6ème dimanche de Pâques

Evangile

Suite du saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Jean (XV 9-17).

À l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour[1], comme moi, j'ai gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie. Mon commandement[2], le voici : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés[3]. » Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande[4]. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis[5], car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître[6]. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis[7] afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure[8]. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera[9]. Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Tout à l'heure, il nous parlait de l'amour qu'il nous porte. Il s'agit donc de demeurer dans cet amour (...) Ne faut-il pas, pour que les commandements soient observés, que l'amour précède ? Oui, certes ; mais en nous disant cela, il veut nous indiquer non la source de l'amour, mais sa manifestation. Qu'on ne se fasse pas d'illusion et qu'on ne dise pas qu'on l'aime, si on n'observe pas ses commandements (...) C'est parce qu'il nous aime que nous avons la force d'observer ses commandements (...) Cet amour dont le Père aimait son Fils était-il aussi une grâce ? Oui, certes, c'était la grâce propre du Médiateur. Jésus-Christ était médiateur en tant qu'il était homme ; et en tant qu'homme il avait sa grâce : c'était l'amour dont son Père l'aimait ; il demeurait dans cet amour, et les commandements de son Père lui devenaient doux (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium LXXXII 3-4).

[2] Ses commandements seront multiples par la diversité des œuvres ; ils ne sont qu'un par la racine unique de la charité. Et les différentes vertus n'auront de vigueur qu'enracinées dans la charité (saint Grégoire le Grand : homélie XXVII 1).

[3] Les relations d'amour entre Jésus et ses disciples sont soutenues par une loi : « Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Nous y avons reconnu la conclusion du processus d’amour dont le Père a pris l'initiative. « Comme » évoque moins l’exemple que la cause et le critère unique. L’amour des autres ne se base donc pas sur la sympathie réciproque, la convenance ou l'utilité ni même d'abord sur la reconnaissance. Son fondement peut se résumer ainsi : « comme » et « parce que » Jésus m'a aimé. Et puisque cela se vérifie toujours, c'est également toujours que je suis tenu d’aimer mon frère.

[4] Jésus ajoute: « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ». Admirable bonté ! Puisqu'un serviteur ne peut être bon, s'il n'obéit pas à son maître, Jésus a voulu qu'on puisse reconnaître ses amis à ce qui permet de distinguer les bons serviteurs. C'est, comme je viens de le dire, une admirable bonté de la part du Seigneur que de daigner appeler amis ceux qu'il sait être ses serviteurs. Une preuve que les serviteurs doivent obéir a leur maître, c'est le reproche qu'il fait lui-même à ses serviteurs, en un autre passage (S. Luc, VI 46) : « Pourquoi m'appelez-vous Seigneur Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis ? » (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium LXXXV 1).

[5] « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître ». Ainsi, le nom d'ami fait disparaître celui de serviteur ; la même personne ne peut porter les deux noms à la fois, et l'un succède à l'autre... Puisque Dieu nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, ne soyons plus des serviteurs, soyons des enfants, afin que, de façon merveilleuse et inexplicable, mais vraie cependant, nous soyons au service de Dieu' sans être des serviteurs (saint Augustin : Tractatus in Johannis evangelium LXXXV 3).

[6] Quelle différence entre cet amour fidèle et les autres formes d'amour faux et inconstant que l'on trouve dans notre pauvre monde ! Le flatteur prétend vous aimer parce qu'il fait chez vous de bons repas. Mais si l'adversité amoindrit vos revenus et qu'il ne trouve plus la table mise, alors : adieu ! et voilà votre frère le flatteur parti chercher une autre table. Il pourrait même devenir votre ennemi et médire de vous cruellement. Qui peut être sûr, dans l'adversité, de garder beaucoup de ses amis, quand notre Sauveur lui-même, lorsqu'il fut arrêté, est resté seul, abandonné des siens ? Quand vous partez, qui voudra partir avec vous ? Seriez-vous roi, votre royaume ne vous laisserait-il pas partir seul pour vous oublier aussitôt ? Même votre famille ne vous laisserait-elle pas partir, comme une pauvre âme abandonnée qui ne sait où aller ? Alors, apprenons à aimer en tout temps, comme nous devrions aimer : Dieu par-dessus toute chose, et toutes les autres choses à cause de lui. Car tout amour qui ne se rapporte pas à cette fin, c'est-à-dire à la volonté de Dieu, est un amour tout à fait vain et stérile. Tout amour que nous portons à une créature quelconque et qui affaiblit notre amour envers Dieu est un amour détestable et un obstacle à notre marche vers le ciel. Dans l'amour qu vous portez à vos enfants, que votre tendresse ne vous empêche jamais, au cas où Dieu vous le commanderait d'être prêt à en faire le sacrifice, comme Abraham était prêt à sacrifier son fils Isaac. Et puisque Dieu ne le fera pas, offrez votre enfant au service de Dieu d'une autre façon. Car tout ce que nous aimons et qui nous fait enfreindre un commandement divin, si nous l'aimons plus que Dieu, c'est un amour mortel et condamnable (saint Thomas More : Traité sur la Passion, I).

[7] Les amis de Jésus ne sont pas ceux qui prennent l’initiative de se mettre en avant, ils ne sont même pas volontaires, au moins dans la phase initiale. C'est là de nouveau un enseignement fréquent chez saint Jean. De fait, l'amitié dont parle Jésus, se situe dans des perspectives qu'on ne retrouve pas dans l'amitié humaine. Celle qu'offre Jésus est de l'ordre du salut. Mais le salut est totalement gratuit, il a donc toujours besoin de l'impulsion divine : « Nul ne peut venir à moi si le Pere qui m'a envoyé ne l'attire » (VI 44). Nous avons trouvé déjà le même enseignement lorsque nous réfléchissions sur l'amour : « Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier » (I Jean IV 10.19). Le choix ne s'oppose pas totalement à l'appel mais bien plutôt à l'autosuffisance de la décision humaine. De fait, saint Jean laisse entendre qu’il est convaincu de l'universalité de l'appel. Personne ne se perd s'il n'est pas responsable. Mais si tous ceux qui refusent Jésus en sont responsables, cela signifie qu'ils pourraient l'accepter et par conséquent qu'ils avaient reçu l'aide nécessaire : ils avaient donc été choisis et appelés à devenir ses amis.

[8] De quel fruit s'agit-il ? Le passage le plus éclairant se trouve au chapitre XV (verset 8) : « C'est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit en devenant vraiment mes disciples ». Devenir disciple et porter du fruit revient à rendre gloire au Père. Devenir disciple, c'est accomplir les commandements du Père transmis par Jésus et faire siens le but et les comportements de Jésus. Un autre texte est très éclairant : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » (XII 24). Il s'agit alors de Jésus et de sa mort, exaltation dans la gloire pour lui et salut pour les hommes. On reconnaît habituellement que l'expression « porter du fruit» a la même signification dans les deux contextes. Par conséquent pour le disciple « porter du fruit » consiste à participer à celui de Jésus en union d'amour avec lui, en rendant gloire au Père dans l'observance des commandements, dont celui de la charité occupe le premier rang.

[9] Celui qui porte du fruit « et un fruit qui demeure », peut tout demander au Père au nom de Jésus : « il sera exaucé » (verset 16). Le verset 7 affirme de façon plus explicite encore la relation entre « rester en Jésus » et « être exaucé ». Demeurer en Jésus en acceptant sa parole de révélation, et porter du fruit en union d'amour avec lui et à son imitation, sont deux réalités strictement apparentées. Lorsque cette condition est remplie, la demande des disciples jouit d'une puissance totale auprès du Père. Et comme les commandements et les exemples de Jésus sont de nouveau réductibles à l'amour, on peut conclure que personne ne sera téméraire dans ses demandes auprès du Père, s'il a voué entièrement sa vie à l’amour.