32e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Marc (XII 38-44).

Dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes[1], qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d'honneur dans les dîners[2]. Ils dévorent les biens des veuves[3] et affectent de prier longuement ; ils seront d'autant plus sévèrement condamnés »[4].

Jésus s'étant assis (dans le Temple) en face du Trésor, il regardait comment la foule mettait de la menue monnaie dans le Trésor[5]. Et beaucoup de gens riches en mettaient beaucoup.

Et vint une pauvre veuve qui mit deux leptes, c’est-à-dire un quart d’as[6]. Jésus appelant à lui ses disciples, il leur dit[7] : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde[8]. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence[9] : elle a tout donné[10], tout ce qu'elle avait pour vivre[11] ».


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Les scribes étaient les spécialistes des saintes Ecritures. Diverses appellations servaient à préciser leur identité : hommes du Livre, hommes de la Loi, docteurs de la Loi. Au temps de Jésus, il était courant de leur donner le titre de rabbi (maître). A l'origine, les scribes étaient des prêtres qui, lors de l’exil à Babylone où ils ne pouvaient exercer le culte, ont relu et mis en forme les traditions. A partir du III° siècle avant Jésus Christ, la profession fut exercée par des laïcs. L'origine des scribes semble remonter à Esdras, prêtre de naissance et scribe de métier (Esdras, VII 6.11-12 ; Néhémie, VIII 1), qui eut un rôle essentiel dans la réorganisation de la société israélite au retour de l'exil, et la mise sur pieds de la nouvelle institution qu’était la synagogue. L'autorité et le prestige des scribes suivirent la courbe de l'évolution de la religion juive qui, après l'exil et la faillite des institutions anciennes (royauté et sacerdoce), fut progressivement devenue la religion du Livre. Toute la vie religieuse consistait donc à connaître la Torah, à l'interpréter en fonction des situations nouvelles. Les scribes étaient donc les éducateurs et les guides spirituels du peuple, tandis que les prêtres étaient des fonctionnaires du culte. Les scribes qui étaient souvent de tendance pharisienne, défendaient la Tradition orale. Gagnant ainsi la faveur du peuple (Livre de l’Ecclésiastique, XXXIX 1-15), ils avaient une grande influence au Sanhédrin, le grand Conseil de la nation. Les scribes qui avaient favorisé l'approfondissement de la religion, avaient aussi versé dans un légalisme étroit. Leur souci de protéger la Torah par des prescriptions détaillées avait contribué à surcharger la religion de minuties masquant l'essentiel. Dans les évangiles, Jésus proféra de nombreuses invectives contre la tendance des scribes à restreindre la religion à un groupe de parfaits.

[2] Ce sont des choses bien mesquines et bien misérables, et elles ont été cause de bien grands maux ; elles ont ruiné des cités et des églises entières (saint Jean Chrysostome : homélie LXXII 2).

[3] La veuve désargentée qui ne pouvait se remarier ou retourner dans sa famille, si elle ne résolvait pas à pratiquer la prostitution, (Genèse, XXXVIII 14-30) ou à vivre en concubinage, il ne lui restait souvent pas d'autre solution que de chercher refuge dans le Temple. Si les veuves de la communauté chrétienne primitive ne reprenaient pas un mari chrétien, et n'avaient pas de famille, elles étaient secourues par les membres fortunés de la communauté où elles pouvaient remplir certaines fonctions officielles, à condition de satisfaire à des exigences précises : « Pour être inscrite comme veuve, il faut avoir au moins soixante ans, n’avoir eu qu’un mari, se recommander par ses œuvres belles, avoir élevé des enfants, exercé l’hospitalité, avoir lavé les pieds des saints, assisté les affligés, s’être adonnée à toute œuvre bonne » (première épître de saint Paul à Timothée, V 9-10).

[4] Si quelqu'un trouve bon de désirer une haute charge, qu'il désire l'œuvre que celle-ci permet de réaliser et non le grand honneur qui lui est attaché ; qu'il veuille aider et servir tous les hommes, plutôt qu'être aidé et servi par tous. Car le désir d'être servi procède de l'orgueil pharisaïque, et le désir de servir naît de la sagesse et de l'enseignement du Christ. En vérité, ceux qui sollicitent les honneurs et les réclament pour eux-mêmes sont ceux qui s'élèvent. Et ceux qui se réjouissent d'apporter leur aide et de servir sont ceux qui s'abaissent pour que le Seigneur les élève (saint Paschase Radbert : homélie X sur 1'évangile selon saint Matthieu).

[5] Jésus s’était retiré dans le parvis des femmes, vaste cour carrée entourée de trois côtés par une colonnade supportant une galerie d’où les femmes pouvaient assister aux cérémonies religieuses. Un large escalier semi-circulaire de quinze marches conduisait au parvis d’Israël. C’est sans doute sur l’un de ces degrés que Jésus s’était assis ; de là, il voyait sur sa gauche la salle du trésor le long de laquelle, d’après le Talmud, se trouvaient treize troncs au goulot étroit et évasé par le bas, d’où leur nom de trompettes. Les fidèles y jetaient leurs aumônes et, à l’époque de la Pâque, l’affluence autour des troncs était énorme. Certains en profitaient pour jeter à pleines mains et avec ostentation de la monnaie de cuivre ou de bronze. Ils eussent pu s’acquitter plus commodément de la même offrande en monnaie d’argent, mais l’attention des pèlerins n’eut pas été attirée par leur générosité bruyante.

[6] La lepte, pièce de bronze, la plus petite des monnaies grecques (environ un gramme) qui vaut un quart d’as, le quadrans, la plus petite des monnaies romaines laquelle équivaut à un seizième de denier (le sestertius vaut quatre as ; le dupondius vaut deux as. « Dans les deux oboles qu’offre cette femme, vous pouvez reconnaître la foi et la miséricorde. Elle croit offrir peu, et en réalité il était impossible d’offrir quelque chose de meilleur (saint Ambroise : « De Viduis », V 29).

[7] Il avait mis ses disciples en garde contre la recherche des premières places, contre la vaine gloire que l'on retirait des longues prières ; il se fait maintenant le juge des offrandes que l'on apportait au temple. Ainsi fera-t-il dans son Eglise jusqu'à la fin des siècles (saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Marc).

[8] La libéralité ne se mesurera plus à la grandeur du don, mais à la grandeur de la générosité que l'on a dans le cœur. Une obole venant de la pauvreté vaudra plus qu'une grosse somme d'argent venant d'une grande fortune. Dieu ne regardera pas ce que l'on donne, mais ce que l'on se réserve (...) Que de travaux représentaient ces deux oboles, travaux de jour et de nuit ! Que de travaux il lui avait fallu soutenir pour élever ses enfants et pour pouvoir donner encore quelque chose. Et elle avait accepté tout cela pour garder pur le lit conjugal. Ces deux oboles étaient la rançon de sa courageuse chasteté... Ces deux oboles venaient du même trésor que les riches présents des Mages (saint Ambroise : « De Viduis », V 27 & 31).

[9] Dieu ne regardera pas ce qu'on donne, mais de quel cœur on le donne (saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Marc).

[10] Rappelons-nous cette veuve qui se préoccupait des pauvres sans se soucier d'elle-même. Ne pensant qu'à la vie future, elle abandonna tous ses moyens d'existence comme le Juge lui-même l'a attesté. Les autres, en effet avaient donné du surplus de leur biens. Cette femme, qui avait pour toute fortune deux petites pièces de monnaie était peut-être plus dépourvue que beaucoup de pauvres mais les richesses de son cœur dépassaient celles de tous les riches. Elle n'avait en vue que les richesses de la récompense éternelle. Elle ne désirait que le trésor céleste et, d'un seul coup, elle s'est dépouillée de tous ses biens, ceux qui viennent de la terre et qui retournent à la terre (saint Paulin de Nole : épître XXXIV 3).

[11] Ne reconnaissez-vous pas dans cette pauvre veuve l'Eglise qui apporte ses présents à Dieu ? Elle est pauvre, car elle repousse loin d'elle l'esprit de superbe et l'amour des richesses de la terre. Elle est veuve, car son époux a subi la mort pour elle, et maintenant il est bien loin d'elle. Et pendant que les Juifs offraient orgueilleusement à Dieu leur justice acquise par les œuvres de la Loi, l'estimant une richesse immense, l'Eglise offrait avec humilité, s'estimant heureuse de la voir acceptée par Dieu, la double obole de sa foi et de sa prière, ou encore de son amour de Dieu et du prochain. En les regardant par rapport à sa faiblesse, elle les estimait peu de chose ; mais à cause de la pureté de son intention, son offrande l'emportait de beaucoup sur l'offrande fastueuse des Juifs (saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Marc).