17e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (VI 1-15).[1]

Jésus était passé de l'autre côté du lac de Tibériade (aussi appelé mer de Galilée). Une grande foule le suivait[2], parce qu'elle avait vu les signes qu'il accomplissait en guérissant les malades[3]. Jésus gagna la montagne, et là, il s'assit avec ses disciples. C'était un peu avant la Pâque, qui est la grande fête des Juifs.

Jésus leva les yeux et vit qu'une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe[4] : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu'ils aient à manger ?[5] » Il disait cela pour le mettre à l'épreuve, car lui-même savait bien ce qu'il allait faire. Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain. » Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons[6], mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ! » Jésus lui dit : « Faites-les asseoir. » Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains, et, après avoir rendu grâce[7], les leur distribua ; il leur donna aussi du poisson, autant qu'ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim[8], il dit à ses disciples : « Ramassez les morceaux qui restent, pour que rien ne soit perdu. » Ils les ramassèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restaient des cinq pains d'orge après le repas[9].

A la vue du signe[10] que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C'est vraiment lui le grand Prophète, celui qui vient dans le monde. » Mais Jésus savait qu'ils étaient sur le point de venir le prendre de force et faire de lui leur roi[11] ; alors, de nouveau, il se retira, tout seul, dans la montagne[12].


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Les dimanches précédents, l’évangile selon saint Marc montrait Jésus au bord du lac, envoyant ses disciples en mission ou enseignant la foule ; plutôt que le récit de la multiplication des pains de saint Marc, la liturgie nous livre celui de l'évangile selon saint Jean, ainsi que son commentaire, le discours du Pain de Vie. La multiplication des pains fut très importante pour les premiers chrétiens qui l'ont interprétée à la lumière de la Résurrection célébrée dans l'Eucharistie. Ce récit qui est dans les quatre évangiles, a une visée particulière chez saint Jean.

[2] N'attendez donc pas que le Christ vous appelle, mais prévenez-le, courez au devant de lui (saint Théophylacte : commentaire de l'évangile selon saint Marc).

[3] Remarquez aussi qu’il a guéri les malades avant de leur faire distribuer par ses disciples les pains qu’il a bénis. Maintenant encore ceux qui sont malades ne peuvent recevoir le pain de bénédiction que donne le Christ. Celui qui n’obéit pas à cette parole, « Que chacun s’éprouve soi-même, et qu’il mange ainsi de ce pain après s’être éprouvé ainsi », reçoit en téméraire le pain du Seigneur, il tombe dans une faiblesse et un sommeil léthargique, sous l’étourdissement que produit en lui la force de ce pain (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, X 25).

[4] Philippe, comme Pierre et André, naquit à Bethsaïde, au bord du lac de Tibériade. Saint Clément d'Alexandrie, se réclamant d’une tradition ancienne, l'identifie au jeune homme qui demanda la permission d'aller enterrer son père avant de suivre Jésus qui lui répondit de laisser les morts ensevelir les morts (évangile selon saint Matthieu, VII 22 ; évangile selon saint Luc, IX 60). Selon l'évangile de saint Jean, on peut supposer que Philippe fut un disciple de Jean-Baptiste, avant d'être appelé par Jésus à qui il conduit Nathanaël-Barthélemy (évangile selon saint Jean, I 43-51). C'est à lui que se présentent les païens qui veulent rendre leurs hommages au Seigneur (évangile selon saint Jean, XII 21-22). Enfin, pendant la Cène, il demande à Jésus de montrer le Père (évangile selon saint Jean, XIV 7-12). La tradition dit qu'il prêcha aux Scythes, et qu'il mourut très vieux à Hiérapolis (Phrygie) où, selon Eusèbe qui cite Polycrate, il fut enterré. Clément d'Alexandrie prétend qu'il mourut de mort naturelle alors que d'autres affirment qu'il fut martyrisé sous Domitien ou sous Trajan (lapidé puis crucifié). Il est généralement représenté jeune, à l’instar de saint Thomas ; il porte souvent la croix de son supplice et, parfois, il porte des pains qui rappellent son rôle de la multiplication des pains. Parce qu’il porte un nom grec et qu’il est natif de Bethsaïde, on l’associe à André.

[5] Il nous apparaît là dans sa double nature : il se montre à nous avec la compassion de l’homme et la puissance de Dieu (saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Marc).

[6] Il ne leur avait pas encore accordé la faculté de confectionner et d'administrer le pain céleste, nourriture de la vie éternelle. C’est pourquoi leur reponse réclame une interprétation spirituelle (…) Les cinq pains signifiaient qu'ils étaient encore soumis aux cinq livres de la Loi, et les deux poissons qu’ils étaient nourris par les enseignements de prophètes et de Jean. Des œuvres de la Loi comme du pain sortait la vie. L'enseignement de Jean et des prophètes restaurait l'espérance des hommes vivants, selon la vertu de l'eau. Voilà ce que les apôtres eurent à offrir en premier lieu, puisqu'ils en étaient encore là ; et c'est de là qu'est partie la prédication évangélique (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XIV 10).

[7] Il n’avait pas prié avant de guérir le paralytique, avant de ressusciter des morts, avant d’apaiser la tempête, avant d’accomplir de plus grands miracles que celui-ci. Il nous montrait alors qu’il agissait dans une puissance souveraine, et qu’il était égal à son Père. Il prie en ce moment et il rend grâces, afin de nous apprendre à rendre grâces à Dieu toutes les fois que nous prenons notre nourriture (saint Jean Chrysostome : homélie XLIX sur l'évangile selon saint Matthieu, 2).

[8] Mais vois aussi comment sa puissance créatrice atteint toutes choses. Ayant pris un peu de pain, notre Seigneur le multiplia en un clin d'œil. Ce que les hommes font et transforment en dix mois de travail, ses dix doigts l'ont fait dans l'instant même. Ses mains étaient sous le pain comme une terre, sa parole au-dessus de lui comme le tonnerre; le murmure de ses lèvres se répandit sur le pain comme une pluie, et le souffle de sa bouche fut comme le soleil ; en un très court instant il conduisit à son terme ce qui demande à tous un temps fort long. Alors le pain ne manqua plus ; d'un peu de pain sortit une multitude de pains, comme lors de la première bénédiction : « Soyez féconds, multipliez-vous, et remplissez la terre (Genèse, I 28.) » (saint Ephrem : commentaire de l’Evangile concordant, XII 3).

[9] Les fragments de pain et de poisson, une fois les convives repus, étaient en telle abondance que douze corbeilles furent remplies. Cela veut dire que la foule est comblée par la parole de Dieu qui vient de l'enseignement de la Loi et des prophètes. C'est l'abondance de puissance divine, mise en réserve pour les peuples païens, qui déborde du service de la nourriture éternelle. Elle réalise une plénitude, celle du chiffre douze, celui des Apôtres. Or, il se trouve que le nombre de ceux qui ont mangé est le même que celui des croyants à venir. Selon un détail retenu par le livre des Actes (Actes des Apôtres, IV 4.), sur l'immensité du peuple d'Israël, cinq mille hommes devinrent croyants. L'admiration suscitée par le fait s'étend jusqu'au chiffre mesurant la cause sous-jacente. Les pains rompus avec les poissons, une fois le peuple repu, produisent par leur accumulation l'accroissement qu'exige le nombre des futurs croyants, mais aussi celui des apôtres destinés au service de la grâce céleste. La mesure obéit au nombre, le nombre à la mesure ; la raison, enfermée dans ses limites, est conditionnée par l’effet à produire. Et cela, c’est la puissance divine qui le règle (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XIV 11).

[10] Saint Jean ne parle pas de miracle, mais de « signe », car le signe n'attire pas l'attention sur lui-même mais renvoie à autre chose. Le signe des pains n'a pas pour but de nourrir la foule, mais de révéler qui est Jésus. Alors que dans les évangiles synoptiques, ce sont les disciples qui distribuent le pain, ici c'est Jésus lui-même qui le fait. Les Juifs attendaient pour les temps messianiques le renouvellement du don de la manne ; aussi, lorsque la foule vit Jésus multiplier les pains, elle voulut le proclamer Roi, mais Jésus s'enfuit seul dans la montagne. Ce que saint Jean entend souligner, c'est l'enthousiasme éphémère de la foule ; c'est le pain qui intéresse ces gens et non le Messie qui donne le pain, aussi Jésus se dérobe-t-il. L'insistance sur les restes, des vrais morceaux ramassés dans douze paniers, signifie la plénitude du pain que Jésus veut donner : le pain messianique n'est pas donné seulement pour cinq mille personnes, mais pour tous les hommes. En insistant sur cette abondance du festin, sur l'attitude de Jésus maître du repas, en contraste avec l'attitude des apôtres et de la foule, saint Jean, comme dans le reste de son évangile, veut nous faire comprendre I'incapacité de l'homme et la gratuité du don de Dieu.

[11] Pourquoi le faire roi ? Eh quoi ! n'était-il pas roi, lui qui craignait de le devenir ? Oui, il l'était. Mais pas un roi comme en font les hommes ; il était un roi qui donne aux hommes le pouvoir de régner. Peut-être Jésus veut-il, là aussi, nous donner une leçon, lui dont les actions sont des enseignements. Le fait qu'on ait voulu l'enlever et le faire roi, le fait que, pour l'éviter, il eut fui seul sur la montagne, cela ne comporte-t-il pas une leçon ? Cela ne veut-il rien dire ni rien signifier ? Peut-être que l'enlever, c'était vouloir devancer le moment de son règne. En effet, il n'était pas venu pour régner à ce moment-là, comme il le fera, ainsi que nous le disons : « Que votre Règne arrive ! » Comme Fils de Dieu, comme Verbe de Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, il règne toujours avec le Père. Mais les Prophètes ont prédit aussi son règne, en tant qu'il est le Christ fait homme et a fait de ses fidèles des chrétiens. Il y aura donc un royaume des chrétiens, qui se forme actuellement, qui se prépare, qu'achète le sang du Christ. Plus tard ce royaume se manifestera, lorsque la splendeur des saints rayonnera, après le jugement prononcé par le Christ... Mais les disciples et les foules qui croyaient en lui ont pensé qu'il était venu pour régner dès ce moment-là. Voilà le sens de : « vouloir l'enlever et le faire roi » ; c'est vouloir devancer son temps, qu’il cachait pour le faire connaître et le faire éclater au bon moment, à la fin des siècles (saint Augustin : sermons sur l’évangile selon saint Jean, XXV 2).

[12] Il s'en va dans la montagne pour nous apprendre combien le désert et la solitude sont favorables aux entretiens avec Dieu. La solitude est la mère de la paix, le port du repos où nous trouvons la délivrance de tous les troubles (saint Jean Chrysostome : homélie XLII sur l'évangile selon saint Jean).