15 novembre

Saint Albert le Grand

Albert le Grand naquit (entre 1193 et 1206) à Lauingen, dans la partie Souabe du diocèse d'Augsbourg, d’un officier de la cour qui avait une haute charge dans l'administration de la cité. Etudiant à Bologne où l’avait emmené un de ses oncles, il fut séduit par le bienheureux Jourdain de Saxe 1 (second maître général des Prêcheurs) et entra chez des Dominicains, bien que son oncle et ses condisciples essayassent de l’en dissuader, avant que son père organisât une tentative d'enlèvement qui échoua.

Sans doute fit-il ses études chez les Prêcheurs de Cologne où, en 1228, il était lecteur, ou professeur, s'efforçant d'adapter à la pensée chrétienne les théories d'Aristote qui avait pour grands interprètes les Arabes Avicenne et Averroës ; il cherchait aussi à utiliser la spéculation juive représentée par Moïse Maïmonide. Il enseigna à Hildesheim, à Fribourg-en Brisgau, puis à Ratisbonne, et enfin à Strasbourg.

En 1244, nommé à Paris pour gagner son doctorat de théologie et régenter une des deux écoles du couvent Saint-Jacques, incorporées à l'Université, il expliquait les Sentences de Pierre Lombard et commençait la vaste encyclopédie scientifique qui lui valut la célébrité. En 1248, il fut chargé de gouverner le studium generale de Cologne. En 1252, il intervint pour la cité contre l'oppression féodale de l'archevêque Conrad de Hochstaden2. A plusieurs reprises, jusqu'en 1272, on lui demanda d'arbitrer des conflits entre la ville et ses évêques.  Le chapitre provincial d'Allemagne l’élut provincial de Teutonie, de 1254 à 1257, veillant contre une ascèse indiscrète, nuisible aux bonnes études, et contre des glissements vers une vie trop commode.

En 1256, il entra en lice dans le combat entre les séculiers de l'Université et les ordres mendiants ; les premiers trouvaient que les nouveaux venus leur faisaient dans les chaires doctorales une concurrence déloyale, et qu'on ne pouvait concilier étude et pauvreté. Le saint dominicain Albert et le saint franciscain Bonaventure défendirent leur ordre devant le pape Alexandre IV qui condamna le champion des séculiers, Guillaume de Saint-Amour3 (5 octobre 1256). Pour la Curie romaine, Albert commenta saint Jean et discuta l'averroïsme, persuadé qu'il fallait combattre par la philosophie les erreurs philosophiques du penseur arabe.

Rentré à Cologne en 1257, il fut relevé de sa charge de provincial par le chapitre général de Florence et reprit son enseignement. Au printemps 1259, au chapitre général de Valenciennes, avec Thomas d'Aquin et Pierre de Tarentaise (futur Innocent V),  il élabora un important règlement pour les études dans l'Ordre. Appelé à Rome, malgré le maître général Humbert de Romans, Albert dut accepter l'évêché de Ratisbonne (5 janvier 1260) où il fallut s'ingénier à payer des dettes  et réorganiser les finances épiscopales, tout en combattant les mauvaises mœurs. Le peuple, habitué à un prélat fastueux, accueillit mal Albert qu’il surnomma Godasse. Albert, dès qu'il eut quelqu'un capable de le remplacer, s'empressa d'aller résigner son évêché. En mai 1262, son successeur était nommé, et Urbain IV lui demanda de prêcher la croisade dans les pays de langue allemande (1263), ce qu'il fit sans grand effet, malgré les vingt-cinq bulles pontificales venues à sa rescousse. Albert mettait au point une autre croisade plus efficace, où il faisait marcher Aristote pour prendre à revers les théoriciens juifs et arabes. Urbain IV interdit l'enseignement d'Aristote, mais fit réunir les meilleures têtes dominicaines pour se concerter sur son utilisation. Sa mort, en octobre 1264, amenait la fin de la mission d'Albert pour la croisade. En février 1264, celui-ci avait joué un rôle pacificateur à Würtzbourg.

Le maître général Jean de Verceil, songea à envoyer Albert à Paris, en pleine crise averroïste, mais il fut nommé à Cologne où il réussit à faire lever l'interdit jeté par le légat de Clément IV (1270-1274). Il voyageait pour rendre des services liturgiques, consacrant des églises ou des autels et ordonnant des clercs. Au concile de Lyon, il prononça un discours en faveur de Rodolphe I° de Habsbourg. En mars 1277, l'évêque de Paris ayant condamné 119 thèses péripatéticiennes, dont plusieurs étaient également thomistes, Albert qui venait de compiler son dernier ouvrage, une Summa theologica, se rendit, semble-t-il, à Paris, pour défendre les vues de son cher Frère Thomas d’Aquin.

Il mourut le 15 novembre 1280, assis, entouré de ses frères. Il avait légué ses livres et ses ornements aux Dominicains de Cologne. Il fut enterré dans leur église, dont il pressait l'achèvement. Innocent VIII permit aux prêcheurs de Cologne et de Ratisbonne un office en l'honneur du bienheureux Albert, confesseur pontife (1484) ; après qu'il fut béatifié par Grégoire XV (15 septembre 1622), obtenaient cette faveur la ville de Lauingen en 1631, puis tous les couvents dominicains de l'Empire (1635), ceux des pays vénitiens (1664), ceux de l'Ordre entier (1670), l'archidiocèse de Cologne (1856) où la fête fut promue au rite double en 1870.

Enfin Pie XI, par la lettre décrétale In thesauris sapientiæ (16 décembre 1931) le  proclama saint Albert le Grand docteur de l'Eglise et étendit sa messe et son office à l’Eglise universelle : Albert qui, durant sa vie, collabora avec autant d’énergie que de succès à ramener la paix entre les Etats et les princes, entre les peuples et les individus, nous apparaît comme le type véritable de l’arbitre de la paix. Il possédait en effet à un haut degré le don de la conciliation, grâce à la renommée que lui valait sa solidité doctrinale et sa réputation de sainteté. Le tout s’alliait enfin, chez lui, à une grande dignité personnelle que relevait encore, en l’ennoblissant, le caractère sacré du sacerdoce.

La science elle-même est la meilleure des voies qui conduisent à une paix stable, quand elle se soumet en même temps à la droite raison et à la foi surnaturelle. Chez Albert le Grand, les clartés des sciences tant humaines que divines, se fondent dans une admirable union et le nimbent d’une glorieuse auréole. Par son exemple magnifique, il nous avertit qu’entre le science et la foi, entre la vérité et le bien, entre les dogmes et la sainteté, il n’existe aucune espèce d’opposition ; bien plus, qu’il existe entre eux une intime cohésion (...)

La puissante voix d’Albert le Grand se fait entendre dans ses œuvres admirables. Elle nous crie de toutes ses forces, elle nous démontre surabondamment que la science véritable, ainsi que la foi et une vie réglée sur la foi, peuvent se concilier dans l’esprit des hommes, qu’elles y sont même obligées, car la foi surnaturelle est en même temps le complément et le terme le plus parfait de la science.  

Pie XII, dans une lettre apostolique, l'a proclamé patron céleste de tous ceux qui cultivent les sciences naturelles, à la demande des académiciens catholiques réunis à Trèves (16 décembre 1941) : Si les règles ou directies que le grand évêque de Ratisbonne avait établies à propos de la nécessité de l’expérimentation, de l’observation pénétrante et de l’importance de l’induction pour arriver à la vérité dans l’étude des choses de la nature, avaient été, déjà en ce temps, bien comprises et appliquées, les admirables progrès scientifiques dont se glorifient les époques plus récentes et aussi la nôtre, auraient pu être des siècles auparavant découverts et réalisés pour le plus grand profit de l’humanité.


Seigneur Jésus-Christ, écoutez la voix de notre douleur. Dans le désert des pénitents, nous crions vers vous, pour n'être pas séduits par de vaines paroles tentatrices sur la noblesse de la famille, sur le prestige de l'ordre, sur ce que la science a d'attirant.


Quand donc verrons-nous donc de nos yeux ce visage que si longtemps, ici-bas, nous avons désiré ! Quand donc serons-nous assis auprès de notre Mère, nous qui sommes si éloignés d'elle ! Quand donc sa glorieuse présence nous sera-t-elle garantie sans retrait possible ! Oh ! Quand serons-nous ainsi ? Est-ce que nous la verrons ? Est-ce que nous aurons la persévérance ? Dites, Mère de miséricorde, est-il écrit quelque part dans le livre de votre Fils, que nous vous verrons, avec lui ? En attendant, s'il vous plaît, que les larmes soient notre nourriture jour et nuit (Psaume XLI 4) jusqu'à ce que nous entendions : Mes fils, voilà votre Mère ! (saint Jean XIX 27) Mes enfants, voilà votre frère !



1 Le bienheureux Jourdain de Saxe fut le premier successeur de saint Dominique. Né vers 1185, à Burgberg (Westphalie), il étudia à Paris où il devint maître ès arts puis bachelier en théologie. A cette activité scolaire se rattachent son Commentaire in Priscianum minorem et ses Postilles sur l'Apocalypse. Entré en relation avec saint Dominique, il prit l'habit des Frères prêcheurs à Saint-Jacques (Paris), le 12 février 1220. Deux mois après, son couvent le délégua au premier chapitre général de l'Ordre, à Bologne. Un an plus tard, lorsque saint Dominique fit organiser les provinces dominicaines, Jourdain fut choisi comme premier prieur provincial de Lombardie. Le 22 mai 1222, au chapitre général de Paris, Jourdain fut élu à la succession de saint Dominique. Jourdain fut un remarquable directeur spirituel et un grand prédicateur, apprécié des étudiants de Bologne, de Paris, d'Oxford ou de Cologne, au fur et à mesure de ses perpétuels voyages entre les chapitres généraux qui, à la Pentecôte, le ramenaient régulièrement une année à Paris, une année à Bologne. Soucieux que l'Ordre des Prêcheurs reste fidèle aux volontés du fondateur Jourdain de Saxe entreprit de relater les conditions dans lesquelles saint Dominique conçut l'idée d'un Ordre « qui s'appellerait et serait réellement de Prêcheurs », et selon quelles étapes il le réalisa. Après la canonisation de Dominique (3 juillet 1234), il raconta en outre, les événements de la solennelle translation du corps, dont il fut témoin à Bologne. Au retour d’un voyage en Terre Sainte, Jourdain de Saxe périt (12 février 1237), dans un naufrage au large des côtes syriennes ; son corps rejeté par la mer fut enterré au couvent dominicain de Saint-Jean-d’Acre.

2 Conrad de Hochstaden, archevêque de Cologne de 1238 à 1361), né vers 1198, était inébranlablement attaché à la poursuite de sa politique ; il mérita, par sa brutalité et ses violences d'être appelé le « sanguinaire ». Prince d'Empire, il fut impliqué dans de nombreuses luttes avec les princes voisins de Juliers, Limbourg, Berg, Clèves, Sayn et Paderborn. D’abord partisan de l'Empereur, il changea d'orientation politique et se fit l'allié de la Curie romaine contre les Hohenstaufen. Il devint le chef politique de l'Allemagne dont il était le plus puissant prince. Il tendit tous ses efforts vers l'établissement d'un Etat territorial sur le Rhin. Comme évêque et chef spirituel, Conrad s'est acquis des mérites par l'appui qu'il accorda au ministère des frères mineurs et aux autres ordres. Il se préoccupa de promouvoir la discipline dans son archidiocèse. Il restaura et construisit de nombreuses églises.

3 Guillaume de Saint-Amour, né à Saint-Amour (Jura), étudia puis enseigna à la faculté des arts de Paris. Il prit ensuite le doctorat en droit canon et, enfin, entreprit les longues études qui menaient alors au doctorat en théologie : docteur, il commença à enseigner la théologie vers 1250. Il se trouva bientôt mêlé aux luttes que les maîtres de la faculté de théologie de Paris menaient contre les religieux mendiants et son caractère entier le porta à prendre la tête du mouvement. Guillaume mena d'abord la lutte à Paris, puis à la Curie romaine qui se trouvait alors à Anagni ; il était le chef de la députation universitaire qui s'y présenta en 1254 devant Innocent IV et y remporta une victoire sur les religieux mendiants : par la bulle Quociens pro communi (4 juillet 1254), le pape reconnut officiellement les statuts universitaires de 1252, aux termes desquels aucun des collèges de religieux ne pourrait avoir plus d'une chaire magistrale ; les religieux n'appartenant à aucun collège ne pourraient faire partie de l'université. Quelques mois plus tard Innocent IV mourait, et son successeur, Alexandre IV, se révélait chaud partisan des ordres nouveaux. A Paris où il était rentré, Guillaume organisa la résistance, instiguant des grèves et diverses manœuvres, combattant tous les compromis proposés. Le pape le condamna le 5 octobre 1256, et le retint même en résidence surveillée à la Curie où il était revenu pour se défendre. Après une lutte âpre et parfois cauteleuse, Guillaume obtint de quitter Anagni, mais ne put obtenir la permission de rentrer en France : il restait d'ailleurs privé de sa chaire et de ses bénéfices. Il se retira dans son village natal, alors terre impériale, et, malgré l'interdiction qui lui en avait été faite, entretint des relations avec ses partisans de Paris. Il mourut le 13 septembre 1272.