5 juin

Saint Boniface,
Evêque et martyr

Biographie

Winfrid, qui prendra plus tard le nom de Boniface, naquit vers 680, dans le royaume anglo-saxon de Wessex, récemment conquis au christianisme, où sa famille brillait par sa foi et par son rang. À l'âge de quatre ou cinq ans, il suppliait son père de lui laisser embrasser la vie monastique ; à sept ans quand il entra comme oblat à l'abbaye d'Exeter[1] où il commença ses études qu’il poursuit à l’abbaye de Nursling (diocèse de Winchester). Le souvenir de ses anciens maîtres, restera comme un parfum qui embaumera toute sa vie, singulièrement Aldheln qui, à Nursling, lui apprit les disciplines littéraires. Devenu professeur, il composa une grammaire latine. Outre la science profane, il fut initié aux sciences sacrées, surtout à l'Écriture sainte dont il ne fit pas l'objet d'une vaine érudition mais de la prédication qu’il exerça sans aucun détriment pour sa vie monastique car il était assidu aux offices comme au travail manuel. Cependant, Winfrid ne songeait qu'à porter aux païens déshérités la lumière de la foi.

En 716, avec trois compagnons, il quitta Nursling pour la Frise, située en face de l'estuaire de la Tamise, qui était la terre la plus réfractaire à l'Évangile. À peine effleurée par saint Amand et saint Éloi, la Frise était devenue le partage de saint Willibrord qui, après la mort de Pépin d'Héristal (714), se sentant peu en sécurité s'était retiré à l'abbaye d'Echternach. Winfrid ne put davantage s'y établir et regagna bientôt Nursling d'où il faillit ne plus revenir, car il fut élu pour succéder au vieil abbé Winbrecht, mort peu après son retour. Ses instances et celles de l'évêque de Winchester ayant fait élire un autre candidat, Winfrid, de nouveau libre, partit pour Rome à l'automne 718.

Au printemps de 719, Grégoire II[2] lui remit une lettre d'investiture pour prêcher la foi aux idolâtres de Germanie. Il lui recommandait de suivre dans l'administration des sacrements les règles de la liturgie romaine et, dans les cas difficiles, d'en référer au Saint-Siège. Le pape changea aussi le nom de Winfrid en celui de Boniface.

La situation de la Germanie étant confuse, le pape n'avait désigné au zèle de Boniface aucune province bien déterminée. Après avoir visité la Bavière et la Thuringe, Boniface jeta son dévolu sur la Frise que les Francs venaient de reconquérir et où saint Willibrord était retourné. Celui-ci, déjà âgé, voulut bientôt faire de Boniface son coadjuteur et successeur, mais il résolut, après trois ans de labeurs et d'expériences fécondes, d'aller porter la foi à des contrées plus déshéritées, à l'intérieur de l'Allemagne. En route il s’adjoint Grégoire, un adolescent, neveu de l'abbesse de Pfalzel, près de Trèves.

Il s’établi en Hesse qui relevait des Francs et qui, malgré les missionnaires irlandais, demeurait foncièrement païen. Fort des conseils et des prières de ses amis d'Angleterre, Boniface en entreprit l'évangélisation méthodique et pour cela établit à Amoenburg sa première fondation monastique. Il voulut sans tarder porter à la connaissance du pape ses premiers résultats et ses difficultés. Grégoire II l'invita à le venir voir à Rome.

Le pape, après lui avoir fait écrire une profession de foi, lui conféra la consacration épiscopale (30 novembre 722) sans lui attribuer un diocèse particulier mais en le rattachant directement au Saint-Siège, et lui remit, avec un recueil des conciles, des lettres de recommandation, notamment pour Charles Martel qui lui fit bon accueil et lui délivra un sauf-conduit. La protection du prince, la mission de Rome et le caractère épiscopal conféraient à Boniface un nouveau prestige aux yeux des Germains qui lui permit de faire un coup d'éclat en abattant le chêne sacré de Thor, sur la montagne de Gudenberg (Geismar, près de Fritzlar) que les populations de la Hesse vénéraient à l'égal d'un dieu. À peine entamé, l'arbre s'abattit, comme renversé par un vent impétueux ; les païens y virent une sorte de jugement de Dieu et, devant l'impuissance des idoles à se défendre, passèrent en grand nombre à la foi chrétienne. Le bois du chêne servit pour édifier une chapelle en l'honneur de saint Pierre.

Au bout d'un an, Boniface, jugeant que l'évangélisation de la Hesse était suffisamment avancée, passa en Thuringe (724) où il resta jusqu'en 731. En Thuringe, effleurée par la prédication chrétienne, la vie religieuse, aux mains d’un clergé ignorant ou relâché, était extrêmement languissante. Boniface fonda le monastère de Saint-Michel d'Ohrdruff, près de Gotha, qu’il peupla de missionnaires anglo-saxons qui se distinguaient par leur attachement au Saint-Siège et aux coutumes romaines.

Boniface recherche tout d'abord l'appui des rois et des grands, sans jamais s'inféoder à eux. Puis, pour appuyer son apostolat et en maintenir les résultats, il fait appel aux monastères tels ceux qu’il établit en Hesse (Amoenburg et Fritzlar) ou en Thuringe (Ohrdruff, pour les hommes, Kitzigen, pour les femmes, Ochsenfurt et Bischoffsheim, sur la Tauber) qui étaient des foyers de civilisation, enseignant l'agriculture et les arts en même temps que la foi.

Ayant reçu du successeur de Grégoire II (mort le 11 février 731), Grégoire III, le titre d’archevêque et le pallium (732), Boniface passa en Bavière, vaste territoire évangélisé depuis plusieurs générations, notamment par saint Rupert et saint Corbinien, mais qui n'avait pas encore reçu d’organisation hiérarchique. Saint Boniface y resta de 732 à 741, exception faite d'un séjour qu’il fit à Rome (738-739) d’où il revint consolé, encouragé, éclairé et chargé de reliques pour les jeunes églises qu'il avait fondées. Ce pèlerinage lui valut de recruter son compatriote Wunnibald, pèlerin devenu moine dans la Ville éternelle, et son frère Willibad qui avait, après un pèlerinage à Jérusalem vint les rejoindre en Germanie.

De retour en Bavière, Boniface établit les évêchés de Salzbourg, Freysing, Ratisbonne et Passau, puis regagna la Hesse où il établit l’évêché de Buraburg (remplacé sous Charlemagne par Paderborn), et la Thuringe où il établit les évêchés d’Erfurt (remplacé sous Charlemagne par Halberstadt) et de Würzburg. Pour joindre ces terres neuves aux anciennes cités de Bavière, aux confins de la Franconie et de la Bavière, saint Boniface créa le siège épiscopal d’Eichstadt pour Willibad dont le frère Wunnibad et la sœur Walburge fondèrent un monastère double à Heidenheim, alors que leur compatriote Sola bâtissait Solnhofen.

Ainsi, en une vingtaine d'années, Boniface avait édifié sur les territoires soumis aux Francs une vaste et solide chrétienté. Chacun de ses diocèses possédait un ou plusieurs monastères, mais, depuis longtemps déjà, voulait en établir un au centre de l'Allemagne, qui lui fût à la fois un lieu de repos et un quartier général. Il chargea un jeune moine, Sturmi, de lui découvrir, dans les forêts de Hesse et de Thuringe, un emplacement assez large, assez riche et abrité tout à la fois, pour recevoir une nombreuse population de moines et de missionnaires. Le roi Carloman fit la cession de ce terrain, et les défrichements commencèrent sans tarder. Le 12 janvier 744, Sturmi en prit possession avec sept autres moines. Chaque année Boniface viendra s'y reposer et se recueillir auprès d'eux dans la solitude, prenant plaisir à initier ses frères plus jeunes aux traditions monastiques. La fondation qui comptera quatre cents moines à sa mort, allait être la base solide pour l'évangélisation de l'Allemagne. « Les quatre peuples auxquels, par la grâce de Dieu, j'ai porté la parole évangélique, sont à portée, écrivait-il au pape ; je puis encore leur être utile tant que je vivrai. »

Après la mort de Charles Martel (741), ses deux fils, Pépin et Carloman, s'étaient partagés son royaume, et Boniface relevait du dernier qui avait obtenu l’Austrasie. Tant Boniface que Carloman (qui devait finir ses jours au Mont-Cassin sous l'habit monastique) gémissaient de voir des soldats et des séculiers détenir les bénéfices et les honneurs dans l'Église que Charles Martel avait cédés en récompense à ses fidèles. Carloman résolut de mettre fin à ces abus et de placer à la tête des églises des hommes qui en fussent dignes. La chose était d'autant plus nécessaire que d'autres abus venaient se greffer sur celui-là et l'aggraver. Le relâchement de la discipline permettait à beaucoup d'aventuriers de tromper un peuple naïf et crédule. Parmi eux, beaucoup de moines celtes, pour qui les pèlerinages et les missions lointaines avaient toujours eu le plus grand attrait. Malheureusement leurs usages nationaux, auxquels ils tenaient farouchement, notamment leur façon de calculer la date de Pâques, et surtout leur indépendance à l'égard de la hiérarchie ecclésiastique, en faisaient des éléments de perturbation. De plus, dans leurs rangs se glissaient inévitablement des hommes d'une vertu moins que certaine.

Avec l'assentiment du pape Zacharie, Boniface convoqua des conciles pour rappeler et préciser les prescriptions de la discipline ecclésiastique. Bientôt d'ailleurs, piqué d'émulation, Pépin voulut aussi qu'on en convoquât un pour ses états à Soissons (743), et en 744 on put réunir un concile général des évêques francs. On ne saurait énumérer ici toutes les mesures prises. Notons que son grand souci fut de resserrer les liens des prêtres avec leurs évêques et de ceux-ci avec leurs métropolitains. Les prélats indignes furent destitués et remplacés par de saints évêques, parmi lesquels il faut nommer saint Chrodegang, évêque de Metz, qui travailla si efficacement à la réforme du clergé et à l'institution des chanoines réguliers. Les biens ecclésiastiques accaparés par les nobles furent aussi rendus en partie. Enfin, en 747, l'œuvre était virtuellement achevée et un concile général la sanctionna. Tous les évêques présents signèrent une profession de foi qui fut portée à Rome sur la confession de Saint-Pierre, avant d'être remise au pape, pour marquer l'union de l'église franque et sa soumission au vicaire de Jésus-Christ.

Comme Boniface n'avait point encore de siège fixe, il choisit Cologne d’où il pourrait commander à la fois la Germanie, la Gaule et même la Frise, dont il rêvait de reprendre la conquête. Carloman et Pépin donnèrent leur assentiment, le pape le félicita ; or il demeurait dans le clergé franc, et sans doute à Cologne, bien des éléments irréductibles. Toujours est il qu'il ne prit pas possession de Cologne et accepta plus tard le siège de Mayence (747). Carloman ayant abdiqué pour se retirer au Cassin (747), Pépin reçut la couronne du pape Zacharie et Boniface le consacra à Soissons (751).

Septuagénaire, Boniface se retourne vers la Frise, son premier champ d'apostolat. À cet effet il fait choix d'un coadjuteur pour Mayence, son disciple et compatriote Lull, et retourna en Frise. Il avait préparé le plus minutieusement possible son expédition. Néanmoins l'âge, et peut-être un secret avertissement du ciel, le prévenaient de sa fin prochaine. Il fit donc ses adieux à ses amis les plus chers et leur demanda de rapporter, après sa mort, son corps à Fulda où il voulait reposer. Au printemps de 753, il s'embarqua sur le Rhin et aborda à Utrecht où il passa l'hiver.

Aux beaux jours il reprit ses courses apostoliques ; mais le fanatisme des païens s'était réveillé et une armée d'infidèles le massacra avec sa petite troupe, le 5 juin 754, tandis qu'il attendait à Dokkum, tout au nord du pays, des néophytes qu’il devait confirmer. Le saint conjura ses compagnons de renoncer à la lutte, mais sa douceur ne désarma pas les assaillants. Tandis qu'il se protégeait la tête d'un livre, un coup d'épée trancha le manuscrit et lui fendit le crâne. Avec lui périrent cinquante-deux compagnons. Les chrétiens de Frise ne tardèrent pas à recueillir les ossements des martyrs. Ceux de saint Boniface furent portés d'abord à Mayence, puis, selon sa volonté, à Fulda, où ils sont l'objet de la vénération de toute l'Allemagne catholique.



[1] L'abbaye bénédictine Saint-Pierre d'Exeter, très probablement fondée en 678. A l’époque où y étudia saint Boniface, l'abbé était Wulfard. Ethelred, roi des Saxons occidentaux, restaura ce monastère vers 858. 

[2] Saint Grégoire II qui règna du 19 mai 715 au 11 février 731, fut le plus éminent pontife du VIII° siècle. Né en 669 à Rome dans une famille riche, il fut élevé au Latran. Intellectuellement doué, diplomate et résolu, il fut sous-diacre sous Sergius II qui lui confia la garde de la bourse ; il fut ensuite bibliothécaire, puis, diacre, il remplit plusieurs missions diplomatiques à Constantinople. A la mort du pape Constantin (708-715), il fut le premier romain à être élu après sept papes d'origine grecque ou syrienne. La pape Grégoire fit preuve de capacités diplomatiques dans la situation confuse où l'Italie sombrait à mesure que le pouvoir byzantin déclinait. En 716 il persuada le roi lombard Liutprand (7l2-744) de restituer les propriétés pontificales qu’il conservait encore dans le massif du Viso ; il obtint plus tard le retour à l'Empire des forteresses des Cumes et de Sutri. Entre 717 et 726, tout loyal sujet de l'Empire qu’il fût, il prit la tête de la résistance aux exigences fiscales de l'empereur Leon III l'Isaurien (7l7-741). Aussi les autorités voulèrent-elles le faire déposer ou assassiner, mais sa popularité les arrêta. Il s’efforça de contenir les visées expansionnistes des Lombards, mais en 729 Rome fut menacée par Liutprand, qui avait conclu avec l'exarque Eutychius une alliance aussi inattendue qu'éphémère. Grégoire fit une irruption spectaculaire dans le camp lombard ; le catholique Liutprand en fut si impressionné qu’il leva le siège et déposa ses insignes royaux sur le tombeau de saint Pierre en signe de soumission. Eutychius s'installa à Rome ; le Pape fit un accord avec lui et l'aida à écraser la rébellion de Tibère Petase.