22e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Matthieu (XVI 11-27).

Pierre avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens[1], des chefs des prêtres[2] et des scribes[3], être tué, et ressusciter le troisième jour[4].

Pierre le prenant à part, se mit à lui faire des reproches : « Dieu t'en garde, Seigneur ! cela ne t'arrivera pas[5]. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes[6]. »

Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même[7], qu'il prenne sa croix[8] et qu'il me suive[9]. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra[10], mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera[11]. Quel avantage en effet un homme aura-t-il à gagner le monde entier[12], s'il le paye de sa vie[13] ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ? Car le Fils de l'homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père[14] ; alors il rendra à chacun[15] selon sa conduite. »


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] On trouve les Anciens d'Israël pour la première fois lors de la conclusion de l'Alliance du Sinaï avec le repas sacrificiel qui suit (Exode, XIV 1-2 & 9-11). Moise les fait participer temporairement à son esprit prophétique (Nombres, XI 24-25). Ils sont 70, sans doute les chefs de clans ou de familles, rendant la justice en temps de paix et commandant en temps de guerre les hommes de leur clan ou de leur famille. C’est une sorte d'aristocratie tribale. Ils représentent Israël lors des cérémonies de l’Alliance (Josué, VIII 33 et XXIV 1) et de l’élection d’un chef de guerre (Juges, XI 5-11) voire d’un roi (I Samuel, VIII 4-6 ; II Samuel, III 17 et suivants & V 3). Au temps de la royauté, les monarques israélites en tiennent compte (I Rois, XII 6). On voit les Anciens qui interviennent en cas de graves crises nationales, conspirer avec Absalon contre David (II Samuel, XVII 4-15), poser des conditions à Roboam au nom de l’assemblée du peuple (I Rois, XII 6-8 & 13), et soutenir le prophète Elisée contre le roi (II Rois, VI 32). Les Anciens sont des personnages importants de la communauté israélite durant l'exil et dans la communauté du retour. Parmi les exilés de Babylonie ils jouent le rôle de chefs (Ezéchiel, VIII 1 & XIV 1). Lors du retour, ils sont les assesseurs du grand prêtre, qui agit par leur intermédiaire. Dans la Diaspora, ils forment le Conseil, qui administre la communauté, gère ses biens, rend la justice, sous la direction des archontes. Du Conseil viendra le Sanhédrin où ils représentent l'aristocratie laïque (évangile selon saint Luc, XXII 66 ; Actes des Apôtres, IV 8 & XXII 5).

[2] Dans le Nouveau Testament l'expression chefs des prêtres (67 fois) désigne les membres des principales familles sacerdotales dans lesquelles on choisissait les grand-prêtres ; cette expression pourrait aussi désigner les grand-prêtres démis de leur fonction par Hérode le Grand ou par les Romains ; si l’expresion était employée au singulier, elle désignerait (56 fois dans le Nouveau Testament) le grand-prêtre en fonction. Le sacerdoce était réservé à la tribu de Lévi dont une famille, celle d’Aaron, avait le sacerdoce perpétuel tandis que les descendants des autres familles n’avaient en partage que les fonctions cultuelles secondairesTout laisse à penser que les chefs des prêtres faisaient partie du Sanhédrin, et formaient un collège de prêtres, chargés de l'administration des bâtiments et de l'argent du Temple. A ce collège de prêtres appartiendraient le commandant du Temple (Actes des Apôtres, IV 1 & V 24-26), qui était le personnage le plus important après le grand-prêtre, les chefs des vingt-quatre classes sacerdotales qui assuraient le service hebdomadaire du Temple, les chefs des familles sacerdotales, chargés à tour de rôle du service quotidien, les chefs des gardes du Temple (évangile selon saint Luc, XXII 52) et les trésoriers. A plusieurs reprises les chef des prêtres sont mentionnés avec les autres groupes du Sanhédrin ou avec un des groupes qui le composaient : chefs des prêtres, anciens et docteurs de la loi ; chefs des prêtres et docteurs de la loi ; chefs des prêtres et pharisiens ; chefs des prêtres et anciens ; chefs des prêtres et les plus influents des Juifs. Ces expressions désignent l'ensemble des autorités religieuses des Juifs. Dans Ac 4,6 « Les membres des familles pontificales » (Actes des Apôtres, IV 6) sont les membres des familles dans lesquelles on choisissait le grand-prêtre. N'importe quel prêtre n'avait donc pas accès au collège des chefs des prêtres de Jérusalem. Il existait de grandes différences sociales à l'intérieur du clergé juif. Et entre les chefs des prêtres et les autres prêtres, il y eut de vives oppositions peu avant la destruction du Temple.

[3] Les scribes lisent, traduisent et commentent les textes sacrés (Néhémie, VIII 8) ; parce qu’ils enseignent la Loi, on les appelle souvent les docteurs de la Loi.

[4] Prévoyant le trouble que cet événement jetterait dans l’âme de ses disciples, il leur annonce longtemps à l’avance les souffrances de sa Passion et les gloires de sa Résurrection, afin que quand il le verraient mourir, ils crussent en même temps qu’il ressusciterait (saint Grégoire le Grand : homélie II sur les péricopes évangéliques, 1).

[5] Plus d’une fois nous avons dit l’amour ardent et empressé que saint Pierre avait pour son Maître. Il se traduit ici avec éclat. Pierre ne voulait pas, après la confession solennelle qu’il avait faite de la divinité du Sauveur, après l’approbation et la récompense qu’il en avait reçues, que tout cela fût réduit à néant. Il ne comprend pas que celui qui est le Fils de Dieu puisse être mis à mort : c’est pourquoi prenant Jésus à part pour ne pas paraître lui faire la leçon devant les autres disciples, il se met à lui dire avec toute l’affection de son cœur : « cela ne t'arrivera pas » (saint Jérôme : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu).

[6] Si tu étais entré dans les desseins de Dieu, tu comprendrais qu’il m’est glorieux de souffrir. Mais parce que tu juges avec tes pensées charnelles, tu te mets avec Satan qui ne voudrait point que je souffrisse. En le rangeant du côté de l’ennemi du genre humain, en lui adressant ce reproche si vif, Jésus guérit son disciple de l’éloignement qu’il a pour la croix. Si l’Apôtre a été si sévèrement traité pour avoir eu ce sentiment avant que le mystère de la Croix n’eût été révélé dans sa grandeur et sa beauté, avec quelle sévérité seront traités ceux qui connaissant toute l’économie de ce mystère, blasphèment la croix du Sauveur ? Que maintenant personne n’ait honte du signe de notre salut, source de tout ce que nous avons et de ce que nous sommes. Portons la croix du Christ comme notre plus précieux joyaux : par elle se crée tout ce qui peut nous être utile. S’agit-il du sacrement de la régénération, la croix est là, elle y préside. S’il s’agit de former l’aliment qui nourrit les âmes, s’il s’agit d’ordonner des prêtres, partout apparaît ce signe de victoire. C’est pourquoi mettons-le partout, sur nos murailles, à nos fenêtres, sur notre front et dans nos cœur. C’est le signe de notre salut, de notre délivrance et de la douceur du Sauveur. C’est pourquoi quand vous vous signez, rappelez-vous les leçons de la Croix, étouffez la colère et les affections mauvaises. Quand vous vous signez, mettez la confiance sur votre front, la liberté dans votre âme. Rappelez-vous la parole de saint Paul : « Vous avez été rachetés à grand prix ; ne soyez pas les esclaves des hommes » (I Corinthiens, VII 23). Devant la Croix aucun démon ne pourra résister. Si nous éprouvons de l’horreur devant le lieu où l’on exécute les criminels, quelle épouvante éprouvent les démons en voyant l’arme avec laquelle le Christ a détruit leur puissance ! Ce signe de la Croix, autrefois et même en notre temps, a enlevé leur puissance aux poisons, a mis en fuite les bêtes féroces : et qu’y a-t-il d’étonnant à cela si la Croix a la puissance d’ouvrir les portes du ciel et de briser la puissance du démon ? Par ce signe de la Croix, la mort n’est plus la mort, mais un sommeil. Par la Croix nous sommes victorieux de tout ce qui nous était contraire. N’ayons donc pas honte d’un si grand bienfait reçu, de peur que Christ n’aie honte de nous, quand il viendra dans sa gloire et que ce signe apparaîtra devant lui plus brillant que le soleil (saint Jean Chrysostome : homélie LIV sur l’évangile selon saint Matthieu, 4-5).

[7] Vous renoncez à vous-mêmes quand par une conversion complète vous désavouez une vie passée jusque-là dans le mal (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XII 24).

[8] Que signifie : Qu 'il prenne sa croix ? Qu'il supporte tout ce qui lui est pénible ; c'est ainsi qu'il me suivra. Dès qu'il aura commencé à me suivre, se conformant à ma vie et à mes commandements, il trouvera sur son chemin bien des gens qui le contrediront, qui chercheront à le détourner, à le dissuader, et cela même parmi ceux qui passent pour des compagnons du Christ (...) Quelles que soient les menaces, les séductions ou les interdictions dont tu seras l'objet, si tu veux le suivre, fais de tout cela ta croix. Accepte-la, porte-la, ne succombe cas sous le poids (saint Augustin : sermon XCVI).

[9] Quand ils prêcheront Jésus-Christ Fils de Dieu, ils uniront ses souffrances et sa mort à ses grandeurs ; ils prêcheront le Fils de Dieu crucifié. C’est là la gloire de notre foi de comprendre dans sa vérité la croix du Sauveur (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VI 167).

[10] C'est une chose douloureuse de sacrifier ce que l'on aime (...) Il y a un amour de soi qui est mauvais. Saint Paul, parlant des périls des derniers temps, écrivait : « Il y aura des hommes qui s'aimeront eux-mêmes » (II Timothée, III) Et comment s'aimeront-ils ? « Ils aimeront l'argent », dit-il. En s'aimant eux-mêmes ils ont aimé une chose qui était hors d'eux-mêmes ; et ils se sont éloignés de leur conscience qui était au-dedans d'eux-mêmes ; ils se sont éloignés de Dieu qui, lui aussi, était intime à leur âme. Et en s'aimant ainsi ils se sont perdus. Voulez-vous vous sauver ? Revenez à vous-mêmes en vous déprenant des choses extérieures. Ne demeurez pas en vous, sortez de vous-mêmes pour vous remettre entre les mains de votre Créateur. Faites comme les martyrs : ils ont méprisé, foulé aux pieds, tout ce qui était au dehors d'eux, les plaisirs, les erreurs, les craintes. Rentrant en eux-mêmes, il se sont déplus à eux-mêmes, et sont allés en celui en qui ils devaient trouver la vie véritable, la perfection véritable, afin d'y détruire cette racine qui les faisait vivre en eux-mêmes, et d'y faire vivre ce qu'il y avait créé (saint Augustin : sermon CCCLXXX 2 & 3).

[11] Car ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et ses convoitises ; et celui-là est indigne du Christ qui ne prend pas sa croix pour suivre le Christ, cette croix par laquelle nous lui sommes unis dans ses souffrances, sa mort, sa sépulture et sa résurrection, cette croix par laquelle nous remportons la victoire de la vie nouvelle (saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l'évangile selon saint Matthieu X 25).

[12] Et d’où te viennent ces biens que tu appelles tes biens ? Si tu reconnais qu’il viennent de Dieu, dis-nous pourquoi il te les a donnés. Dieu n’a-t-il pas été injuste en établissant parmi les hommes tant d’inégalités ? Pourquoi es-tu riche et celui-là pauvre ? N’était-ce pas pour te faire acquérir, à toi, les mérites d’un sage dispensateur, et, au pauvre, les grands mérites de la patience ? En regardant comme tien ce que tu as reçu pour le distribuer ne commets-tu pas un vol ? Le pain que tu retiens, c’est celui de l’homme qui souffre de la faim ; les vêtements que tu serres dans tes coffres sont ceux des déguenillés ; les souliers qui pourrissent chez toi sont ceux des déchaux. Autant il y a d’hommes à tu pourrais donner, autant tu commets d’injustices en ne leur donnant pas (saint Basile : homélie sur la richesse, VI 1).

[13] Celui qui obéit à ses convoitises, qui cherche son plaisir, qui s'écoute, celui-là perdra son âme ; car en agissant ainsi il s'éloignera de la voie de la vertu. Il faut donc ne pas s'écouter ; et le Sauveur ne parle pas seulement de ne pas s'écouter, il réclame une véritable haine. De même que nous ne pouvons pas voir, entendre ceux qui nous sont odieux, ainsi devons-nous détester de nous trouver en face du moi et de ses convoitises quand elles lui sont personnelles (saint Jean Chrysostome : homélie LXVII sur l'évangile selon saint Jean, 1).

[14] Les hommes verront dans sa puissance et sa majesté celui qu’ils n’ont point voulu écouter au temps de son abaissement, et ils subiront les rigueurs de sa puissance d’autant plus vivement qu’ils refusent maintenant d’abaisser leur cœur orgueilleux devant sa patience (saint Grégoire le Grand : homélie I sur les péricopes évangéliques, 2).

[15] Après le jugement, il n’y a plus de place pour la prière ni pour le mérite (saint Augustin : « De diversi quæstionibus 83 liber I » question 59, 3).