4e dimanche de l'Avent

« Sur le triple avènement du Seigneur et sur la résurrection de la chair »

Sixième sermon pour l'Avent - St Bernard


1. Mes Frères, je ne veux point vous laisser ignorer que voici maintenant le temps où Dieu vous visite ni surtout quel est l'objet de sa visite. Or il s'agit de nos âmes, non de nos corps. L'âme en effet, étant d'un ordre plus élevé que le corps demande, à cause de l'excellence même de sa nature, d'être le premier objet des sollicitudes de celui qui nous visite. D'ailleurs, étant tombée la première, il est juste qu'elle soit aussi relevée la première; en effet, c'est l'âme qui a commencé par se laisser corrompre en se laissant aller au mal, et le corps ne s'est corrompu ensuite que pour expier sa faute.

Enfin, si nous voulons être trouvés de vrais membres de Jésus-Christ, il faut évidemment que nous suivions notre chef et que nous ayons à coeur de réparer les brèches de nos âmes pour lesquelles il est déjà venu en ce monde et qu'il s'est d'abord appliqué à guérir.

Pour ce qui est de notre corps, remettons à nous en occuper, jusqu'au jour où le Sauveur doit revenir pour le réparer lui même, selon ce que nous dit l'Apôtre quand il s'écrie  : « Nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps, ce corps vil et abject, et le rendra semblable à son corps glorieux[1]. »

Au moment de son premier avènement, saint Jean-Baptiste criait aux hommes, comme un héraut, ou plutôt parce qu'il était sou véritable héraut  : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les pèches du monde[2], » non point les maladies du corps, nous pas les infirmités de la chair, mais le péché, qui n'est autre chose que la maladie de l'âme et la corruption de l'esprit. Voici celui qui ôte le péché du monde. Mais d'où l'ôte-t-il ? De nos mains, de nos yeux, de notre cou et même de notre chair où il s'est profondément enraciné.


2. Il éloigne le péché de nos mains en effaçant tous ceux que nous avons commis, il l'éloigne de nos yeux en purifiant l'intention de notre coeur, il l'éloigne de notre cou en détruisant le joug tyrannique qu'il fait peser dessus selon ces paroles : « Vous avez brisé le sceptre de l'oppresseur, comme vous le fîtes autrefois à la journée de Madian[3] » et « son joug se fondra au contact de l'huile[4] ; » ou bien comme dit l'Apôtre  : « il a détruit son règne dans votre chair mortelle[5]. » Le même Apôtre a dit, en effet ailleurs  : « Je sais qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair[6], » et plus loin il ajoute  : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort[7] ? »

Il savait bien, en effet, qu'il ne serait point délivré de ce germe malheureux qui est enfoui dans la chair, de cette loi du péché qui est dans nos membres tant qu'il ne serait point délivré de son corps; aussi ne désirait-il rien tant que de se voir dégagé de ses biens et d'être avec Jésus-Christ[8] ; car il savait que le péché qui s'élève comme une barrière entre nous et Dieu, ne peut disparaître complètement que lorsque nous serons délivrés de notre corps.

Vous vous rappelez cet homme que le Seigneur a délivré du démon qui le meurtrissait de coups et le torturait cruellement; or c'est à la parole du Sauveur que ce démon sortit de son corps[9]. Je vous dis donc que ce genre de péché, qui jette si souvent le trouble dans notre âme, je veux parler de la concupiscence et des mauvais désirs, doit et peut être réprimé par la grâce de Dieu, pour qu'il ne règne plus en nous et que nous ne donnions plus dans nos membres des armes à l'iniquité; voilà comment il n'y a plus de damnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ; mais il ne peut être chassé que par la mort, c'est-à-dire, que le jour où nous sommes si bien déchirés que notre âme est arrachée de notre corps.


3. Vous savez maintenant pourquoi le Christ est venu et quel but un chrétien doit se proposer d'atteindre. Ainsi donc, ô mon corps, ne cherche point à gagner du temps, tu peux bien être un obstacle au salut de ton âme, mais tu ne saurais te sauver toi-même. « Toutes choses ont leur temps[10]. »

Souffre donc que l'âme travaille maintenant à son salut, fais plus encore, travailles-y toi-même avec elle, car tu peux être sûr que, si tu partages ses souffrances, tu régneras aussi avec elle un jour. Plus tu mets d'obstacles à ton salut, plus tu en apportes au tien, car tu ne saurais être réparé toi-même tant que Dieu ne retrouvera point en elle son image bien réparée aussi.

L'hôte que tu abrites est noble, ô ma chair, elle est même d'une très-grande noblesse, mais ton salut dépend tout entier du sien. Rends donc à cette hôte l'honneur qui lui est dû. Pour toi la terre où tu vis est ta propre patrie, mais ton âme est une étrangère, une exilée à qui tu donnes l'hospitalité.

Quel est le paysan, si quelque noble et puissant seigneur lui fait l'honneur de vouloir être reçu chez lui, qui ne céderait volontiers sa place, comme il n'est que trop juste, à cet hôte illustre, pour aller se coucher lui-même dans quelque coin de sa maison, sur les escaliers ou même sur la cendre ? Eh bien, fais de même.

Ne compte pour rien les privations et les souffrances, ne songe qu'à une chose, à héberger honorablement ton hôte, tant qu'elle demeurera chez toi. Ta gloire à toi est précisément de t'effacer entièrement tout le temps que durera son séjour.


4. Mais de crainte que par hasard tu ne méprises ou du moins tu n'estimes pas à sa juste valeur l'hôte que tu abrites, par la raison qu'elle te paraît une étrangère et erre exilée, remarque bien tout ce que te vaut sa présence.

C'est elle qui est cause que ton oeil voit et que tes oreilles entendent; si ta langue articule des sons, si ton palais perçoit les saveurs, si tes membres sont capables de se mouvoir, c'est à elle que tu en es redevable. La vie, la sensibilité et la beauté que tu peux avoir, tu les tiens de sa présence. En un mot, ce que tu perds à son départ montre ce que tu gagnes à sa présence.

Or à peine l'âme t'aura-t-elle quitté que ta langue deviendra muette, tes yeux aveugles et tes oreilles insensibles ; ta face deviendra pâle et tous tes membres deviendront rigides. Puis bientôt après tu ne seras plus qu'un cadavre tombant en pourriture et en poussière; toute ta beauté disparaîtra dans la corruption de ton être.

Pourquoi donc iras-tu pour une jouissance corporelle, contribuer et blesser ton hôte que tu ne pourrais même sentir si elle ne t'en rendait capable ? Mais de plus, de quels biens ne deviendra-t-elle point pour toi la source quand elle sera réconciliée avec son Dieu, lorsqu'elle t'en procure déjà de si grands quoiqu'elle soit exilée et tenue loin de ta face du Seigneur à cause des inimitiés qui existent entre elle et lui ?

O corps, ne mets point d'obstacles à cette réconciliation, tu ne peut qu'en retirer un surcroît de gloire. Souffre tout non-seulement avec patience mais avec bonheur et ne néglige rien de ce qui peut contribuer à la procurer. Dis à ton hôte, lorsque ton Seigneur se sera souvenu de toi et t'aura rétabli dans ton premier rang, veuille bien te souvenir de moi, je t'en prie.


5. Il est certain qu'elle se souviendra de toi pour ton bien, si tu lui as été utile; et, lorsqu'elle sera auprès de son Seigneur, elle lui parlera de toi et le disposera bien en ta faveur, en reconnaissance du bien qu'elle aura reçu de toi.

Elle lui dira  : lorsque votre servante était en exil pour expier sa faute, un pauvre chez qui elle logeait, la traita avec bonté, plaise à mon Seigneur de lui rendre aujourd'hui le bien qu'il m'a fait.

En effet, après avoir commencé par mettre tout ce qu'il avait à ma disposition, il se consacra ensuite lui-même tout entier à mon service, ne s'épargnant en rien, souffrant au contraire, pour moi, toute sorte de travaux et de fatigues, des veilles fréquentes, la faim, la soif, des jeûnes réitérés, le froid et la nudité[11].

Quels seront les fruits d'un pareil langage ? L'Écriture ne saurait nous tromper, or elle dit. « Le Seigneur fera la volonté de ceux qui le craignent et il exaucera leurs prières[12]. » O mon corps, si seulement tu pouvais goûter cette douceur, s'il t'était possible de juger de cette gloire !

Ce que je vais vous dire, va peut-être vous surprendre, et pourtant il n'est rien de plus certain, rien de plus assuré pour les fidèles. Le Dieu de Sabaoth, le Seigneur des vertus, le Roi de gloire, viendra du haut des Cieux pour transformer lui-même nos corps et pour les rendre conformes à son corps glorieux[13].

Quelle gloire, quelle joie ineffable, quand le Créateur de l'univers, qui s'était caché sous d'humbles dehors quand il est venu pour sauver les âmes, apparaîtra dans toute sa gloire et sa majesté, au milieu des airs et à tous les regards, quand il reviendra pour te glorifier, ô chair misérable ! Qui est-ce qui se rappellera même son premier avènement, quand on le verra descendre au sein de la lumière, précédé des anges qui tireront notre corps de sa poussière, au son de la trompette et l'enlèveront ensuite au-devant du Christ à travers les airs ?


6. Jusques à quand donc, cette chair misérable, insensée et aveugle, cette chaire de démence et de folie, recherchera-t-elle des consolations passagères et caduques, que dis-je des consolations ? des désolations véritables, si par malheur il lui arrive d'être repoussée, d'être trouvée indigne de cette gloire, ou plutôt d'être jugée digne d'inénarrables et éternels tourments ?

Non, mes Frères, non, qu'il n'en soit pas ainsi, mais plutôt que notre âme se réjouisse dans ces pensées et que notre chair repose dans cette espérance en attendant le Sauveur Notre-Seigneur Jésus-Christ qui le transformera et le rendra conforme à son corps glorieux.

En effet, voici comment le prophète s'exprime : « Si mon âme brûle d'une soif ardente pour vous, de combien de manières, ma chair ne se sent-elle point aussi embrasée elle-même de semblables ardeurs[14] ? »

L'âme du prophète appelait de tous ses voeux le premier avènement du Sauveur, qui devait la racheter; mais sa chair appelait bien plus vivement encore le dernier avènement où elle doit être glorifiée. C'est alors en effet que tous nos voeux seront satisfaits, et que la terre entière sera remplie de la majesté de Dieu.

Puisse à cette gloire, à cette félicité, à cette paix enfin qui surpasse tout sentiment, nous conduire la miséricorde de Dieu, et que le Sauveur Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est béni par dessus toutes choses, ne permette pas que je sois confondu dans mon attente.



[1] Epître de saint Paul aux Philippiens, III 20.

[2] Evangile selon saint Jean, I 29.

[3] Isaïe, IX 4.

[4] Isaïe X 27.

[5] Epître de saint Paul aux Romains, VI 12.

[6] Epître de saint Paul aux Romains, VII 18.

[7] Epître de saint Paul aux Romains, VII 24.

[8] Epître de saint Paul aux Philippiens, I 23.

[9] Evangile selon saint Marc, IX 14-27.

[10] Ecclesiaste (Qôhélet), III 1.

[11] Deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens, XI 7.

[12] Psaume, XLIV 19.

[13] Epître de saint Paul aux Philippiens, III 20.

[14] Psaume LXII 2.