Fête de la dédicace du Latran

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (II, 13-22).

Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le Temple1 les marchands de bœufs, de brebis et de colombes2, et les changeurs.

Il fit un fouet avec des cordes3, et les chassa tous du Temple4 ainsi que leurs brebis et leurs bœufs, il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic5. »

Ses disciples se rappelèrent cette parole de l'Ecriture6 : « L'amour de ta maison fera mon tourment.7 »

Les Juifs l'interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai.8 » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais le Temple dont il parlait, c'était son corps9. Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela10 ; ils crurent aux prophéties de l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite.



1 Le Temple était celui qu’Hérode avait fait agrandir et embellir pour se concilier les faveurs des Juifs, à partir de 20 avant Jésus-Christ. Au nord, l'aire sacrée venait jusqu'au pied de la colline du Bézétha ; au sud, grâce à des substructions voûtées, elle avait été aussi considérablement étendue (vers l’actuel mur des Lamentations). Le périmètre était d'environ 1500 mètres. L'ensemble était entouré de portiques : quadruple colonnade sur les trois autres côtés (à l’est le portique de Salomon). L'angle nord-ouest était occupé par la forteresse Antonia, qui communiquait avec le parvis extérieur (Actes des Apôtres, XXI 31-32). Quatre portes, une au nord et trois à l’ouest, donnaient accès a ce dernier. Plus que pour le temple de Zorobabel, on s'inspira des idées d'Ezéchiel sur la sainteté et la pureté qui devaient caractériser le peuple d'Israël (Ezéchiel XL-XLIV). Comme précédemment un péribole de pierre marquait la limite que les païens ne devaient pas dépasser. De distance en distance, des plaques de marbre portaient cet avertissement : « Défense à tout étranger de pénétrer à l'intérieur de la barrière et du péribole qui entoure le hiéron. Celui qui serait pris se tiendra pour responsable de ce que mort s'ensuive » (Actes des Apôtres XXI 28). En outre, une succession de parvis allant du moins sacré au plus sacré partageait les entours du Temple. A l'extérieur du péribole, le « parvis des Gentils » où enseignaient les « docteurs de la Loi » et où les premiers chrétiens de Jérusalem avaient l'habitude de se tenir (S.Jean X 23 ; Actes des Apôtres III 11; V12) ; vendeurs d'animaux pour les sacrifices et changeurs de monnaie s'y installaient à demeure (S. Jean II 14). Le « parvis des femmes », entouré de communs, et auquel on accédait par la Belle Porte (Actes des Apôtres III 2) ; le « parvis des hommes » ou parvis d'Israël, séparé du précédent par une lourde porte de bronze ; enfin le « parvis des prêtres », où se trouvait l'autel des holocaustes. A dix mètres de là, 1'ensemble sacré comprenant comme précédemment le « vestibule », le « Saint » et le « Saint des Saints ». Sur l'emplacement exact de l'ensemble, deux opinions se font jour, dont aucune ne peut enlever l'adhésion unanime : pour les uns, la roche actuellement recouverte par la coupole de la mosquée d'Omar marquerait l'emplacement de l'autel des holocaustes ; pour les autres, ce serait celui du Saint des Saints. L'embellissement du temple par Hérode posa des questions graves : non seulement Hérode n'était pas prêtre, mais ses sujets se méfiaient de lui et de son éclectisme religieux. Il commença donc par accumuler tous les matériaux nécessaires, embaucha des ouvriers et fit apprendre à mille prêtres le métier de maçon pour travailler dans les parties du temple où le profane ne pouvait entrer. Puis les travaux commencèrent. Le gros œuvre était achevé dix ans plus tard ; Hérode célébra alors la dédicace du nouveau temple. Les travaux continuèrent jusqu'en 64 après Jésus-Christ. Le 6 août 70, malgré la décision contraire de Titus, le sanctuaire fut incendié au moyen d'un tison enflammé jeté par un légionnaire. Seules quelques pièces du mobilier furent sauvés, spécialement le chandelier à sept branches et la table des pains de proposition ; elles parurent en 71 dans le cortège triomphal de Titus à Rome où l’arc de triomphe bâti au début de la Voie Sacrée garde le souvenir.

2 Qui sont ceux qui vendent des brebis et des colombes ? Ceux qui, dans l'Eglise, recherchent leur intérêt plutôt que celui de Jésus-Christ. Ils trafiquent de tout, eux qui ne veulent pas être rachetés ; ils ne veulent pas être rachetés, et ils vendent. Il leur serait pourtant avantageux d'être rachetés par le sang du Christ, pour parvenir à la paix du Christ (saint Augustin : sermon sur l’évangile selon saint Jean, X 5).

3 Jésus nous a indiqué là un symbole, en faisant un fouet avec des cordes et en frappant avec ce fouet des hommes de désordre qui faisaient du Temple de Dieu une maison de commerce. En effet, c'est avec ses péchés que chacun se fait une corde. Le prophète dit : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde » (Isaïe, V 18). Quel est celui qui se fait une longue corde ? Celui qui, à un péché, en ajoute un autre... La corde s’allonge : crains le fouet. Il t'est avantageux de recevoir ici-bas le châtiment qui peut te corriger ; on ne dira pas au dernier jour : « Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres » (évangile selon saint Matthieu, XXII 13). Car chacun est lié par les chaînes de ses péchés (saint Augustin : sermon sur l’évangile selon saint Jean, X 4).

4 Cet épisode se situe, dans l’évangile selon saint Jean, au début de la vie publique de Notre Seigneur, juste après les noces de Cana. Les trois autres évangélistes décrivent une scène semblable à la fin de la vie publique : évangile selon saint Matthieu, XXI 12-13 ; évangile selon saint Marc, XI 15-17 ; évangile selon saint Luc, XIX 45-46.

En chassant du Temple les animaux destinés aux sacrifices, ne signifiait-il pas que les sacrifices allaient y être abolis ?Et en dispersant les pièces de monnaie à l’effigie du Temple, ne signifiait-il pas que le sacerdoce allait être enlevé aux Juifs et transféré aux Gentils ? (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Jean, X).

5 Les prêtres vendaient les victimes qu’on avait offertes pour qu’on les achetât de nouveau. Les changeurs pour ne pas tomber sous les condamnations qui frappaient l’usure, acceptaient, pour la monnaie qui pouvait être offerte dans le Temple, des denrées bien au-dessous de leur valeur. En face de ce négoce ou plutôt de ce brigandage organisé dans la maison de son Père, Jésus poussé par l’ardeur de son zèle (...) se met à chasser hors du Temple toute cette multitude. N’entendez-vous pas Dieu qui pousse cette plainte : « Ils dévorent mon peuple comme s’il était une proie ! » (saint Jérôme).

Il y a encore sur terre un temple qui est formé de pierres vivantes, c’est l’Eglise. Et dans ce Temple, il y en a qui vivent comme s’ils ne se trouvaient pas dans u  temple, qui n’ont que des pensées charnelles, et qui font de la maison de la prière une caverne de voleurs (...) Il y en a qui font le trafic des colombes, c’est-à-dire qui vendent les âmes simples (...) Il y en a qui, chargés des biens de l’Eglise, ne s’en servent que pour leur intérêt : ce sont ces changeurs assis aux tables où ils devraient être debout pour servir les autres (...) N’entendez-vous pas le Christ s’écriant : « Quelle utilité y-a-t-il dans mon sang ? »  Ah ! qu’il s’arme donc d’un fouet vengeur ; qu’il nous châtie durement plutôt que de nous laisser dans l’iniquité  (Origène : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XVI).

Le Temple, la maison de Dieu, c’est aussi l’âme et la conscience de chaque fidèle. Elle cesse d’être une maison de prière, et elle devient une caverne de voleurs quand on y laisse entrer des pensées qui tendent à nuire au prochain (...) Et maintenant encore, la suprême vérité est là, enseignant dans le Temple, quand elle incline l’esprit des fidèles à se mettre en garde contre les périls des derniers jours, quand tous les jours elle les ramène à la pensée du sage : « En toutes vos œuvres, rappelez-vous vos fins dernières, et vous ne pècherez jamais. » Oui, chaque jour, nous devons nous rappeler les paroles du Sauveur : « Ah ! si vous connaissiez toutes ces choses qui ont été préparées pour votre paix, et sont cachées à vos yeux ! » Maintenant notre juge attend patiemment, et que nous paraissons à l’abri du châtiment suprême, nous devons penser aux périls de l’avenir, gémir en y pensant, et gémissant, nous mettre en garde contre eux, nous rappeler les péchés que nous avons commis, en nous les rappelant les pleurer, et en les pleurant les effacer (saint Grégoire le Grand : homélie XXIX sur les péricopes évangéliques, 7).

6 Un mot de l'Ecriture revint à la mémoire de ses disciples : « Le zèle pour ta maison me dévorera. » C'est à cause de son zèle pour la maison de Dieu que le Seigneur a chassé les marchands du Temple. Frères, que chaque chrétien, parmi les membres du Christ, soit dévoré du zèle de la maison de Dieu. Qui est dévoré par ce zèle ? Celui qui s'efforce de corriger toutes les vilenies qu'il voit, qui désire les faire disparaître et y travaille sans repos ; s’il ne peut les corriger, il les supporte, mais il en est attristé. Le bon grain n’est pas jeté hors de l’aire, il supporte la paille, afin d'entrer dans le grenier quand la paille en aura été séparée. Avant d’être porté dans le grenier, si tu es du bon grain, ne te laisse pas jeter hors de l'aire, de peur que les oiseaux ne te dévorent avant que tu ne sois recueilli dans le grenier. Car les oiseaux du ciel attendent la permission d'enlever quelque chose de l'aire, mais ils n’emportent que ce qui a été rejeté. Que le zèle de la maison de Dieu te dévore donc, qu'il dévore chaque chrétien, puisque tous sont membres de la maison de Dieu. Aucune maison n'est plus a toi que celle où tu obtiens le salut éternel. Tu entres dans ta maison pour un repos passager, tu entres dans la maison de Dieu pour un repos éternel. Tu veilles à ce qu'il ne se passe rien de répréhensible dans ta maison : et dans la maison de Dieu, où t’attendent le salut et le repos éternels, dois-tu souffrir la moindre action coupable, si tu peux l'empêcher ? (saint Augustin : sermon sur l’évangile selon saint Jean, X 9).

7 Psaume LXIX (LXVIII), verset 10 : « Car le zèle de ta maison me dévore et les insultes de ceux qui t’insultent sont tombées sur moi. »

8 De fait, les Juifs détruiront ce « Temple de son corps », en le faisant mourir sur la Croix, mais trois jours plus tard, au matin de Pâques, Jésus ressuscita.

9 Ils étaient matière, ils comprenaient les choses matérielles ; lui, il parlait en un sens spirituel. Mais pouvons-nous comprendre de quel sanctuaire il parlait ? Nous n'avons pas beaucoup à chercher ; l'Evangéliste nous l'a expliqué en précisant de quel sanctuaire il parlait : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. » Et il est certain que le Seigneur est ressuscité trois jours après sa mort... Ecoute une preuve que le Fils était Dieu lui-même : « Détruisez ce sanctuaire, dit-il, en trois jours je le relèverai. » A-t-il dit : « Détruisez ce sanctuaire que mon Père relèvera en trois jours ? » Non : lorsque le Père relève, le Fils aussi, et quand le Fils relève, le Père aussi, car le Fils a dit : « Mon Père et moi, nous sommes un » (saint Augustin : sermon sur l’évangile selon saint Jean, X 10).

10 Il se ressuscita lui-même et en cela il établit sa divinité. Il avait le droit de veiller à la pureté du temple figuratif celui qui devait relever par sa puissance divine le vrai temple, le temple de son corps, ruiné par la malice des hommes (saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Jean).