa symbolique de l’histoire du salut que parce qu’il donne de l’importance aux noces, sanctifiées par la présence de Jésus. Il n’est pas sans exemple, tant s’en faut, qu’au cours de la longue histoire de l'Eglise, des hérétiques, emportés d'un faux zêle, en vinrent à proscrire le mariage. Si ces faux docteurs « continents », comme on les appelait, ont pu facilement être démasqués et taxés d'herésie, ce fut à cause de l’approbation que Notre Seigneur a manifestement donnée à l'union légitime des époux en assistant aux noces de Cana et, si l’on peut dire, en sauvant l’ambiance de ces noces par le miracle qu’il y fit. D’autres hérétiques, aujourd'hui plus répandus, ne veulent plus de l’institution du mariage qu’ils estiment surannée et contraire à la liberté. Ceux-là aussi voient se lever contre eux l'approbation de Jésus aux noces de Cana. Tout permet de croire que Notre Seigneur Jésus-Christ voulut participer à la joie des noces, parce qu'elles consacrent au nom de Dieu la vie commune où deux êtres qui s'aiment, cherchent le bonheur, et s'engagent à prendre à cœur la tâche échue aux parents d’élever de nouveaux enfants dans la pratique du bien. Chez tous les peuples, le mariage donne le signal de réjouissances. La principale, en Israël comme partout, était un festin, qui réunissait dans une fête deux familles jusqu'alors étrangères l’une à l'autre.

[3] Cana dont le nom vient de l’hébreux qaneh qui signifie roseau, est généralement identifié avec l’actuel bourg galiléen Kefr-Kenna, situé entre Nazareth et le lac de Génésareth (à six kilomètres au nord de Nazareth) ; d’autres préfèrent identifier Cana avec l’Hirbet Qana (à treize kilomètres et demi au nord de Nazareth), sise dans un environnement marécageux qui justifierait bien son nom. L’apôtre Nathanaël que nous appelons communément Barthélemy était originaire de Cana (évangile selon saint Jean, XXI 2). Un jour que Jésus revint à Cana, il y guérit le fils du fonctionnaire royal (évangile selon saint Jean, IV 46-54).

[4] L’Evangéliste précise de Galilée pour qu’on ne confonde pas avec Qana, ville de la tribu d’Azer (Josué, XIX 28), à douze kilomètres au sud-est de Tyr, qui fut une des capitales des Phéniciens.

La Galilée est la région septentrionale de la Palestine, limitée par la plaine de Yizréel, le Jourdain, Tyr et Sidon.

[5] De la source de la compassion, que pourrait-il sortir, sinon de la compassion ? Celui qui aura gardé une pomme dans sa main pendant une matinée, en conservera l’odeur toute la journée : combien plus gardera-t-elle le parfum du Christ celle qui l’a possédé pendant neuf mois ! Il avait rempli son cœur avant de descendre en son sein, et quand il en est sorti, il n’a cessé de résider en son cœur (saint Bernard : sermon du premier dimanche après l’octave de l’Epiphanie).

[6] Elle interpelle son Fils et comme chargée des intérêts de tous, se sentant l’avocate de tous, ayant été créée pour tous, elle entre dans son rôle d’avocate et d’auxiliatrice. Il semble qu’il n’y ait pas besoin de l’exciter, ayant toujours le regard de sa bonté fixé sur nous, soucieuse de toutes nos misères, d’elle-même elle intercède auprès de son Fils (saint Bernardin de Sienne).

Elle sait qu’il a commencé sa vie publique : que Jean-Baptiste qui était venu à cause de lui, lui a rendu témoignage, qu’il a des disciples, et c’est pourquoi elle lui demande avec confiance (saint Jean Chrysostome : homélie XXI sur l’évangile de saint Jean, 2).

Marie demandait pour nous et c’est pourquoi elle avait cette hâte (saint Ambroise : commentaire du psaume CXVIII).

[7] Mais, Seigneur, n’y-a-t-il pas entre vous et elle ce qu’il y a entre le fils et la mère ? N’êtes-vous pas le fruit béni de son sein virginal ? N’est-ce pas elle qui vous a porté neuf mois en ses entrailles et ensuite nourri de son lait ? N’est-ce pas avec elle que vous êtes venu à Jérusalem, à l’âge de douze ans ? N’est-ce pas à elle que vous étiez soumis ? Pourquoi maintenant la contrister ? Mais je sais que vous ne voulez pas la contrister, puisqu’elle recommande avec tant d’assurance de faire tout ce que vous direz. C’est donc pour nous que vous parlez ainsi, pour nous donner une leçon (saint Bernard : deuxième sermon dans l’octave de l’Epiphanie).

Et il semble d’après la réponse que lui fait Jésus, que la demande de Marie va beaucoup plus loin qu’à l’obtention d’un breuvage matériel : qu’elle va obtenir cette effusion de l’Esprit Saint qui devait remplir les âmes d’une ivresse spirituelle, et que Jésus ne devait accorder qu’après sa Passion et sa Résurrection. Et Marie sait que sa demande est acceptée : l’avis qu’elle donne aux serviteurs en est la preuve. Elle connaît la signification du miracle qui va s’accomplir : quel secret pourrait ignorer celle qui est la Mère de la Sagesse, le temple de Dieu, digne de Dieu ? (saint Gaudence de Brescia : sermon IX).


Gaudence fut élu évêque de Brescia pour succéder saint Filastre (après 385), bien qu’il se trouvât alors en Orient d’où il revint avec des reliques de martyrs ; il hésita beaucoup puis accepta. La qualité de sa doctrine et de son éloquence amenèrent des sténographes à recueillir et à répandre ses sermons. Benevolus qui, jusqu'en 386, avait été magister memoriæ de Valentinien II (383-392), le pria d’écrire dix homélies de la semaine de Pâques que la maladie l'avait empêché d'entendre (Gaudence en ajouta cinq ; six autres complètent le recueil). Son mérite fit de Gaudence un des ambassadeurs que le pape Innocent I° (407-417) et l'empereur d'Occident Honorius I° (395-423) envoyèrent à Constantinople pour demander le retour d'exil de saint Jean Chrysostome (406), d'ailleurs sans succés. L'exilé écrivit à Gaudence une lettre de remerciements « pour la ferveur et l'authenticité » de sa charité. Gaudence eut aussi comme amis les évêques Chromace d'Aquilée, Simplicien de Milan, Nicéta de Rémésiana et l'écrivain Rufin d'Aquilée. Gaudence gouverna l'église de Brescia au moins quatorze ans. On estime qu'il mourut vers 410. Il fut inhumé dans la basilique « de l'assemblée des saints » à Brescia (actuelle Saint-Jean-l'Évangéliste) qu’il avait consacrée.

[8] Ce n’est pas dans ce moment l’heure pour moi de vous reconnaître pour ma mère ; je le ferai, mais à mon heure, quand cette nature passible que j’ai reçue de vous sera suspendue à la Croix, c’est alors que je vous reconnaîtrai pour ma mère (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, VIII 9).

[9] Toutes les écoles rabbiniques affirment que les urnes de pierre ne sont pas susceptibles de contracter des impuretés ; ils les recommandent pour les ablutions légales : lavage des mains, des pieds, des plats (évangile de saint Matthieu, XV 2 ; évangile de saint Marc, VII 3 et suivants ; évangile de saint Luc, XI 39).

Au sens mystique, les six urnes signifient les six époques de l'Ancien Testament durant lesquelles avaient été préparés et proposés en exemple de vie les cœurs des hommes réceptifs aux Ecritures. Le terme même de mesures, d'après saint Augustin se, se rapporte à la Trinité des personnes. Et Jean dit deux ou trois, parce que la Sainte Ecriture nomme clairement tantôt trois Personnes, comme le fait saint Matthieu rapportant ces paroles du Christ : « De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit », tantôt deux seulement, le Père et le Fils, avec lesquels est sous-entendue la Personne du Saint Esprit, qui est le lien des deux autres ; c'est ainsi qu'il sera dit plus loin : « Si quelqu'un garde ma parole, mon Père l'aimera et nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure ». On peut dire aussi : deux mesures, en raison des deux conditions des hommes, Juifs et Gentils, à partir desquelles fut construite l’Eglise ; ou trois, à cause des fils de Noé par qui fut propagé le genre humain après le déluge (saint Thomas d’Aquin : commentaire de l’évangile selon saint Jean, II 1, n° 357).

[10] La mesure dont il s’agit est probablement le bat, la plus grosse mesure de capacité des liquides qui contient vingt-et-un litres.

[11] Le Christ n'est pas venu pour remplir de bon vin les jarres, mais pour arroser les cœurs de la grâce du Saint-Esprit. Le Seigneur voulut donc que les convives goûtassent la saveur de ce vin excellent qui n'était auparavant que de l'eau. Combien désire-t-il davantage que les croyants goûtent la sagesse de la résurrection céleste qui transformera l'humble condition de la chair. Ce signe contient en effet tout le mystère de la résurrection. L'eau n'a ni valeur, ni couleur, ni chaleur ; voici qu'elle devient du vin qui, lui, est précieux, rouge et chaud. Cela signifie que la substance du corps humain qui est également sans valeur, sans couleur en raison de sa faiblesse et glacée dans la mort, doit être transformée lors de la résurrection en la gloire qui est précieuse par son éternité, colorée par la grâce et brûlante de l'esprit d'immortalité... Comme l'eau changée en vin avait pris une saveur, une couleur et une chaleur qu'elle n'avait pas auparavant, ainsi des apôtres : leur ignorance devint une science savoureuse, ce qui en eux n'avait pas d'éclat prit de la couleur, ce qui en eux était froid commenga à brûler des ardeurs de l'immortalité (saint Maxime de Turin : première homélie de l'Epiphanie).


D’après Gennade (vers 500), saint Maxime fut un évêque Turin, appliqué à l'étude des Ecritures qu’il était habile à exposer au peuple ; il situe sa mort sous le règne d'Honorius et de Théodose le Jeune, entre 408 et 423. Ce témoignage fut communément accepté jusqu'au XVI° siècle où l’on découvrit la signature d'un évêque Maxime de Turin dans les actes des conciles de Milan (451) et de Rome (465). Admettant qu’il y eut deux Maxime, Baronius qui estime que Gennade s’est trompé, place la mort de l'auteur après 465, ce que les historiens du Piémont n'acceptent pas aisément ; selon F. Savio, il y eut deux évêques homonymes : l’auteur des homélies et le signataire des actes conciliaires, opinion aujourd’hui admise. Selon ses homélies, Maxime qui est né hors de Turin, semble avoir passé une partie de sa vie à la campagne où le christianisme coexiste avec le paganisme qui ne se résigne pas à cèder : les fidèles se détachent difficilement des coutumes idolâtriques ; dans la communauté, des hérétiques ariens sont terrés comme des renards pour dévorer les poussins de la mère Eglise. Plusieurs sermons font allusion aux invasions barbares.

[12] Lorsque l’Evangéliste dit « le premier des signes », il veut dire que le miracle de Cana est l’archétype des signes que fit le Seigneur, qui contient déjà tous les autres ; d’aucun des autres signes il ne sera dit que Jésus « manifesta sa gloire. »

Le thème des noces (le mot est répété trois fois non sans insistance) fait songer à la Nouvelle Alliance, aux définitives épousailles de Dieu et de son peuple promises par les prophètes ; Jésus est ici lui-même l'Epoux (évangile selon saint Jean, III 29) : c'est lui en effet qui donne le vin pour la fête. Néanmoins le symbole central est le remplacement de l'eau des purifications juives, image des pratiques rituelles juives et de tout l'ancien régime religieux, par le vin nouveau des temps messianiques. Ainsi est-ce là pour saint Jean un signe qui, à la manière de tous ceux qui suivront, doit révéler, à qui sait le lire dans la foi, le secret personnel de Jésus : il est l'Envoyé du Père, le seul qui puisse donner le vin de la Sagesse, le vin de la joie éternelle ; personne désormais ne peut aller à Dieu que par lui, sa seule présence rend caduques toutes les institutions religieuses antérieures : « Si la loi fut donnée par Moise, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (évangile selon saint Jean, I 17). C'est à la lumière de ce « signe » johannique qu'il faut essayer de comprendre les propos échangés entre Jésus et sa mère. Quand Marie dit : « Ils n ont pas de vin », sa parole peut être entendue comme une poignante réflexion sur la vanité des rites juifs, sur l'impuissance de la loi de Moïse à sauver l'homme ; par sa bouche, c'est l'ancien Israël qui avoue son manque, son insuffisance. Saint Jean aurait pu nous expliquer ici, comme il le fera au chapitre II (verset 21), l’apparent malentendu entre Jésus et Marie, en écrivant : « Mais lui pensait à un autre vin, celui du monde nouveau qu'il devait donner, son heure venue, c'est-à-dire par sa mort et sa résurrection. » Par cet apparent malentendu, l'attention du lecteur est attirée sur le fait que le signe qui va suivre ne pourra se comprendre vraiment avant que l’heure ne soit venue. En attendant, à travers la réponse du Christ à sa Mère, le lecteur attentif comprend que Jésus révèle ici que Marie est appelée à un dépassement de la maternité humaine (Jésus lui dit « Femme ») : le temps des relations familiales naturelles est fini, Jésus n'est pas seulement son fils, mais d'abord le Fils de Dieu tout entier à sa mission. Marie va devoir passer de son rôle de mère humaine du Christ à sa fonction de mère de l'Église, de mère des croyants, ce qui sera fait totalement au pied de la croix (évangile selon saint Jean, XIX 25-27).

[13] Tâchons de reconnaître le sens mystique du miracle. Que représentaient ces noces à la célébration desquelles assistait le Sauveur ? Elles étaient certainement la figure de celles par lesquelles le Christ s' est uni à l’Eglise ; car pareil à un époux qui sort de sa couche nuptiale (Psaume XVIII 6), il s'est approché, en vertu du contrat d’alliance, de sa fiancée ; et alors il a changé son œuvre : avec de l’eau il a fait du vin, c'est-à-dire qu'avec des Gentils il a fait des fidèles. I1 y a donc un changement de l'eau en vin quand les infidèles deviennent chrétiens, quand les avares se font généreux... Ainsi donc Jésus change de l'eau en vin quand, par sa divine opération, un homme que son infidélité rendait vil devient précieux en raison de ses sentiments religieux (saint Pierre Chrysologue : sermon pour l'Epiphanie).