19e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Matthieu (XIV 22-33).[1]

Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait les foules[2]. Quand il les eut renvoyées, il se rendit dans la montagne[3], à l'écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul.

La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues[4], car le vent était contraire[5]. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer.

En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : « C'est un fantôme », et la peur leur fit pousser des cris[6]. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c'est moi ; n'ayez pas peur ![7] » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l'eau[8]. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant qu'il y avait du vent, il eut peur ; et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ![9] » Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?[10] » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es Fils de Dieu ! »


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Jésus s'est séparé pour un temps de ses disciples qui sont dans la barque, au milieu du lac, dans la nuit et la tempête. Ils expérimentent son absence après avoir expérimenté son sommeil de la première tempête apaisée (S. Matthieu, VIII 22-26). Or voici que Jésus va se révéler à eux au terme d'une nuit d'angoisse (littéralement, la quatrième veille, soit le dernier quart de la nuit). Ce récit de la marche de Jésus sur les eaux porte la marque de la résurrection de Jésus: la fin de la nuit, le doute (S. Matthieu, XXVIII 17), l’acte de foi final qui reprend celui du centurion du Calvaire (S. Matthieu, XXVII 54), la prosternation devant Jésus (S. Matthieu, XXVIII 9-17). A distance, le rédacteur a dû faire un rapprochement entre les deux événements. L'attention est centrée sur les disciples d'abord (26-27), puis sur Pierre seul (28-32), enfin sur les disciples (33). Matthieu donne à Pierre un rôle important. Jésus semble vouloir l'associer à sa victoire sur la tempête, puisque le vent cesse quand ils sont montés tous deux dans la barque. Le récit évoque l'Église, qui prend le relais du Peuple de Dieu de l'Ancien Testament De même qu'autrefois Dieu est intervenu pour sauver les Hébreux à travers les eaux (Exode, I 4- 15), Jésus est sorti de la solitude de sa prière pour sauver ses disciples en péril au milieu du lac. A la résurrection, il surgira du tombeau pour prendre la tête du nouveau peuple, I'Eglise, et la guider au milieu des écueils du monde.

[2] Les foules ne pouvaient pas partir vers l'autre rive, vu qu'elles n'étaient pas des Hébreux au sens spirituel du mot, ce qui se traduit : « les gens de l'autre rive ». Cette œuvre était celle des disciples de Jésus : partir pour l'autre rive, dépasser le visible et le corporel - réalités temporaires -, arriver les premiers vers l'invisible et l'éternel. Jésus avait donc accordé aux foules un bienfait suffisant en les renvoyant, puisqu'elles ne pouvaient pas, du fait qu'elles étaient des foules, aller sur l'autre rive. Ce renvoi, le Christ seul peut l'accorder. Les disciples avaient déjà une première fois prié Jésus de renvoyer les foules; il ne l'avait pas (…) Il les renvoie, mais il contraint d'abord ses disciples à monter dans la barque. Il renvoie les foules parce qu'elles se trouvent en bas (le désert est en bas) et lui, il gravit la montagne pour prier (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XI 5).

[3] Pourquoi Jésus a-t-il gravi la montagne ? Pour nous apprendre combien le désert et la solitude sont indispensables à la rencontre de Dieu. C'est pour cela qu'il va fréquemment en des lieux déserts, qu'il y passe souvent la nuit en pnères, nous enseignant ainsi à chercher des conditions de temps et de lieu qui favorisent le calme de la prière. Or la solitude est la mère du calme, elle est le port de la tranquillité, car elle nous délivre de tous les tracas. Tels sont les motifs pour lesquels Jésus gravit la montagne (saint Jean Chrysostome : homélie XLII sur l'évangile selon saint Jean).

[4] Pendant que le Grand Pontife est en prière, la barque des apôtres qui représente l'Eglise, est battue par les flots (Saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, XXV 2) Elle peut être battue par les flots, mais parce que le Christ prie, elle ne peut pas être submergée (saint Augustin : sermon LXXII 2).

[5] A mesure que le monde s'avance vers sa fin, les erreurs vont croissant, les terreurs se multiplient, l'iniquité s'augmente et aussi l'infidélité. La charité qui, selon saint Jean, est une lumière, s'est affaiblie ; les ténèbres des haines mutuelles deviennent toujours plus profondes. Ce vent, cette tempête, ce sont les clameurs des méchants ; et ce qui augmente la terreur, Jésus n'est pas là, au moins, il n'apparaît pas (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium, XXV 5 & 6).

[6] Telle est, en toute circonstance, la conduite de Dieu : lorsqu'il va mettre fin à nos épreuves, il en envoie de plus redoutables et de plus terribles. C'est ce qui arriva à ce moment : la vision du Christ les bouleversa autant que la tempête. Il n'a pas dissipé les ténèbres, il ne s'est pas montré tout à coup : il les formait, je le répète, par ces frayeurs redoublées, à la patience et à la fermeté. Dieu agit ainsi pour Job : au moment où il allait le délivrer de sa peur et de ses peines, il l'a soumis à la plus terrible des souffrances, non la mort de ses enfants ou les paroles de sa femme, mais les injures de ses serviteurs et de ses amis. Lorsque Jacob allait voir la fin de ses malheurs sur la terre étrangère, Dieu permit qu'il fût plus profondément et plus sérieusement alarmé (son beau-père l'accablait, le menaçait de mort) ; il tombait ensuite dans les mains de son frère et courait le plus grave danger. Comme les justes ne peuvent être exposés à des épreuves de longue durée et trop violentes, Dieu, en vue d'augmenter leurs mérites, réserve les épreuves les plus rudes pour la fin du combat. Même Abraham a subi cette loi : sa dernière épreuve fut le sacrifice de son enfant. Au surplus, l'insupportable deviendra supportable, lorsqu'on approchera de la délivrance. Voilà ce que fit également le Christ : il ne s'est montré à ses disciples qu'après qu'ils eurent crié vers lui. D'ailleurs, plus leur angoisse avait été grande, plus sa présence leur fut agréable. (saint Jean Chrysostome : sermon L sur l'évangile selon saint Matthieu).

[7] Ces paroles dissipèrent leur crainte et leur redonnèrent confiance. Ils n'avaient pas reconnu Jésus à ses traits, à cause de cette marche miraculeuse sur les eaux et à cause de l'obscurité ; alors Jésus se fit reconnaître par sa voix (saint Jean Chrysostome : sermon L sur l'évangile selon saint Matthieu).

[8] C'est son amour qui le fait parler dans ce moment, ce même amour qui le fera se jeter à la mer pour être plus tôt près de Jésus, dans la pèche miraculeuse qui suivit la Résurection. Aujourd'hui, parce qu’il ne veut rien faire sans son ordre, il lui dit : Ordonne-moi de venir vers toi. Il y a là une preuve de sa foi et de son amour : il croit que Jésus peut non seulement marcher sur les eaux, mais qu'il peut donner ce pouvoir à d'autres (saint Jean Chrysostome : sermon L sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[9] Cette crainte de Pierre montre bien la différence qui existe entre le Maître et son disciple ; et cette défaillance de Pierre empêchera l'envie d'éclore dans le cœur des autres apôtres, devant le privilège singulier qui lui a été concédé (saint Jean Chrysostome : sermon L sur l'évangile selon saint Matthieu).

[10] Il aurait pu commander au vent de s'apaiser, mais il voulait fortifier la foi de son apôtre : ce n'est pas la tempête, c'est notre manque de foi qui est cause de notre perte (saint Jean Chrysostome : sermon L sur l'évangile selon saint Matthieu).