3ème dimanche de Carême

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Luc (XIII 1-9).

Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l'affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu'ils offraient un sacrifice[1]. Jésus leur répondit[2]  : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non ! je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux[3]. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien non ! je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière »[4].

Jésus leur disait encore cette parabole : « Un homme avait un figuier[5] planté dans sa vigne[6]. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n'en trouva pas[7]. Il dit alors à son vigneron : ‘ Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas[8]. Coupe-le. A quoi bon le laisser épuiser le sol ?  Mais le vigneron[9] lui répondit : ‘ Seigneur, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier[10]. Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir. Sinon, tu le couperas ’».


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] On ne connaît ce massacre des Galiléens ordonné par Pilate que par l’Evangile, mais il n’a rien de très extraordinaire. En effet, comme les espérances messianiques surexcitaient bien des gens, il ne manquait pas de révoltes et de séditions contre l’occupant romain ; or, de tous les Juifs, les Galiléens passaient pour être les plus remuants et les plus prompts à la révolte (Flavius Josèphe : « Antiquités juives », XVII, 9, 3). Les Actes des Apôtres évoquent « Judas, le Galiléen, qui entraîna du monde à sa suite  celui-là aussi périt, et tous ceux qu’il avait gagnés furent dispersés » (Actes des Apôtres, V 37). Pilate, le procurateur romain alors en charge, réprimait durement toute tentative de rébellion, ne craignant pas de faire couler à flots le sang d'un peuple qu'il méprisait (Flavius Josèphe : « Antiquités juives », XVIII, 3, 2). Les Galiléens dont il est ici question, étaient venus à Jérusalem pour offrir leurs sacrifices ; comme ils avaient dû causer quelque trouble dans l'enceinte du Temple, la garnison romaine, logée dans la Tour Antonia, était intervenue et avait massacré sur place des gens mêlés au tumulte. Peut être que ces émeutiers étaient des Zélotes dont le parti se développa en Galilée.

[2] Notre propre péché est-il la source de nos maux ? Jésus refuse cette logique. Devant Dieu tous les hommes sont pécheurs et les victimes des catastrophes ne sont pas plus pécheurs que ceux qui en réchappent. Dans la première partie de ce passage d’évangile, Jésus dénonce l'illusion de ceux qui se croient justes devant Dieu, puis il fait un appel pressant à la conversion. La parabole ouvre sur l'espérance : comme on donne un sursis à la vigne improductive, Dieu donne aux hommes le temps de se convertir, de porter des fruits. On retrouve les accents habituels de Luc : la sévérité de Jésus face à ceux qui se croient justes, sa miséricorde face aux pécheurs, la nécessité pour le disciple de porter du fruit.

[3] Toutes les fois que nous nous trouvons en face de quelque malheur, au lieu de scruter les secrets de la Providence au risque de souvent l'accuser, nous devrions nous dire : « Quelque chose de plus grave m'attend si je ne fais pénitence » (Théophylacte).

[4] Il veut que l'on profite de toutes les calamités qui surviennent pour rentrer en soi-même, reconnaître qu'on les a méritées, se frapper la poitrine et faire pénitence, dans la crainte de calamités plus grandes (saint Pierre Chrysologue : sermon CIII).

[5] Ce figuier représente le genre humain. N'est-ce pas des feuilles de cet arbre que nos premier parents couvrirent leur nudité ? (...) O arbre stérile, ne te moque donc point si tu es épargné ; la hache a été éloignée pour un moment ; mais il ne faut pas pour cela que tu t'estimes à l'abri de tout danger  elle reviendra et tu seras coupé (saint Augustin : sermon CX 1).

Il est étonnant qu’un figuier soit stérile ; en effet, le figuier (ficus carica), avec assez d’eau et un peu de fumure, croît facilement, fût-ce dans un terrain maigre et pierreux. Le figuier qui bourgeonne très tôt, fructifie deux fois par an : en juin on cueille la figue précoce qui a passé l'hiver sur l'arbre (Jérémie, XXIV 2 ; Osée, IX 10) ; fin août on cueille la figue tardive. Cette fructification presque permanente explique le désappointement du propriétaire. Avec le raisin et l'olive, la figue est un aliment important (premier livre des Chroniques, XII 41). On plante parfois le figuier dans la vigne, pour qu'il serve de soutien aux pampres ; d'où l'expression « vivre sous la vigne et sous le figuier » (premier livre des Rois, V 5 ; Zacharie, III 10), ce qui est un indice de paix et de bien-être. On mange la figue fraîche (Isaïe, XXVIII 4), séchée ou sous forme de gâteau (premier livre de Samuel, XXV 18) composé de figues pressées ; sous cette dernière forme les figues servent aussi de vésicatoire (Isaïe, XXXVIII 21 ; deuxième livre des Rois, XX 7).

[6] Nous sommes le jardin du Christ ; ce que vous voulez que votre jardinier fasse en votre jardin, faites-le en votre âme pour le Christ, et s'il se trouve parfois en votre jardin des choses qui offusquent votre regard, sachez que des choses analogues se rencontrant en votre âme déplairont à Jésus-Christ. Si votre jardin n'était qu'un champ rempli de buissons, ne recevant point la pluie qui descend de ces nuées célestes qu'on appelle les prophètes et les apôtres, il ne serait bientôt qu'une solitude maudite (saint Paulin de Nole : épître XXXIX).

[7] Ce figuier représente plus particulièrement la Synagogue plantée dans la vigne du Seigneur. Celui qui a abandonné sa vigne aux nations pour être ravagée par elles est le même qui ordonne de couper le figuier. Comme le figuier par ses feuilles abondantes trompe quelquefois l'attente du maître qui espérait du fruit, de même dans la Synagogue on trouvait des docteurs aux œuvres infécondes, qui se glorifiaient dans leur verbiage semblable à des feuilles stériles : la Synagogue, trompant l'espérance que l'on avait eue de ses fruits, ne donnait plus qu'une ombre inutile (...) Et on ne peut pas dire que le maître est venu prématurément : il est venu en trois années successives. Il est venu à l'époque d'Abraham, à l'époque de Moïse, à l'époque de Marie. Il est venu par le signe de l'alliance qu'il contractait avec eux, dans la loi qu'il leur apportait, il est venu dans le corps dont il s'est revêtu. Nous reconnaissons son avènement à chacun de ses bienfaits, la purification, la sanctification, puis la justification : la purification par la circoncision, la sanctification par la loi, la justification par la grâce. Et chacun de ces bienfaits était ordonné au bienfait suivant et le préparait : la purification préparait la sanctification et celle-ci préparait la justification (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 161 & 166).

[8] Le peuple juif n'a pas obtenu le fuit de ces bienfaits : il n'est pas arrivé à la purification parce qu'il n'a connu que la circoncision charnelle et non la circoncision spirituelle ; il n'est pas arrivé à la sanctification parce qu'il n'a connu de la loi que les observances matérielles et n'en n'a point pris l'esprit, et la loi est avant tout esprit ; il n'est pas arrivé à la justification parce qu'il n'a pas fait pénitence pour ses fautes, et n'a point connu la grâce. C'est donc justement que le maître de la vigne ordonne de le couper. Mais voici qu'une voix se fait entendre en sa faveur : c'est celle du vigneron qui a vécu si longtemps avec lui. C'est peut-être la voix de celui qui, né d'Israël, va fonder son Eglise, qui sachant que la parole de Dieu va être transférée aux gentils, intercède en faveur du peuple qui avait été l'élu de Dieu, et voudrait que sa vocation s'achevât dans l'Eglise (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 166 & 168).

[9] Si quelqu'un veut voir dans le vigneron le Sauveur lui-même, son sentiment sera plausible. N'est-il pas votre avocat ? N'est-il pas l'ouvrier qui cultive nos âmes ? N'a-t-il pas dit de lui-même : « Celui qui sème sortit pour semer » ? Mais vous pouvez voir aussi dans le vigneron intercédant pour l'arbre stérile l'Ange gardien de la Synagogue. Nous voyons dans le prophète Zacharie qu'un Ange s'était présenté à Dieu pour intercéder en faveur de Jérusalem : « Seigneur Tout-Puissant jusques à quand refuserez-vous d’avoir pitié de Jérusalem et des cités de Juda que vous ne regardez plus depuis soixante-dix ans ? » Nous pouvons donc supposer que celui qui intercède pour l'arbre stérile, c'est l'Ange du peuple juif (saint Cyrille d’Alexandrie : commentaire de l’évangile selon saint Luc).

[10] Comme Dieu sachons être patients, ne frappons pas trop vite, faisons prédominer la miséricorde, ne coupons pas le figuier auquel des soins dévoués feront peut-être porter des fruits (...) Ce fumier que l'on met aux racines, qu'est-il sinon le souvenir des péchés que renouvelle la pénitence et qui devient alors pour l'âme une nourriture ? (saint Grégoire de Naziance : discours XXXII, 30).

Il sait que la dureté du cœur de ce peuple est la cause de sa stérilité, et que la culture qu'il lui faut c'est d'abord la correction de ses vices : il promet d'y mettre la pioche de la parole de ses apôtres, qui détruira la masse pesant sur les racines, et y fera pénétrer l'air. Il y mettra du fumier. Quel est ce fumier qui rend féconds les arbres stériles jusque-là ? C'est celui où Job, ayant tout perdu, était assis, invincible aux assauts du démon, celui dans lequel saint Paul enfouissait les avantages trompeurs de ce monde, celui de dessus lequel Dieu doit élever le pauvre. Oui, le Sauveur sait que ceux des juifs qui aimeront l'humilité porteront des fruits nombreux dans l'Evangile : ils porteront des fruits, si par la grâce du Baptême ils veulent mourir, mourir au monde pour entrer dans la vie de l'homme intérieur. Sinon, malgré son amour, il sera obligé d'abandonner l'arbre stérile à son malheureux sort (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 168 & 170).

[11] Cette leçon adressée aux juifs, tous doivent la recevoir. Tous, nous devons rapporter ces fruits qu'annonçait le prophète Aggée, les fruits de la vigne, du figuier, du grenadier, de l'olivier, les fruits de la pauvreté, de la charité mutuelle, protégés dans le sein de l'Eglise contre les vents dévorants des passions, contre les tempêtes et la grêle de la colère (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 171).