13e dimanche des temps ordinaires

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Luc (IX 51-62).

Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem[1]. Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains[2] pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir[3], parce qu'il se dirigeait vers Jérusalem. Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean[4] intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? »[5]. Mais Jésus se retourna et les interpella vivement[6]. Et ils partirent pour un autre village. En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. Jésus lui déclara : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme[7] n'a pas d'endroit où reposer la tête[8] ». Il dit à un autre : « Suis-moi ». L'homme répondit : « Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père ». Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts[9]. Toi, va annoncer le règne de Dieu[10] ». Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison. Jésus lui répondit : Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le royaume de Dieu[11] ».


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Prendre la route de Jérusalem fut une décision grave pour Jésus qui est conscient de la nécessité de souffrir et de mourir dans cette ville sainte ; par deux fois déjà, dans l’évangile selon Luc, il a annoncé sa passion (IX 22 & IX 44-45). L’évangile, d'ordinaire peu préoccupé de psychologie et des états d'âme de Jésus, souligne ici qu'il ne s'engage pas à la légère, comme s’il suivait tout naturellement un itinéraire prévu ; le texte dit littéralement : « Il affermit son visage ». Il est vrai que le « visage » étant un hébraïsme pour désigner la personne, ce terme ne doit pas être compris comme si saint Luc avait voulu indiquer que les traits de Jésus s'étaient altérés sous l'emprise de l'émotion ; « affermir son visage » signifie une détermination qui demande du courage pour surmonter la crainte. Ici se trouvent déjà suggérées les premières atteintes de l'agonie que subira Jésus à Gethsémani (évangile selon saint Luc, XXII 39-46). C’est ainsi que saint Jérôme interpréta ce passage : « Il allait signer sa doctrine de son sang; quelle force d’âme il lui fallait pour aller ainsi au-devant de sa Passion ! Dieu lui disait comme à Ezéchiel :  Fils de l’homme, tu demeures au milieu des scorpions, ne les crains pas : car j’ai affermi ton visage ; je t’ai donné un visage d’airain et un front de fer. De sorte que si toute la terre avait été pour lui comme un marteau, comme une enclume infrangible il aurait brisé le marteau ».

[2] Les Samaritains forment une population hybride composée de descendants d’Israélites et de colons implantés par les Assyriens (deuxième livre des Rois, XVII 24) ; d’où le culte mélangé qui fut le leur : les colons vénéraient particulièrement le dieu Nergal (deuxième livre des Rois, XVII 29-34) mais aussi Yahvé pour qui le roi assyrien envoya à Samarie un prêtre qui vivait parmi les déportés (deuxième livre des Rois, XVII 27-28). Finalement les Samaritains devinrent tous monothéistes et acceptèrent la Loi de Moïse mais ils furent rejetés par les exilés judéens rapatriés de Babylonie, lorsqu’ils voulurent se joindre à eux ; ainsi naquit l’hostilité entre les Juifs et les Samaritains qui élevèrent leur propre temple sur le mont Garizim (l’actuel Djebel El Tor).

[3] En toutes choses il cherchait leur avancement. Il voulait à ce moment les préparer au scandale de sa Passion, et pour cela il les habituait à souffrir l’injure avec lui. Il les préparait à être les docteurs du monde entier, et bien des fois ils devaient se voir repoussés avec celui qu’ils apportaient au monde ; et il voulait leur apprendre avec quelle douceur ils devaient se comporter en face de ces refus (saint Cyrille de Jérusalem).

[4] « Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, auxquels il imposa le nom de Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre » (évangile selon saint Marc, III 17).

[5] Ils se souvenaient qu’Elie, Elie qu’ils avaient vu naguère à la Transfiguration, avait fait descendre le feu du ciel sur une troupe qui avait voulu s’emparer de lui. L’injure faite à leur Maître ne méritait-elle pas un châliment semblable ? Ils ne pèchent donc pas puisqu’ils suivent la Loi. Ils savaient que le zèle de Phinées à châtier des sacrilèges lui avail été imputé à mérite (...) Nous pouvons comprendre aussi que les Apôtres ont des mérites semblables à ceux des Prophètes, une situation égale à celle des Prophètes, puisqu’ils présument pouvoir posséder une puissance semblable à celle d’un des plus grands prophètes (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 27 & 28).

[6] Le zèle, quand il n’est pas accompagné de la science est exposé aux illusions et notre ennemi si rusé n’a point d’artifice plus efficace pour nous enlever la dilection que de nous lancer à l’aveugle dans les entreprises du zèle (saint Bernard : commentaire du Cantique des cantiques, sermon XIX, 7).

Il n’est pas étonnant que cette proposition fut faite par ceux que Jésus appela les fils du tonnerre, voulant à la fois reconnaître et corriger leur zèle trop empressé. Que celui-là cherche la vengeance qui a de la crainte. Celui qui n’a aucune crainte ne cherche pas la vengeance. La clémence est plus efficace que la vengeance,  elle vous est utile, à vous d’abord, elle vous forme à la patience ; et elle sert à celui qui est tombé, pour son amendement. Jésus nous montre en sa personne que la vertu, quand elle est parfaite, ignore la vengeance, et qu’il n’y a plus de colère là où est la plénitude de la charité. Il ne faut pas repousser la faiblesse, il faut l’aider. une âme vraiment religieuse doit éloigner d’elle toute indignation, et une âme vraiment grande doit repousser tout désir de vengeance (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 27 & 28).

[7] Jésus aime à se désigner par ce nom, pour nous rappeler,ce que, dans sa miséricorde, iI a voulu être pour nous (saint Augustin : « De consensu evangelistarum », II 2).

L’expression Fils de l'homme signifie d'abord, dans des textes souvent poétiques, membre de la race humaine, avec une nuance de faiblesse : « Dieu n'est pas homme pour qu'il mente, ni fils d'homme pour qu'il se rétracte » (Nombres XXIII 19) ; « le fils d'homme, ce vermisseau » (Job, XXV 6). En Babylonie (mar awili) fils de l’homme désigne un homme, c’est-à-dire un homme libre de condition supérieure ; c'est sans doute dans le sens babylonien qu'on l'Ecriture l’emploie à propos du prophète Ezéchiel (93 fois). Dans l’Evangile, l'expression Fils de l’homme est propre à Jésus ; on ne la rencontre qu'une seule fois chez ses interlocuteurs, et c’est pour en demander le sens : « Qui est-il ce Fils de l'homme ? » (évangile de saint Jean, XII 34) ; dans le reste du Nouveau Testament, on la rencontre une fois dans la bouche de saint Etienne : « voici que je contemple les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Actes des Apôtres, VII 56) ; on la rencontre aussi une fois dans l'épître aux Hébreux (II 6) et deux fois dans le livre de l'Apocalypse (I 13 et XIV 14).

[8] Peut-être veut-il lui faire comprendre, par une sorte de parabole, que ce cœur qu’il prétend lui apporter est déjà occupé : occupé par la fourberie que représente le renard, par l’orgueil et l’esprit d’indépendance que représentent les oiseaux du ciel. Le fils de l’homme, avec son amour de la simplicité et de l’humilité, n’y peut trouver de place (saint Augustin : sermon LXII, 2).

[9] Il y a une mort qui est la séparation de l’âme et du corps : cette mort est plutôt un départ qu’une peine ; elle ne doit pas être redoutée des forts, elle doit être désirée par les sages, elle est demandée par les misérables. Il y a une autre mort qui nous rend insensibles aux jouissances de la terre : c’est cette mort qui se fait en nous quand le baptême nous ensevelit avec le Christ. Et il y a une troisième mort qui est l’ignorance du Christ. Connaître le Christ, c’est la vie éternelle, qui maintenant est donnée aux justes voilée, et qui plus tard leur sera donnée dans toute sa splendeur. A son ombre, disait David, nous aurons la vie parmi les nations (Psaume LVI 2). A cette ombre ardemment désirée l’Eglise trouve son repos. Si votre ombre seule, ô Seigneur Jésus, apporte déjà de si grands biens, qure sera-ce de la réalité ? Quelle vie circulera en nous quand nous serons non plus dans l’ombre mais dans la vie elle-même ! Maintenant notre vie est cachée avec le Christ en Dieu mais quand le Christ, notre vie, apparaîtra dans toute sa gloire, nous apparaîtrons avec lui dans la gloire (Colossiens III 3). Qu’elle est heureuse cette vie où il n’y a plus de mort ! C’est à cette vie qu’il nous faut tendre, nous attristant d’être encore loin de Dieu (saint Ambroise : commentaire de l’évangile selon saint Luc, VII 34).

[10] Nous devons dans nos rapports avec le prochain, nous rendre plus utiles à ceux qui sont plus proches de nous comme la flamme qui chauffe tout ce qui est autour d’elle, mais principalement le lieu où elle est née.Nous devons reconnaître les liens de notre parenté terrestre, mais l’ignorer lorsqu’elle empêche le vol de l’âme. L’âme fidèle, appliquée aux choses divines, ne doit pas mépriser les liens d’en bas, mais elle doit savoir les ordonner, et dans son amour des choses d’en haut s’élever au-dessus d’eux. Il ne faut pas qu’ils soient une entrave nous empêchant de marcher, un poids qui nous empêche de nous élever. Il faut compatir aux nécessités de ses proches, sans que toutefois notre compassion empêche le mouvement de notre vie intérieure ; iI faut avoir quelque chose dans le cœur, sans que toutefois ce quelque chose nuise à notre vie spirituelle (saint Grégoire le Grand : « Moralia in Job », VII 30).

[11] Celui que Jésus désigne comme mettant la main à la charrue a un certain attachement à son œuvre ; cependant il n’y est pas avec tout son cœur, puisqu’il regarde encore à autre chose, et demande un délai (saint Cyrille de Jérusalem : « Catéchèses »).