27e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Marc (X 2-16).

Un jour, des pharisiens[1] abordèrent Jésus et, pour le mettre à l'épreuve ils lui demandèrent : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui répondirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d'établir un acte de répudiation[2] ». Jésus répliqua : « C'est en raison de votre endurcissement[3] qu'il a formulé cette loi[4]. Mais, au commencement de la création, il les fit homme et femme. A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu'un. Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ![5] »

De retour à la maison, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur répondit : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère[6] ».

On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartaient vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi[7]. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent[8]. Amen, je vous le dis : Celui qui n'accueille pas le royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas[9] ». Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Flavius Josèphe fait apparaître les pharisiens au temps de Jonathas (161-143). Ils auraient formé un parti sous Jean Hyrkan (134-104) afin de lutter contre sa politique trop modernisante. Continuateurs des Hasidim, ils forment donc une opposition religieuse qui les fait « se séparer » des autres (« peroushim » = séparés ; entre eux ils s'appelaient plutôt « haberim » = compagnons). La plupart étaient des laïcs recrutés parmi les scribes qui copiaient et enseignaient la Bible (docteurs de la Loi). Ils insistaient particulièrement sur l'observation du sabbat et les purifications légales. Ils croyaient à l'immortalité de l'âme et à la résurrection des corps. Absolus partisans de la tradition orale, ils considéraient l'opinion des docteurs comme aussi importante que la Loi elle-même. Au temps de Jésus ils étaient les directeurs spirituels du peuple juif, et après la chute de Jérusalem (70), leur influence demeura seule prépondérante à l'intérieur du judaïsme. Leur mentalité juridique les a déformés jusqu’au formalisme qui les a de plus en plus écartés de la religion intérieure ; leur connaissance de la Loi leur a donné une haute opinion d'eux-mêmes, mais aussi le mépris des humbles et l'attachement à leurs vues personnelles.

[2] Dans l’Ancien Testament, un époux avait le droit de renvoyer sa femme s’il avait trouvé une tare à lui imputer : « Lorsqu’un homme aura pris une femme et l’aura épousée, s’il advient qu’elle ne trouve pas grâce à ses yeux parce qu’il a trouvé en elle quelque chose de choquant, il écrira pour elle une lettre de répudiation, la lui remettra en main et la renverra de sa maison » (Deutéronome XXIV 1). Dans le Livre de l’Ecclésiastique, le sage Ben Sirac ajoute : « Ne donne à l’eau aucune issue, ni à la femme mauvaise aucune liberté ; si elle ne conduit pas à ta guise, de ta chair retranche-la » (Ecclésiastique, XXV 25-26). La lettre de répudiation permettait à la femme de se remarier. Cependant, un homme qui avait faussement accusé sa femme de n’être plus vierge avant le mariage, ou qui avait dû épouser une femme qu’il avait violée, n’avait pas le droit de répudiation (Deutéronome XXII 13-19 & 28-29).

[3] En effet, ce peuple était si violent qu’une femme prise en haine par son époux aurait été en grand danger de mort. Dieu avait donc permis un moindre mal pour en éviter un plus grand (saint Jean Chrysostome : homélie XVII sur saint Matthieu, 4).

[4] La permission de répudier sa femme, impliquée dans la prescription de Deutéronome, n'a eté qu'une concession faite par Moïse « en raison de la dureté de votre cœur », dit Jésus. Cette expression ne vise pas seulement l'humaine faiblesse, dans la Bible elle caractérise l'indocilité des Juifs, toujours rebelles aux ordres de Dieu : « La maison d'Israël n'est que têtes dures et cœurs endurcis » (Ezéchiel, III 7 ) ; on rapprochera cette citation d'autres citations analogues comme le « cœur de pierre » (Ezéchiel, XI 19 ; XXXVI 26), le « cœur incirconcis » (Deutéronome, X 16 ; Jérémie, IV 4) ou la « nuque raide » (Exode, XXIII 9 ; Deutéronome, IX 13) ; le mot grec sklèrokardia, évoque bien cette sclérose spirituelle de ceux que leur indocilité permanente à la volonté de Dieu a rendus incapables de la comprendre et de s'y accorder. Pour Jésus, la concession accordée par Moïse ne fait pas pleinement droit au projet de Dieu et par conséquent l'ordre voulu par Dieu n'a pas été modifié par cette dérogation. Aussi Jésus se réfère-t-il, par-dessus la loi imparfaite de l'ancienne alliance, à ce que Dieu a fait « dès l'origine de la création. » Son intention n'est donc pas d'introduire une exigence nouvelle mais de dégager dans toute la pureté la loi divine dont il trouve l'expression dans le récit de la Genèse.

[5] Dieu a fait du couple un être unique. Jésus condamne non seulement la répudiation mais plus largement tout acte qui détruirait le couple et romprait l'unité du mariage tel que Dieu l'a institué. Ce serait s'opposer à Dieu. Les pharisiens qui, malgré leurs interpretations plus ou moins divergentes sur le motif de la répudiation, étant d'accord sur la légalité du divorce, vont contre l'œuvre de Dieu. Le fondement dernier de l'unité du couple est à chercher en effet, selon Jésus, non seulement dans l'engagement mutuel des époux, mais dans l'action et 1a volonté de Dieu.

[6] Etablissant partout la vertu, il veut qu’elle existe surtout entre les époux, faisant régner la paix entre eux : il continue donc à ajouter à la Loi sans rien lui retrancher (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, IV 22).

[7] Si quelque maître dans la science chrétienne voit qu’on amène au Christ des simples d’esprit, de ces petits à qui l’on donne volontiers le nom d’enfants, qu’il ne les repousse pas comme n’ayant pas un discernement suffisant : la vertu du Christ est grande, et il complètera la louange qu’ils veulent rendre à Dieu (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XV 6).

[8] Ce n’est donc pas l’enfance qui est louée, mais une innocence reproduisant celle de l’enfance : la vertu ne consiste pas à ne pas pouvoir, mais à ne pas vouloir pécher (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VIII 57).

[9] Ce royaume de Dieu est le royaume de l’Evangile ; il faut que nous devenions semblables à des enfants pour y entrer : comme l’enfant ne contredit pas ses maîtres, ne construit pas de raisonnements pour les combattre, mais reçoit avec docilité ce qu’ils enseignent, leur obéit avec crainte, ainsi devons-nous recevoir la parole de Dieu avec simplicité (saint Basile : Règle brêve, CXXVII 7).