2ème dimanche de Carême

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Marc (IX, 2-10).

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l'écart sur une haute montagne[1]. Et il fut transfiguré[2] devant eux[3]. Ses vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Elie leur apparut avec Moïse[4], et ils s'entretenaient avec Jésus[5].

Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes: une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie[6]. » De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre[7], et de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé[8]. Ecoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux[9].

En descendant de la montagne[10], Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu'ils avaient vu, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire :  ressusciter d'entre les morts.


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Ceux qui veulent contempler Dieu ne doivent pas s'arrêter dans les jouissance de la terre, mais aspirer aux choses d'en-haut ; il faut chercher Dieu, non dans les bas-fonds de ce siècle, mais dans le royaume de Dieu (saint Rémi d'Auxerre).

Selon la Tradition, cette haute montagne est le Thabor que les Arabes appellent le Djebel-el-Toûr, la montagne par excellence, la Sainte Montagne. Long de 1200 m. et large de 400 m. à son sommet, le Thabor s'élève à 600 m. au-dessus de la plaine d'Esdrelon et à 562 mètres au-dessus du niveau de la mer. Situé aux confins des territoires d'Issachar, de Nephtali et de Zabulon, point naturel de défense contre les invasions, le Thabor se prêtait aux rassemblements nationalistes, même un siècle et demi après la conquête du pays par Josué. On s'y réunissait aussi pour les sacrifices d'expiation. Sous les Juges, alors que Yabîn, roi de Canaan, opprimait les Israélites de la plaine, la prophétesse Débora convoqua sur le Thabor dix mille soldats commandés par Baraq ; sur son ordre, ils dévalèrent la montagne et bousculèrent l'armée de Yabîn, dirigée par Sisera. Celui-ci s'enfuit chez Yaël, femme de Héber le Génite, qui le tua (Livre des Juges IV et V). Retombés dans l'idolâtrie, les Hébreux tombèrent aux mains des Madianites et des Amalécites, qui ravagèrent les récoltes de la plaine d'Yizréel. Les Hébreux durent se réfugier dans les grottes qu'on retrouve encore sur le flanc sud du mont. La renommée du Thabor inspira les prophètes. Annonçant l'invasion de l’Egypte par Nabuchodonosor, Jérémie compare celui-ci au « Thabor parmi les monts et au Carmel surplombant la mer » (Psaume LXXXIX 13), Eusèbe de Césarée et saint Jérôme trouvaient dans ces oracles une allusion à la Transfiguration. Lors de la révolte juive contre les Romains (66 de notre ère), afin d'échapper aux légions de Vespasien conduites par Placidus, Flavius Josèphe, gouverneur de Galilée, se retira sur le Thabor et, en quarante jours, édifia trois kilomètres de murs. Mais en octobre 67, Placidus attira les Juifs dans la plaine et les écrasa, ce qui lui permit de s'emparer de la montagne. Bien sûr, si l'événement qui a immortalisé le Thabor est la Transfiguration du Seigneur, une tradition situe également sur le Thabor une apparition du Christ à l'ensemble de ses apôtres et de ses disciples, peut-être les cinq cents frères dont parle saint Paul (« Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois » Corinthiens XV 6).

[2] L’évangile selon saint Luc (IX 29) dit : « Or, comme il priait ».

[3] Il voulait prémunir ses disciples contre le scandale de la Croix ; et en leur faisant apparaître un rayon de sa gloire cachée, les empêcher d'être troublés par les humiliations de cette Passion à laquelle il se portait volontairement. Avec une sagesse non moins haute, il constituait l'espérance de son Eglise, de façon que le Corps du Christ connût quelle transformation devait se faire en lui, et que les membres se missent à espérer cette gloire dont il disait en parlant des splendeurs de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de mon Père (saint Léon le Grand : sermon LI 3).

[4] L’Ancien Testament, la loi et les prophètes, en Moïse et Elie, apparurent aux côtés de Jésus. Jésus s'était réclamé de Moïse (évangile selon saint Jean, V 46), Elie devait frayer la voie au Messie et le signaler à Israël ; l’un et l'autre en apparaissant aux côtés de Jésus montrent la continuité des deux testaments, la subordination de la loi et des prophètes au Christ qui, par son Evangile, vient non les abolir, mais les compléter et réaliser les oracles d'autrefois. Partout où il sera divulgué, ce recit de l'entretien du Christ avec Moïse et Elie contribuera à anéantir les attaques des docteurs contre la doctrine et la mission de Jésus et à effacer aux yeux des autres Juifs le scandale de la croix. Le sujet de l’entretien dont parle saint Luc (parlaient de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem, IX 31) confirme, en outre, cette annonce de la passion qui avait tant scandalisé saint Pierre quelques jours auparavant.

[5] Il voulait leur montrer qu'il avait pouvoir sur la vie et sur la mort, qu'il commandait au ciel et à la terre ; et c'est pour cela qu'il fait venir près de lui celui qui n'était pas encore mort et celui qui était mort depuis tant d'années. Quels beaux exemples apportaient aussi ces deux hommes, pour encourager les apôtres à pratiquer la doctrine qu'il leur avait prêchée, la doctrine du sacrifice ! L'un et l'autre avaient su sacrifier leur vie pour la retrouver. L'un et l'autre avaient su résister avec fermeté et constance aux tyrans, l'un à Pharaon, l'autre à Achaz, et cela pour un peuple ingrat et indocile. Tous deux avaient vécu dans la pauvreté. Tous deux avaient accompli de grands prodiges. Jésus veut les donner en modèle à ceux qu'il établit les chefs du peuple nouveau ; il veut que dans le gouvernement des âmes ils aient le zèle d'Elie et la douceur de Moïse. Sans doute Elie avait fait tomber le feu du ciel sur les prévaricateurs, et un jour ses apôtres s'en souvenant lui diront : Voulez-vous que nous fassions descendre le feu du ciel sur vos adversaires ?Mais il leur rappellera qu'ils sont appelés à une justice plus parfaite (saint Jean Chrysostome : homélie LVI sur l'Evangile selon saint Matthieu, 2).

[6] Il se trompait, car avant de jouir de cette gloire, il faut travailler, il faut pâtir. Si tu étais resté avec ton maître sur la montagne, ô Pierre, les promesses qui t'ont été faites n'auraient pas sorti leur effet ; tu n'aurais pas été l'introducteur au royaume des cieux ; le ciel n'aurait pas été ouvert au larron ; la tyrannie de la mort n'aurait pas été détruite ; l'enfer n'aurait pas rendu sa proie ; les patriarches n'auraient pas été délivrés des enfers ; la nature humaine n'aurait pas été revêtue de l'immortalité. Le Seigneur a pour des desseins plus grands que ceux que tu formes toi-même : il t'a proposé, non à la construction de trois tentes, mais à la construction de l'Eglise universelle. Ce que tu voulais faire, ce sont tes disciples qui le feront et qui construiront sur cette montagne trois temples en l'honneur du Christ, de Moïse et d'Elie (saint Jean Damascène : Homélie sur la Transfiguration, 16).

[7] Voilà que la nuée leur devient à tous quatre une seule demeure (saint Augustin : sermon LXXIX).

[8] C’est ici mon Fils, mon Fils par excellence mon Fils propre, non un fils venant d’une autre nature et rapproché de moi par l’adoption, mais mon vai Fils, né de mon essence, éga1 à moi en tout ; et s’il est une autre personne distincte de celle qui 1’a engendré, le Père qui l'a engendré ne permet pas de penser de lui autre chose de ce que l’on pense du Père lui-même (saint Léon le Grand : sermon LI 5).

[9] En contrebas de la montagne, au village de Daboûrieh, on conserve, depuis le Moyen-Âge, le souvenir de la parole de Jésus : Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts prononcée alors qu'il descendait du Thabor avec Pierre, Jacques et Jean. À cet endroit fut construite une église, signalée par les pèlerins à partir de la fin du XIIIème siècle et dont subsistent des vestiges.

[10] Et maintenant, ô Pierre, toi qui désirais demeurer sur la montagne de la Transfiguration, il faut descendre ; toi qui voulais demeurer dans ce doux repos, il faut prêcher, exhorter, reprendre à temps et à contretemps ; il faut travailler, suer, souffrir ; il faut que par ton travail accompli dans la charité, tu établisses en ton âme cette blancheur et cette beauté qui apparaissent dans les vêtements de ton maître (saint Augustin : sermon LXXVIII 6).