27 septembre

Saint Vincent de Paul

Sommaire :

Lettre à Louise de Marillac

Lettre à Bernard Codoing

Lettre à Claude Dufour

Lettre à un prêtre de la Mission

Lettre à Louise de Marillac (2)

Lettre II de Bossuet à St Vincent

Lettre IV de Bossuet à St Vincent

Méditation

Extraits de la lettre de Paul VI...



Lettre à Louise de Marillac
(entre 1626 et 1629)

Tâchez à vivre contente parmi vos sujets de mécontentement et honorez toujours le non-faire et l'état inconnu du Fils de Dieu. C'est là votre centre et ce qu'il demande de vous pour le présent et pour l'avenir, pour toujours. Si sa divine Majesté ne vous fait connaître, de la manière qui ne peut tromper, qu'il veut quelque autre chose de vous, ne pensez point et n'occupez point votre esprit en cette chose-là.

Saint Vincent de Paul



Lettre à Bernard Codoing
(16 mars 1644)

Au nom de Dieu, Monsieur, retranchez de vos sollicitudes les choses absentes éloignées et qui ne vous regardent pas, et appliquez tous vos soins à la discipline domestique. Le reste viendra en son temps. La grâce a ses moments. Abandonnons-nous à la providence de Dieu et gardons-nous bien de la devancer. S'il plaît à Notre-Seigneur me donner quelque consolation en notre vocation, c'est ceci : que je pense qu'il me semble que nous avons tâché de suivre en toutes choses la grande providence et que nous avons tâché de ne mettre le pied que là où elle nous a marqué.

Saint Vincent de Paul



Lettre à Claude Dufour
(18 septembre 1649)

Voilà donc un peu de patience à prendre en cette attente et de mieux mériter le bonheur d'un si saint emploi par le bon usage des moindres où vous vous êtes appliqué, qui sont néanmoins très grands, puisqu'en la maison de Dieu tout y est suprême et royal.

Saint Vincent de Paul



Lettre à un prêtre de la Mission
qui veut quitter la congrégation sous la pression
affective de son père (probablement de 1649)

Je connais l'état d'anxiété dans lequel vous a mis la lettre que votre père vous a écrite pour vous presser de venir l'assister. En conséquence, je suis obligé de vous dire ce que je pense :

1° Qu'il y a grand mal à briser le lien par lequel vous vous êtes attaché à Dieu dans la Compagnie ;

2° Que, en perdant votre vocation, vous priverez Dieu des services appréciables qu'Il attend de vous ;

3° Que vous serez responsable devant le trône de Sa justice pour le bien que vous ne ferez pas et que, neanmoins vous auriez pu faire en restant dans l'état où vous êtes maintenant ;

4° Que vous risquerez votre salut dans la société de vos parents et ne leur apporterez sans doute pas le réconfort qu'ils désirent, pas plus que d'autres qui nous ont quittés sous ce prétexte ne l'ont fait, car Dieu ne l'a pas permis ;

5° Que Notre-Seigneur, connaissant le mal qui résulte de la fréquentation de la société des parents pour ceux qui les ont quittés pour Le suivre, ne désire pas, comme nous le dit l'Evangile, qu'un de ses disciples l'abandonne pour ensevelir son père, ou vende ses biens afin de les donner aux pauvres.

6° Que vous donneriez le mauvais exemple à vos confrères, et seriez une source de chagrin pour la Compagnie, du fait de la perte d'un de ses enfants qu'elle aime et qu'elle a éduqué avec le plus grand soin.

Tel est, Monsieur, ce à quoi je désire que vous réfléchissiez devant Dieu. Vous invoquez, comme motif, pour vous retirer, le besoin qu'a votre père de vos soins. Mais il est essentiel de connaître les circonstances qui, selon les casuistes, obligent les enfants à quitter leur communauté. Quant à moi, je pense que c'est seulement valable quand les pères ou les mères subissent des afflictions naturelles et non les fluctuations de leur condition sociale, comme, par exemple, lorsqu'ils sont très vieux ou lorsque, par suite de quelque infirmité, ils ne peuvent plus gagner leur pain. Or ce n'est pas le cas de votre père qui n'a que quarante ou quarante-cinq ans, qui se porte parfaitement bien, qui est capable de travailler et qui, en fait, travaille. Autrement, il ne se serait pas remarié, comme il l'a fait tout récemment avec une jeune femme de dix-huit ans, une des plus belles personnes de la ville. Il me l'a dit lui-même afin que je puisse donner à cette dernière une introduction auprès de la Princesse de Longueville[1] pour s'occuper de son fils. Je crois qu'il n'est pas très à l’aise, mais qui ne souffre, de nos jours, de la misère des temps ? En outre, ce n'est pas la détresse qui l'oblige à vous rappeler, car elle n'est pas, en fait, très grande, c'est seulement l'appréhension qu'il en a par manque de confiance en Dieu, quoique jusqu'à présent il n'ait manqué de rien et qu'il aurait toute raison d'espérer en la bonté de Dieu qui ne l'abandonnera jamais.

Vous pensez sans doute que c'est par votre entremise que Dieu désire en réalité l'aider et que pour cette raison Sa Providence vous offre une cure valant six cents livres par l'entremise de cet excellent homme. Mais vous verrez qu'il n'en est pas ainsi si vous considérez seulement deux choses : d'abord que Dieu vous ayant appelé à un état de vie qui honore celui de Son Fils sur terre et qui est si utile à votre prochain, ne peut désirer vous en retirer au moment présent afin d'aller prendre soin d'une famille qui vit dans le monde, qui ne cherche que son propre confort, qui vous importunera continuellement, qui vous accablera de difficultés et de désagréments, si vous ne pouvez la satisfaire. D'autre part, il est incroyable que votre père ait reçu pour vous la promesse d'une cure valant 600 livres l'an, étant donné que celles du diocèse de Bruges sont les plus pauvres du royaume. Mais, même si cela était vrai, combien resterait-il après en avoir déduit votre entretien ?

Je ne vous dis pas cela par crainte que la tentation puisse avoir raison de vous ; non, je connais votre fidélité envers Dieu ; mais afin que vous puissiez écrire une fois pour toutes à votre père et lui dire vos motifs de suivre la volonté de Dieu plutôt que la sienne. Croyez-moi, Monsieur, sa disposition naturelle est de telle sorte qu'elle vous donnera très peu de repos lorsque vous serez auprès de lui, pas plus qu'elle ne vous en donne maintenant alors que vous en êtes éloigné. Les tourments qu'il a causés à votre pauvre sœur qui est auprès de Mademoiselle Le Gras[2], sont inimaginables. Il veut qu'elle abandonne le service de Dieu et de Ses pauvres, comme s'il devait recevoir d'elle une aide considérable. Vous savez qu'il est d'un tempérament naturellement inquiet et cela à un point tel que tout ce qu'il a lui déplaît, et tout ce qu'il n'a pas excite en lui de violentes convoitises. Finalement, le plus grand bien que vous puissiez lui faire est de prier Dieu pour lui, gardant pour vous cette seule chose nécessaire qui sera un jour votre récompense et fera descendre sur vos parents les bénédictions divines. Je prie de tout mon cœur pour que la grâce de Notre-Seigneur soit avec vous.

Saint Vincent de Paul



[1] Anne Geneviève de Bourbon, dite Mademoiselle de Bourbon, fille de Henri II de Bourbon, prince de Condé, et sœur du grand Condé (Louis II) et du prince de Conti (Armand). Née au château de Vincennes le 27 août 1619, elle épousa (2 juin 1646) Henri II d’Orléans, duc de Longueville, d’Estouville et de Coulommiers, prince souverain de Neufchâtel et de Valengin, comte de Dunois, Tancarville et Saint-Paul, pair et prince du sang de France (1595-1663). Elle mourut le 15 avril 1679 à Paris, au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques où elle fut inhumée. Après s’être beaucoup agitée pendant la Fronde et avoir fait scandale pour ses liaisons avec La Rochefoucauld et Turenne, elle fit pénitence aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques.

[2] Sainte Louise de Marillac, née le 12 août 1591, à Ferrières-en-Brie, est la fille naturelle de Louis de Marillac, enseigne d’une compagnie de gendarmes aux ordonnances du Roi (nièce du chancelier Michel de Marillac et du maréchal Louis de Marillac). Elle épouse Antoine Le Gras, secrétaire des commandements de Marie de Médicis, écuyer, homme de bonne vie, fort craignant Dieu et exact à se rendre irréprochable (6 février 1613). Antoine Le Gras n’étant pas noble, on ne lui dira pas Madame, mais, comme à une bourgeoise de ces temps-là, Mademoiselle. Après la mort de son mari (21 décembre 1625), elle fait vœu de viduité et mène dans le monde une vie toute religieuse où elle conjugue à un règlement très strict, la prière et le secours des pauvres, sans cesser d'être attentive à l'éducation de son fils. Elle s’installe rue Saint-Victor, près du collège des Bons-Enfants que Mme. de Gondi vient de donner à Vincent de Paul qui l’emploie dans les Charités, ces groupements de dames et de filles pour l’assistance des malades dans les paroisses et les visites à domicile. En 1628, lorsque son fils est entré au séminaire Saint-Nicolas-du-Chardonnet, elle dispose de davantage de temps pour se consacrer aux œuvres et Vincent de Paul la charge de surveiller les Charités, de modifier leur règlement et de visiter celles des provinces. Elle persuade Vincent de Paul que les Dames associées ne peuvent rendre aux malades les services pénibles qu’exige leur état, et qu’il faut songer à réunir des personnes zélées pour se dévouer entièrement à l’œuvre sans autres devoirs et préoccupations au dehors. C’est ainsi que naissent les Filles de la Charité.



Lettre à Louise de Marillac (2)

La grâce de Notre-Seigneur soit toujours avec vous ! Je n’ai jamais vu une femme comme vous pour prendre certains événements au tragique. Vous dites que le choix de votre fils est une manifestation de la justice de Dieu à votre égard. Vous avez certainement tort d’entretenir de pareilles idées et plus encore de les exprimer. Je vous ai souvent prié de ne point parler de la sorte.

Au nom de Dieu, Mademoiselle, corrigez cette faute et apprenez une fois pour toutes que les pensées amères procèdent du démon, les douces et aimables de Notre-Seigneur. Souvenez-vous aussi que les fautes des enfants ne sont pas toujours imputables à leurs parents, spécialement lorsqu’ils les ont fait bien instruire et qu’ils leur ont donné le bon exemple, comme, grâce à Dieu, vous l’avez fait. En outre, Notre-Seigneur, dans sa merveilleuse Providence, permet aux enfants de briser le cœur de leurs pieux parents. Celui d’Ahraham le fut par Ismaël et celui d’Isaac par Esaü, celui de Jacob par la plupart de ses enfants, celui de David par Absalon, celui de Salomon par Roboam et celui du Fils de Dieu par Judas.

Je puis vous dire que votre fils a dit à Fr. de la Salle qu’il n’embrassait cette carrière que parce que c’était votre désir, qu’il aurait préféré mourir que de le faire et qu’il ne prendrait les ordres mineurs que pour vous plaire. Eh bien ! Est-ce là vraiment une vocation ? Je suis certain qu’il aimerait mieux mourir lui-même que vous faire mourir de déplaisir. Quoiqu’il en soit, sa volonté n’est pas libre dans le choix d’une carrière si importante et vous ne devriez pas le désirer envers et contre tout. Il y a quelque temps de cela, un excellent jeune homme de cette ville entra comme sous-diacre dans des conditions à peu près similaires, il n’a pas été capable de poursuivre jusqu’aux ordres superieurs ; désirez-vous exposer votre fils aux mêmes dangers ? Laissez-le suivre la voie que Dieu lui suggérera ; Il est son père plus que vous n’êtes sa mère, et Il l’aime plus que vous ne l’aimez. Laissez-Le en décider. Il pourra l’appeler une autre fois si telle est Sa volonté, ou lui donner quelque autre emploi qui le mènera à son salut. Je me souviens d’un prêtre qui se trouvait ici et qui avait été ordonné tout en ayant l’esprit très anxieux ; Dieu seul sait ce qu’il est devenu !

Je vous prie de faire votre prière en pensant à la femme de Zébédée à qui Notre-Seigneur répondit, lorsqu’elle voulait établir ses fils : « Vous ne savez Pas ce que vous demandez ».

Saint Vincent de Paul



Lettre II de Bossuet à St Vincent

A Metz, ce 12 janvier 1658[3]


Monsieur,

J'ai appris de M. de Champin[4] la charité que vous aviez pour ce pays, qui vous obligeait à y envoyer une mission considérable ; que vous l'aviez proposé à la Compagnie [5], et que vous et tous ces Messieurs aviez eu assez bonne opinion de moi pour croire que je m'emploierais volontiers à une œuvre si salutaire. Sur l'avis qu'il m'en a donné, je le supliais de vous assurer que je n'omettrais rien de ma part, pour y coopérer dans toutes les choses dont on me jugerait capable. Et comme Monseigneur l'évêque d'Auguste et moi devions faire un petit voyage à Paris, je le priais aussi de savoir le temps de l'arrivée de ces Messieurs, afin que nous pussions prendre nos mesures sur cela ; jugeant bien l'un et l'autre que nous serions fort coupables devant Dieu, si nous abandonnions la moisson dans le temps où sa bonté souveraine nous envoie des ouvriers si fidèles et si charitables. Je ne sais, Monsieur, par quel accident je n'ai reçu aucune réponse à cette lettre : mais je ne suis pas fâché que cette occasion se présente de vous renouveler mes respects, en vous assurant avant toutes choses de l'excellente disposition en laquelle est Monseigneur l'évêque d'Auguste pour coopérer à cette œuvre.

Pour ce qui me regarde, Monsieur, je me reconnais fort incapable d'y rendre le service que je voudrais bien : mais j'espère de la bonté de Dieu que l'exemple de tant de saints ecclésiastiques, et les leçons que j'ai autrefois apprises en la Compagnie [6], me donneront de la force pour agir avec de si bons ouvriers, si je ne puis rien de moi-même. Je vous demande la grâce d'en assurer la Compagnie, que je salue de tout mon cœur en Notre-Seigneur, et la prie de me faire part de ses oraisons et saints sacrifices.

S'il y a quelque chose que vous jugiez ici nécessaire pour la préparation des esprits, je recevrai de bon cœur et exécuterai fidèlement, avec la grâce de Dieu, les ordres que vous me donnerez. Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Bossuet, prêtre, grand-archidiacre de Metz



[3] La Reine mère ayant fait en 1657 un voyage à Metz, fut sensiblement touchée du triste état de cette ville. De retour à Paris, elle témoigna à saint Vincent de Paul, qu'elle honorait de sa confiance, le désir qu'elle aurait de faire instruire son peuple de Metz ; et pour cet effet, il fut conclu que saint Vincent y enverrait une mission. Il en choisit les ouvriers, principalement parmi les ecclésiastiques qu'on appelait Messieurs de la Conférence des Mardis, parce qu'ils s'assemblaient ce jour-là pour conférer entre eux sur les matières ecclésiastiques. Saint Vincent avait formé cette espèce d'association, dans laquelle l'abbé Sossuet était entré. La mission fut ainsi composée de vingt prêtres d'un mérite distingé, qui avaient à leur tête M. l'abbé de Chandenier, neveu de M. le cardinal de La Rochefoucauld.

[4] C'était un docteur de la Conférence des Mardis.

[5] A Messieurs de la Conférence des Mardis.

[6] Il parle de la Compagnie de Messieurs de la Conférence des Mardis, dont il était membre.



Lettre IV de Bossuet à St Vincent

A Metz, ce 1er février 1658.


J'ai été extrêmement consolé que celui de vos prêtres qui est venu ici ait été M. de Monchy : mais j'ai beaucoup de déplaisir qu'il y ait fait si peu de séjour. Il pourra, Monsieur, vous avoir appris que les lettres de la Reine ont été reçues avec le respect dû à Sa Majesté, et que M. l'évêque d'Auguste et M. de la Contour ont fait leur devoir en cette rencontre.

Je rends compte à M. de Monchy de l'état des choses depuis son départ ; et je me remets à lui à vous en instruire, pour ne pas vous importuner par des redites : mais je me sens obligé, Monsieur, à vous informer d'une chose qui s'est passée ici depuis quelque temps, et qui sera bientôt portée à la Cour.

Une servante catholique, qui est décédée chez un huguenot, marchand considérable et accommodé, a été étrangement violentée dans sa conscience. Il est contant par la propre déposition de son maître, qu'elle avait fait toute sa vie profession de la religion catholique : il paraît même certain qu'elle avait communié peu de temps avant que de tomber malade. Elle n'a jamais été aux prêches, ni n'a fait aucun exercice de la religion prétendue réformée. Son maître préten que cinq jours avant sa mort elle a changé de religion : Il lui a fait, dit-il, venir de sministres pour recevoir sa déclaration, sans avoir appelé à cette action ni le curé, ni li magistrat, ni aucun catholique qui pût rendre témoignage du fait. Le jour que cette pauvre fille mourut, un jésuite averti par un des voisins de la violence qu'on lui faisait, se présente pour la consoler. On lui refuse l'entrée ; et il est certain qu'elle était vivante. Il retourne quelque temps après avec l'ordre d magistrat, et il la trouve décédée dan cet intervalle. Tous ces faits sont constants et avérés : il y a même des indices si forts qu'elle a demandé un prêtre, et les parties ont si fort varié dans leur réponses sur ce sujet-mà, que cela peut passer pour certain.

Je ne vous exagère pas, Monsieur, ni les circonstances de cette affaire, ni de quelle conséquence elle est ; vous le voyez assez de vous-m^me, et quelle est l'imprudence de ceux qui, ayant reçu par grâce du Roi la liberté de conscience dans son Etat, la ravissent dans leurs maisons à ses sujets leurs serviteurs. Certainement cela crie vengeance : cependant les ministres et le consistoire soutiennent cette entreprise ; et M. de la Contour m'a dit aujourd'hui qu'un député de ces Messieurs avait bien eu le front de lui dire que cet homme n'avait rien fait sans ordre. Bien plus, ils ont ajouté qu'ils allaient se plaindre à la Cour, de la procédure qui a été faite par le lieutenant-général : le tout sans doute à dessein, Monsieur, d'évoquer l'affaire au conseil, afin de la tirer du lieu où l'on en a plus connaissance, et de l'asoupir par la longueur du temps. Dieu ne permettra pas que leur mauvais dessein réussisse ; et je vous supplie, Monsieur, d'employer en cette rencontre tous les moyens que vous avez, pour empêcher qu'on n'écoute pas ces députations séditieuses, et faire que les choses demeurent dans le cours ordinaire de la justice, selon lequel ils ne peuvent pas éviter d'être châtiés de cet attentat contre les édits et la liberté des consciences. La Reine étant en cette ville, a témoigné tant de piété et tant de zèle pour la religion, que je ne doute pas qu'étant avertie de cette entreprise, elle ne veuille que la justice en soit faite.

Outre cela, Monsieur, le roi leur ayant accordé, de grâce, deux pédagogues pour leurs enfants, à condition que ces maîtres seraient catholiques, ils vont demander des gages pour eux. Cela n'a ni justice ni apparence, et ils veulent en charger cette pauvre ville. Mais comme il savent qu'apparemment on ne leur accordera pas leur demande, je me trompe bien fort si leur dessein n'est d'obtenir, que si on ne veut pas les gager, on leur donne la liberté de les mettre tels qu'il leur plaira, et par conséquent de leur religion. La riene seule empêcha ici qu'on ne leur donnât bon dessein. Je ne vous dis pas, Monsieur, maintenant ce que vous avez à faire sur ce sujet : c'est assez que vous soyez averti ; Dieu vous inspirera le reste. J'attends avec impatience les excellents ouvriers qu'il nous envoie par votre moyen ; et suis, avec un respect très profond, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Bossuet, prêtre ind.



Méditation

Nous savons par expérience que les fruits des missions sont très grands, parce que les besoins des pauvres gens des champs sont extrêmes, constatait par expérience saint Vincent de Paul. Ces fruits si abondants sont-ils durables ? Or les missions ne sont souvent que des feux de paille qui s'éteignent dès que les missionnaires ont disparu : Les évangélisés, dit encore M. Vincent, oublient facilement les connaissances qu'on leur a données et les bonnes résolutions qu'ils ont prises, s'ils n'ont de bons pasteurs qui les entretiennent dans le bon état où on les a mis ; les missions seront toujours fragiles et passagères, si l'action des missionnaires n'est pas soutenue par l'action du Clergé, parce que, souligne-t-il, la déprévation ecclésiastique est la cause principale de la ruine de l'Eglise. .. Si un bon prêtre peut faire beaucoup de grands biens, oh ! qu'un mauvais prêtre apporte de mal. Le succès même des missions qu’il engagea posait le problème de la réforme du Clergé, et c'est de l'expérience des missions que sont nés les exercices d'ordinands pour préparer les futurs prêtres aux saints ordres.

Bossuet suivit ces exercices et fut un si bon élève que, dans les quatre dernières années de la vie de saint Vincent de Paul, il les prêcha. Quand il rencontra saint Vincent de Paul, Bossuet qui avait vingt-cinq ans, regarda cette rencontre comme l'élément capital de sa jeunesse, tant il y gagna spirituellement ; son art oratoire bénéficia des conseils d'un homme qui n'avait certes pas son talent, mais qui, d'instinct ennemi de la rhétorique sacrée, lui apprit à éviter ce que M. Vincent appelait les périodes carrées, l'éloquence cathédrante, le ton déclamatoire et chantant . Dans une lettre adressée au pape Clément XI, Bossuet écrira : Quand attentifs, nous l'écoutions parler dans quelque conférence, nous sentions s'accomplir en lui ce mot de l'apôtre : Si quelqu'un parle, que ses paroles soient comme des paroles de Dieu.

Convaincu que huit jours à dix jours de retraite, sont bien peu de chose pour se préparer au sacerdoce, saint Vincent de Paul partageait cette conviction avec le cardinal de Richelieu, et grâce à leur collaboration, on obéit enfin au décret Cum adolescentium aetas publié en 1563 par le Concile de Trente qui n'avait reçu en France qu’un commencement d'exécution. En accord avec saint Vincent de Paul qu’il estimait au plus haut point, le cardinal de Richelieu pratiquait avec obstination la politique de l'unité française si compromise par les guerres de religion, et s’il voulait la conversion des protestants, il n’entendait pas les convertir par la force : les voies les plus douces, disait-il, sont celles qu'il estime les plus convenables pour tirer les âmes de l'erreur, l'expérience nous faisant connaître que souvent aux maladies de l'esprit les remèdes ne servent qu'à les aigrir davantage.

Saint Vincent de Paul représentant au Cardinal que, dans le diocèse de Luçon, il y a quantité d'hérétiques faute d'avoir jamais ouÏ parler de Dieu dans l'Eglise catholique, lui montra la nécessité d'établir des séminaires ; Richelieu l'exhorta à ouvrir un établissement et, pour l'y encourager, lui envoya mille écus, avec quoi M. Vincent ouvrit le collège des Bons-Enfants (février 1642), en même temps qu'il créait pour les jeunes clercs le Petit Saint-Lazare. En 1647, saint Vincent de Paul proposa à l'évêque de Dax, Jacques Desclaux, la fondation d'une maison pour la formation des clercs : Si vous, Monseigneur, ordonnez que nul ne sera reçu aux saints ordres, qui n'ait passé six mois pour le moins dans votre séminaire, dans quinze ans vous aurez la consolation de voir que votre clergé aura changé de face.

Toute la vie religieuse en dépend et, dans son Encyclique sur le sacerdoce, le Pape Pie XI cite saint Vincent de Paul : Nous avons beau penser, affirmait l'aimable saint de la charité, saint Vincent de Paul, nous trouverons toujours que nous n'aurons jamais pu contribuer à quelque chose de plus grand qu'à faire un bon prêtre.

A la misère du peuple il a fait don de la Fille de charité.

A la misère du clergé il a fait don des Prêtres de la Mission et des Séminaires.

Quel est le don le plus merveilleux ? C'est aux yeux de la foi, le don d'un prêtre selon le coeur du Christ.

Ecoutons saint Vincent : Le caractère des prêtres est une participation du sacerdoce du Fils de Dieu... C'est un caractère tout divin et incomparable, une puissance sur le corps de Jésus-Christ que les Anges adorent et un pouvoir de remettre les péchés des hommes.

Contribuer à former de bons ecclésiastiques, c'est l'ouvrage le plus difficile, le plus relevé, le plus important. Et ici nous retrouvons la spiritualité de saint Vincent : Former des prêtres c'est imiter le Christ qui pendant sa vie mortelle semble avoir pris à tâche de faire douze bons prêtres qui sont ses apôtres, ayant voulu pour cet effet demeurer plusieurs années avec eux pour les instruire et pour les former à ce divin ministère.

Si, au quinzième siècle, un Vincent de Paul avait paru et réalisé cette réforme capitale du Clergé par les Séminaires, l'Eglise eût fait l'économie d'un schisme dont la Semaine d'Unité, nous rappelle chaque année le souvenir douloureux.



Extraits de la lettre que S.S. Paul VI
adressa au Révérend Père Richard McCullen,
supérieur général de la Congrégation de la Mission,
pour le quatre centième anniversaire
de la naissance de saint Vincent de Paul
(datée du 12 mai 1981)

Voici quatre cents ans, c'était le 24 avril 1581 au village de Pouy dans les Landes, que naissait saint Vincent de Paul (…)

L'itinéraire spirituel de Vincent de Paul est fascinant. Après son ordination sacerdotale et une étrange aventure d'esclavage à Tunis, il semble tourner le dos au monde des pauvres en montant à Paris dans l'espoir d'acquérir un bénéfice ecclésiastique. Il réussit à obtenir une place de répartiteur des aumônes de la reine Marguerite. Cette charge lui fait côtoyer la misère humaine, spécialement dans le nouvel Hôpital de la Charité. C'est alors que le Père de Bérulle, fondateur de l'Oratoire en France et choisi comme guide spirituel par le jeune prêtre landais va lui donner (par une série d'initiatives apparemment peu cohérentes) l'occasion des découvertes qui seront à l'origine des grandes réalisations de sa vie. Bérulle envoie d'abord Vincent exercer les fonctions de curé dans la banlieue parisienne, à Clichy-la-Garenne. Quatre mois plus tard, il le fait venir dans la famille de Gondi comme précepteur des enfants du Général des galères. La Providence avait ses desseins. Accompagnant toujours les Gondi dans leurs châteaux et domaines de province, Vincent de Paul y fait la découverte bouleversante de la misère matérielle et spirituelle du « pauvre peuple des champs ». Dès lors, il se demande s'il a encore le droit de réserver son ministère sacerdotal à l'éducation d'enfants de bonne famille tandis que les paysans vivent et meurent dans un tel abandon religieux. Confident des inquiétudes de Vincent, Bérulle le dirige vers la cure de Châtillon-des-Dombes. Dans cette paroisse fort négligée, le nouveau pasteur fait une expérience déterminante. Appelé un dimanche d'août 1617 auprès d'une famille dont tous les membres sont malades, il entreprend d'organiser le dévouement des voisins et des gens de bonne volonté : la première « Charité », qui servira de modèle à tant d'autres, était née. Et la conviction que le service des pauvres devait être sa vie l'habitera desormais jusqu'à son dernier souffle. Ce bref rappel du « cheminement intérieur » de Vincent de Paul durant les vingt premières années de son sacerdoce nous montre un prêtre extrêmement attentif à la vie de son temps, un prêtre qui se laisse conduire par les événements ou plutôt par la Providence divine, sans « enjamber sur elle », comme il aime à le dire. Une telle disponibilité n'est-elle pas, aujourd'hui comme hier, le secret de la paix et de la joie évangéliques, la voie privilégiée de la sainteté ? 

Afin de mieux servir les pauvres, Vincent voulut « s’adjoindre des ecclésiastiques libres de tous bénéfices pour pouvoir s'appliquer entièrement, sous le bon plaisir des évêques, au salut du pauvre peuple des champs, par la prédication, les catéchismes et les confessions générales, sans en prendre aucune rétribution en quelque sorte ou manière que ce soit ». Ce groupe de prêtres, rapidement appelés « lazaristes » du nom du célèbre prieuré Saint-Lazare acquis vers 1632, se développa rapidement et s'implanta dans une quinzaine de diocèses pour donner des missions paroissiales et y fonder des « Charités ». La Congrégation de la Mission s'étendit même à l'Italie, à l'Irlande, à la Pologne, à l'Algérie, à Madagascar. Vincent ne cesse d'inculquer à ses compagnons « l'esprit de Notre Seigneur », qu'il condense en cinq vertus fondamentales, la simplicité, la douceur à l'égard du prochain, l'humilité à l'égard de soi, et puis, comme conditionnement de ces trois vertus, la mortification et le zèle qui en sont en quelque sorte les aspects dynamiques. Ses exhortations à ceux qu'il envoie prêcher l'Evangile sont pleines de sagesse spirituelle et de réalisme pastoral : il ne s'agit pas d'être aimé pour soi-même, mais de faire aimer Jésus-Christ. Et en un temps où trop de prêtres mêlaient grec et latin à des sermons compliqués, il exige la simplicité, le langage imagé et convaincant, au nom de l'Evangile (…)

Vincent de Paul acquit également l'évidence que cette méthode d'évangélisation ne porterait ses fruits que s'il y avait sur place un clergé instruit et zélé. C'est ainsi que les lazaristes se consacrèrent très tôt à la formation des prêtres comme aux missions populaires et fondèrent des séminaires conformément aux appels pressants du Concile de Trente. La première retraite d'ordinands, donnée par saint Vincent lui-même en 1623 à la demande de l'évêque de Beauvais, fut le point de départ d'exercices préparatoires aux ordinations et aussi d'une certaine formation permanente du clergé grâce aux conférence ecclésiastiques du mardi à Saint-Lazare. Ces initiatives, qui enthousiasmaient M. Olier, donnèrent à l'Eglise des prêtres exemplaires, parmi lesquels plusieurs, dont le célèbre Bossuet, furent appelés à l'épiscopat. A ce clergé de Paris et de la province, Vincent de Paul communiqua son esprit évangélique et son souffle missionnaire, et il l'orienta vers la hantise de la fraternité sacerdotale et de l'entraide au service des plus pauvres, dans la dépendance filiale des évêques. Comment révéler l'amour de Dieu au monde, aimait-il répéter, si les messagers de cet amour ne sont pas très unis entre eux ? (…)

Un autre aspect du dynamisme et du réalisme de Vincent de Paul fut de donner aux « Charités », qui s'étaient multipliées, une structure d'unité et d'efficacité. Louise de Marillac, veuve d'Antoine Le Gras, d'abord initiée à la vie spirituelle par M. de Sales, guidée ensuite par M. Vincent lui-même, fut engagée par celui-ci dans l'inspection et le soutien des « Charités ». Elle y fit merveille et son rayonnement contribua beaucoup à décider plusieurs « braves filles de la campagne » qui aidaient aux « Charités » à suivre son exemple d'oblation totale à Dieu et aux pauvres. Le 29 novembre 1633, la Compagnie des Filles de la Charité voyait le jour. Et Vincent de Paul lui donnait un règlement original et fort exigeant : « Vous aurez pour monastère, la chambre des malades ; pour cellule, une chambre de louage ; pour chapelle, l'église paroissiale ; pour cloître, les rues de la ville ; pour clôture, l'obéissance ; pour grille, la crainte de Dieu ; pour voile, la sainte modestie ». L'esprit de la Compagnie est ainsi résumé : « Vous devez faire ce que le Fils de Dieu a fait sur la terre. Vous devez donner la vie à ces pauvres malades, la vie du corps et la vie de l'âme » (...)