3 septembre Saint Grégoire le Grand Sommaire : Lettre à tous les évêques (J.-P. II) Lettre à Ethelred, roi de Kent Doctrine pénitentielle selon St Grégoire Issu de la noble famille des Anicii, Grégoire dont le nom grec signifie esprit vif, éveillé à la vérité, est le fils de la pieuse Sylvie et du sénateur Gordien, administrateur d’un des sept arrondissements de Rome, qui compte parmi ses ancêtres le pape Félix III (mort en 492). Après de solides études classiques, latines et grecques, maître ès lettres, dialecticien et rhétoricien, il est nommé, en 573, préfet de la cité : Dans notre pays, écrit-il alors, tout est livré au caprice des barbares : villes ruinées, citadelles renversées, provinces dépeuplées. En nos campagnes, plus de cultivateurs. Tous les jours, les idolâtres exercent leurs sévices par l’assassinat de chrétiens. Il signe, avec d’autres nobles romains, un engagement de fidélité au siège apostolique écrit par l’évêque Laurent II de Milan. Deux ans plus tard, à la mort de son père, devenu un des plus riches propriétaires fonciers de Rome, Grégoire s’installe dans la maison paternelle, le Clivus Scauri, démissionne de ses charges et, sous la conduite du moine Valentino, forme une communauté religieuse : Ce furent, dira-t-il plus tard, les cinq années les plus heureuses de ma vie. En plus de ce monastère sous le vocable de saint André, il fonde six autres monastères dans les domaines familiaux de Sicile. Sorti de son monastère dès l’élection de Pélage II (579), il est ordonné diacre à trente-cinq ans, puis il est nommé apocrisiaire, c’est-à-dire représentant extraordinaire du Pape à Constantinople, près de l’Empereur (Tibère II, puis Maurice) pour que celui-ci veuille bien envoyer des troupes pour protéger Rome et l’Italie des barbares. Ayant échoué, il est relevé de ses fonctions au printemps 586 et devient abbé au monastère romain Saint-André du Mont Cælius qu’il remet en ordre ; c’est pour ses moines qu’il commente le Livre de Job dont il tire d’opportunes leçons sur le mystère de la souffrance. Après trois ans d’abbatiat, Pélage II l’appelle auprès de lui et lui confie l’organisation de son secrétariat. Cependant Grégoire veut partir évangéliser ce qui deviendra l’Angleterre ; il arrache au pape la permission de partir, mais, au dernier moment Pélage II se ravise et le rappelle près de lui. Alors que, succédant à une terrible inondation qui a ruiné les greniers à blé, la peste sévit à Rome depuis six mois, le pape Pélage II est emporté par l’épidémie au début de février 590 ; le clergé, le sénat et le peuple romain, désignent Grégoire comme pape. Grégoire essaye de résister de tout son pouvoir contre cette élection et écrit à l’empereur Maurice de ne pas la ratifier, mais le préfet de Rome intercepte la lettre et lui substitue le rapport officiel de l’élection. En attendant la réponse de l’Empereur, Grégoire prend en main l’administration du siège vacant et, comme la peste continuait ses ravages, il invite les fidèles à conjurer le fléau par un grand acte de pénitence. Du haut de l’ambon de Saint-Jean du Latran, il s’écrie : Frères bien-aimés, la mort frappe à coups redoublés ... Nous à qui elle laisse encore le temps de pleurer, livrons-nous à la pénitence ! Puis il traça l’ordre et la manière dont devrait se faire la solennelle supplication : Le clergé partira de l’église des saints martyrs Côme et Damien, avec les prêtres de la sixième région ; les abbés et les moines partiront de l’église des saints Gervais et Protais avec les prêtres de la quatrième région ; les abbesses et leurs communautés partiront de l’église des saints Pierre et Marcellin avec les prêtres de la première région ; les enfants réunis dans l’église des saints Jean et Paul en sortiront avec les prêtres de la deuxième région ; les laïques assemblés dans l’église de saint Etienne, premier martyr, en sortiront avec les prêtres de la septième région ; les veuves partiront de l’église de sainte Euphémie avec les prêtres de la cinquième région ; enfin les femmes mariées partiront de l’église de saint Clément avec les prêtres de la troisième région. Dans cet ordre connu depuis sous le nom de Litanie septiforme, selon le témoignage de saint Grégoire de Tours, pendant trois jours, à partir de neuf heures, de chacune de ces églises nous sortirons en récitant des prières et en versant des larmes : nous nous rejoindrons tous à la basilique de la Sainte Vierge Marie, et nous continuerons là nos prières et nos supplications. Le premier jour, quatre-vingt personnes meurent pendant la procession. Grégoire fait vénérer l’image de la Mère de Dieu, attribuée à saint Luc, puis, les jours suivants, pieds nus et couvert d’un sac, la porte en procession dans les rues de Rome, vers la basilique Saint-Pierre. Arrivés à la hauteur du mausolée d’Hadrien, tous perçoivent les accents d’un chœur angélique qui chante : Réjouissez-vous, Reine du ciel, Alléluia ! ; à quoi Grégoire répond : Car celui qu’il vous fut donné de porter est ressuscité comme il l’avait dit, Alléluia ! puis il s’écrie, imité par la foule : Priez pour nous, sainte Mère de Dieu, Alléluia ! L’archange saint Michel apparaît alors au sommet de l’édifice et remet son épée au fourreau ; la peste cesse et l’Eglise s’est enrichie d’une hymne à la Sainte Vierge, le Regina cæli, qu’elle chante toujours au temps de Pâques. Depuis, le mausolée d’Hadrien est appelé le château Saint-Ange. Réélu triomphalement, Grégoire écrit de nouveau à l’empereur Maurice de ne pas ratifier l’élection et il s’enfuit dans une caverne quand arrive la réponse favorable au premier rapport du préfet de Rome. La foule le cherche pendant trois jours puis, guidée par une colonne de lumière, le trouve et le ramène à Rome où il est sacré le 3 septembre 590. Me voilà maintenant en plein milieu du monde, beaucoup plus que je ne l’étais comme laïc. J’ai perdu toute joie profonde : extérieurement c’est une promotion ; intérieurement, quelle chute ! Balloté par les vagues des affaires, j’entends la tempête qui gronde au-dessus de ma tête. Une fois remplie ma tâche journalière, j’essaie de faire mon examen de conscience. Impossible : des soucis tumultueux et vains m’accablent encore. Dernier pape de l’Antiquité ou premier pape du Moyen-Age, le soixante-troisième successeur de Pierre conduit pendant près de quatorze ans l’Eglise d’une main de fer. Dans des conjonctures particulièrement difficiles pour l’Eglise et pour l’Italie, tout le pontificat de Grégoire est un long effort de redressement et de réorganisation. Il administre avec sagesse le vaste Patrimoine de Saint-Pierre. Dans les églises suburbicaires où le pape exerce l’autorité propre de métropolitain, il contrôle de près l’élection des évêques et leur administration (ainsi à Naples et en Sicile). Il réussit à résorber progressivement le schisme qui, après la condamnation des Trois Chapitres, avait séparé de Rome les évêques dépendant du métropolitain d’Aquilée. Les Lombards envahissent et dévastent l’Italie et menacent Rome (592) ; suppléant à l’inaction de l’exarque de Ravenne, Grégoire négocie et obtient une trêve qui sera renouvelée en 598 et en 603. Se considérant comme le sujet du basileus de Constantinople, il maintient cependant l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis du pouvoir civil et revendique les droits du successeur de saint Pierre. Il intervient à plusieurs reprises dans des questions relatives aux patriarcats d’Antioche et d’Alexandrie, ou même et Constantinople, et refuse avec intransigeance au patriarche de Constantinople le droit de se nomme patriarche œcuménique ; il voit dans ce titre un acte d’orgueil qui porterait atteinte à la dignité et aux droits des autres patriarches ; lui-même ne veut pas le porter et se contente du titre de servus servorum Dei (serviteur des serviteurs de Dieu), porté déjà par des évêques. On lui doit l’évangélisation de l’Angleterre. Il fait ajouter la récitation du Pater à la messe, compose un sacramentaire et une codification du chant liturgique qui porte son nom (chant grégorien). Il constitue une école de chantres chargés de former les maîtres qui enseigneront l’exécution correcte des mélodies grégoriennes. Ce Consul de Dieu meurt à Rome le 12 mars 604 ; il est enterré dans la basilique Saint-Pierre. Lettre à tous les évêques,
les prêtres et les fidèles de l’Eglise, Au terme de l'Antiquité et à l'aurore du Moyen Age, saint Grégoire le Grand, à la fois issu du patriciat romain et du monachisme bénédictin, s'efforce, en réglementant le présent, de transmettre au futur les enseignements du passé et l’héritage de la tradition. Au début de son pontificat (février 590), les structures de l’empire romain, bouleversées par les invasions gothes, puis normandes, s’écroulent, tandis que renaît l’hérésie donatiste et que l’arianisme règne encore sur la plupart des barbares ; la discipline monastique s’est généralement relâchée et le clergé, souvent démoralisé, conduit des fidèles catastrophés par les invasions barbares : « Ballotté par les vagues des affaires, je sens la tempête gronder, au-dessus de ma tête. Avec le psaume1 je soupire : Dans l'abîme des eaux, je suis plongé et les flots me submergent.2 » Dirigeant la barque de saint Pierre menacée de naufrage, saint Grégoire le Grand, le consul de Dieu, va, d’une main ferme et assurée, redresser la barre pour transmettre à la postérité une culture ébranlée sous les coups des barbares mais toujours riche de ses précieux acquis où les leçons de l’Antiquité s’épanouissent à l’enseignement des Pères de l’Eglise, comme le montrent déjà les royaumes des Francs, convertis depuis près d’un siècle, les terres ibériques dont le roi wisigoth, Reccared, vient d’entrer dans le giron de l’Eglise catholique (587) ou les chefs de clan irlandais. Ainsi, prophète des temps nouveaux, autant que gardien des temps anciens, Grégoire le Grand, sur les ruines de l'empire romain, va-t-il faire se lever l'aube médiévale. Pasteur et missionnaire, théologien et maître spirituel, mais aussi diplomate et administrateur, le soixante-troisième successeur de Pierre construit une œuvre grandiose, à la fois politique, ecclésiastique et mystique, ne revendiquant qu'un seul titre, transmis à ses successeurs : « serviteur des serviteurs de Dieu. » Grégoire (du grec grêgoros qui signifie esprit vif, éveillé à la vérité), de la noble famille des Anicii, est l'arrière petit-fils du pape Félix III (mort en 492) qui, veuf de la noble Petronia, entra dans les ordres mais resta le modèle et le protecteur de sa gens. Le père de Grégoire, le sénateur Gordien est l’administrateur d'un des sept arrondissements de l'Urbs (Rome), et sa mère, Sylvie, est une dame patronnesse appréciée de ses clientes. Tout naturellement destiné à être un grand commis de l'Etat, au service du S.P.Q.R. (le Sénat et le Peuple Romain), Grégoire fait des études classiques de lettres, de rhétorique et de dialectique à quoi, il ajoute une lecture méditative des saintes Ecritures. En 573, il a trente-trois ans et il est præfectus Urbis (préfet de la ville), quand la mort du paterfamilias fait de lui, avec sa mère, l'un des plus opulents propriétaires de Rome. « Dans notre pays, tout est livré au caprice des barbares : villes ruinées, citadelles renversées, provinces dépeuplées. En nos campagnes, plus de cultivateurs. Tous les jours, les idolâtres exercent leurs sévices par l’assassinat de chrétiens.3 » Il signe, avec d’autres nobles romains, un engagement de fidélité au siège apostolique écrit par l’évêque Laurent II de Milan. Deux ans plus tard, il décide de se faire moine et liquide ses biens en fondant six monastères sur ses terres siciliennes et un septième, dans sa maison romaine du Clivus Scauri, sur les pentes du Cælius qu’il dédie à saint André, où sous l'abbé Valentio, il devient un simple moine : « ce fut la période la plus heureuse de ma vie. » Devenu moine, Grégoire n'a conservé de tous ses biens, qu'une écuelle d'argent et, pour compléter, permissu Superiorum (avec la permission du supérieur), sa nourriture conventuelle, Sylvie lui fait parvenir, chaque jour, une maigre portion de légumes cuits à l'eau. Or, raconte Paul Diacre, un marchand passager demande Grégoire, à la porte du monastère pour lui confier : « J'ai fait naufrage. je n'ai même plus un sesterce. La charité, par pitié ! » Le moine appelle l'économe et lui commande : « Donnez-lui six sesterces ! » Comme le solliciteur murmure : « C'est bien peu », Grégoire ordonne : « Doublez la mise. » Charité reçue, le demandeur s'éloigne, apparemment satisfait, mais, trois jours après, il se représente : « J'ai tout dépensé ! Secourez-moi ! » Emu de compassion, Grégoire lui déclare : « Prends cette écuelle. C'est tout ce qui me reste. » Ce mendiant tenace est un ange venu le dépouiller de son dernier bien de la terre. Dès son élection (août 579), Pélage II tire Grégoire de son monastère, l’ordonne diacre et le nomme apocrisaire, c’est-à-dire son représentant extraordinaire à Constantinople où il est chargé d'amadouer l'empereur Tibère II - alors en froid avec le patriarche Eutychios - et de l'intéresser à la cause romaine : « contre les barbares, protégez-nous ! » Après la mort de Tibère II et son remplacement par l’empereur Maurice, Grégoire rencontre l’évêque Léandre de Séville, venu à Constantinople pour plaider la cause d'Herménégild, prince catholique orthodoxe, persécuté par son père Léovigild, hérétique arien. De son côté, Rome incite pour l'obtention de renforts orientaux en Italie. Cette mission diplomatique infructueuse prend fin au printemps 586 ; l'archidiacre Laurent remplace Grégoire qui revient à Rome pour être nommé abbé de son monastère de Saint-André au mont Cœlius. Cette période d’abbatiat est marquée par une solide discipline monastique. Grégoire pourchasse les moines qui, par fraude, amassent un pécule ; le moine Justus, après son décès, apparaît à son confrère Copiosus pour lui rappeler que « le ciel punit les religieux thésauriseurs.4 » Gregorio ducente (sous la conduite de Grégoire), nombre de bénédictins de Saint-André se sanctifient rapidement ; ils produiront de beaux fruits apostoliques, comme Maximin, le saint abbé, Marinien qui deviendra archevêque de Ravenne, Sabinus qui sera évêque de Galliopoli, et Augustin qui évangélisera les Angles. A cette époque, Grégoire écrit pour ses moines un commentaire du Livre de Job (« Morialia in Job », Morales dans le livre de Job) dont il tire d’opportunes leçons sur le mystère de la souffrance. Un jour, sur le marché de Rome, Grégoire voit des esclaves venus des Iles britanniques ; il s’écrie : « Non angli, sed angeli » (ce ne sont pas des angles, ce sont des anges). En 589-590, l'abbé de Saint André est un proche collaborateur du pape Pélage mais il désire partir comme missionnaire en Angleterre et il en prend même le chemin, nanti d'une permission arrachée au pontife suprême. Cependant Pélage II se ravise et le rappelle. Au cours de l'hiver, le Tibre déborde et l'inondation ruine les greniers à blé puis engendre la peste dont meurt le pape Pélage II (7 février 590). Grégoire, élu comme successeur de saint Pierre à l’unanimité des suffrages, se dérobe pendant six mois où il tente de convaincre l’empereur Maurice de refuser la confirmation de son élection, mais le préfet de Rome intercepte la lettre et lui substitue le rapport officiel de l’élection. En attendant la réponse de l’Empereur, Grégoire prend en main l’administration du siège vacant, et comme la peste continue ses ravages, il invite les fidèles à conjurer le fléau par un grand acte de pénitence. Du haut de l’ambon de Saint-Jean du Latran, il s’écrie : « Frères bien-aimés, la mort frappe à coups redoublés ... Nous à qui elle laisse encore le temps de pleurer, livrons-nous à la pénitence ! » Puis il traça l’ordre et la manière dont devrait se faire, pendant trois jours, la solennelle procession de supplication. Le premier jour, quatre-vingt personnes meurent pendant la procession. Grégoire fait vénérer l’image de la Mère de Dieu, attribuée à saint Luc, puis, les jours suivants, pieds nus et couvert d’un sac, la porte en procession dans les rues de Rome, vers la basilique Saint-Pierre. Arrivés à la hauteur du mausolée d’Hadrien, tous perçoivent les accents d’un chœur angélique qui chante : « Réjouissez-vous, Reine du ciel, Alléluia ! » ; à quoi Grégoire répond : « Car celui qu’il vous fut donné de porter est ressuscité comme il l’avait dit, Alléluia ! » puis il s’écrie, imité par la foule : « Priez pour nous, sainte Mère de Dieu, Alléluia ! » L’archange saint Michel apparaît alors au sommet de l’édifice et remet son épée au fourreau ; la peste cesse et l’Eglise s’est enrichie d’une hymne à la Sainte Vierge, le Regina cæli, qu’elle chante toujours au temps de Pâques. Depuis, le mausolée d’Hadrien est appelé le château Saint-Ange. Réélu triomphalement, Grégoire écrit de nouveau à l’empereur Maurice de ne pas ratifier l’élection et il s’enfuit dans une caverne quand arrive la réponse favorable au premier rapport du préfet de Rome. La foule le cherche pendant trois jours puis, guidée par une colonne de lumière, le trouve et le ramène à Rome où il est sacré le 3 septembre 590. Ce premier pape sorti du cloître, introduit dans l'Eglise plusieurs usages conventuels et améliore la liturgie romaine : c’est à lui que l’on doit la manière de chanter, à la messe, le Kyrie et l’introduction, en dehors du temps pascal, de l'Alléluia, ainsi que la récitation du Pater noster, avant la fraction de l'hostie. Dans le sacramentaire, ancêtre du missel, le pontife conjugue le temporal (fêtes capitales de l'histoire du salut) et le sanctoral (commémoration des saints). Pour régler le chant liturgique, il publie un antiphonaire (du grec anti, en face de et phonê, voix), livre liturgique qui rassemble les textes littéraires et musicaux des antiennes. Il y rassemble des mélodies admirables qui, sans permettre l'exhibitionnisme du chant, lui font au contraire dérouler un fastueux tapis de prières. Bien que l'attribut grégorien demeure discutable, on retiendra le constat du saint pape Pie X : « ces saintes mélodies dont la composition est attribuée par la tradition ecclésiastique depuis plusieurs siècles, à Grégoire le Grand, demeurent surtout le chant propre de l'église romaine. » Pour conserver et développer un si riche patrimoine de musique sacrée, Grégoire le Grand fonde et organise deux Scholæ cantorum (écoles de chant), l’une près de Saint-Pierre et l’autre près de Saint Jean-de-Latran, où il se rend volontiers, pour écouter et encourager les pueri cantores (petits chanteurs), en même temps qu'il félicite les clercs spécialisés dans l'importante fonction de chantres. Il administre avec sagesse le vaste Patrimoine de Saint-Pierre et impose au diocèse de Rome une rigoureuse planification administrative (bureau de chant présidé par un diacre ; centres de bienfaisance pour distribuer vivres et secours aux nécessiteux). Dans les huit diocèses suburbicaires (Ostie, Porto, Silva, Candide, Sabine, Préneste, Tusculum et Albano), le pape Grégoire agit comme métropolitain (archevêque qui exerce juridiction), ainsi que, pour les autres églises d'Italie méridionale et des îles (Sicile, Sardaigne, Corse, Baléares), contrôlant de près l’élection des évêques et leur administration (ainsi à Naples et en Sicile). « Soyez certains que vous aurez un pasteur qui plaira à Dieu, si vous-mêmes vous plaisez à Dieu par vos actions. Voici que déjà nous assistons à la ruine de toutes les choses de se monde, alors que nous lisions dans les saintes Ecritures que cette ruine était pour l'avenir. Villes anéanties, fortifications abattues, églises détruites ... Considérez d'une âme attentive le jour prochain du Juge éternel et préparez-vous à ce jour terrible en faisant pénitence.5 » Patriarche d’Occident, il entretient de nombreux rapports avec les évêques comme avec les souverains, et envoie le moine Augustin évangéliser l’Angleterre. Défenseur de l'orthodoxie (juste doctrine), il préside à la conversion de nombreux lombards et wisigoths ariens, condamne définitivement les donatistes et réagit vigoureusement contre la simonie (commerce des sacrements ou des bénéfices). Il réussit à résorber progressivement le schisme qui, après la condamnation des Trois Chapitres, avait séparé de Rome les évêques dépendant du métropolitain d’Aquilée Dans des conjonctures particulièrement difficiles, tout le pontificat de Grégoire le Grand est un long effort de redressement et de réorganisation. « Je suis à mon poste secoué par les flots de ce monde qui sont si violents que je suis absolument incapable de conduire au port ce navire vétuste et pourri, que le dessein caché de Dieu m'a donné à gouverner. Au milieu de tout cela, troublé moi-même, je suis contraint tantôt de faire front et de tenir le gouvernail, tantôt, le navire penché sur le côté, d'esquiver en virant les menaces des flots. Je gémis parce que je sens que, par ma négligence, la sentine des vices va croissant et que, dans la tempête terrible que nous traversons, les planches pourries ont des craquements de naufrage.6 » Les Lombards dévastent l’Italie et menacent Rome (592) ; suppléant à l’inaction de l’exarque de Ravenne, Grégoire négocie et obtient une trêve qui sera renouvelée en 598 et en 603. Se considérant comme le sujet du basileus de Constantinople, il maintient cependant l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis du pouvoir civil et revendique les droits du successeur de saint Pierre. Il intervient à plusieurs reprises dans des questions relatives aux patriarcats d’Antioche et d’Alexandrie, ou même et Constantinople, et refuse avec intransigeance au patriarche de Constantinople le droit de se nommer patriarche œcuménique ; il voit dans ce titre un acte d’orgueil qui porterait atteinte à la dignité et aux droits des autres patriarches ; lui-même ne veut pas le porter et se contente du titre de servus servorum Dei (serviteur des serviteurs de Dieu), porté déjà par des évêques. Prématurément atteint d'arthrose et de gastralgie, saint Grégoire le Grand, à partir de soixante ans, devient un véritable malade chronique : « Voilà presque deux ans que je suis grabataire, tourmenté par d'affreuses douleurs de goutte ; à peine puis-je me lever les jours de fête, pour célébrer la messe... Mon supplice permanent : mourir chaque jour, alors que je ne puis pourtant cesser de vivre.7 » Le 12 mars 604, Grégoire le Grand, le consul de Dieu, est rappelé par l'empereur des cieux, son unique Seigneur. Il est enterré dans la basilique Saint-Pierre dont il a fait surélever le presbytérium pour que l’autel fût au-dessus du tombeau de saint Pierre devant lequel il dressa un petit autel, aujourd’hui à l’intérieur de celui de la chapelle Clémentine, l’autel ad caput qui a été conçu, sous Clément VIII Aldobrandini (1592-1605), par Giacomo della Porta pour le tombeau de saint Grégoire le Grand. J’invoque la protection spéciale de saint Grégoire le Grand afin que, avec la multitude des saints pasteurs de l’Eglise de Rome, il veuille m’aider, et avec moi tous ceux qui partagent dans les différentes Eglises réparties à travers le monde la responsabilité du travail pastoral, à entrevoir les nouvelles exigences et les nouveaux problèmes, à prendre les moyens et les méthodes pour faire avancer l’Eglise vers le troisième millénaire chrétien, en conservant intact l’éternel message du salut et en l’offrant, comme incomparable patrimoine de grâce et de vérité, aux futures générations. Puisse l’exemple, bien qu’éloigné dans le temps, de ce grand pontife, soutenir nos efforts et les rendre efficaces pour l’édification et le développement de l’Eglise du Christ. Jean-Paul II (29 juin 1990) 1 Psaume XLI 8. 2 Saint Grégoire le Grand : lettre à l’évêque Léandre de Séville, datée d’avril 591. 3 Saint Grégoire le Grand : homélie sur le Livre d’Ezéchiel, II 6. 4 Saint Grégoire le Grand : « Dialogue », IV 55. 5 Saint Grégoire le Grand : lettre au clergé de Milan, datée d’avril 593. 6 Lettre de saint Grégoire le Grand à Léandre, évêque de Séville, datée d’avril 591. 7 Lettre de saint Grégoire le Grand à la reine Théodelinde, datée de décembre 603. Lettre à Léandre Je suis à mon poste secoué par les flots de ce monde qui sont si violents que je suis absolument incapable de conduire au port ce navire vétuste et pourri, que le dessein caché de Dieu m'a donné à gouverner. Au milieu de tout cela, troublé moi-même, je suis contraint tantôt de faire front et de tenir le gouvernail, tantôt, le navire penché sur le côté, d'esquiver en virant les menaces des flots. Je gémis parce que je sens que, par ma négligence, la sentine des vices va croissant et que, dans la tempête terrible que nous traversons, les planches pourries ont des craquements de naufrage. Saint Grégoire le Grand Morialia in Job, XXVII 11 (21) Le Seigneur tout-puissant ... par l'éclat des miracles accomplis par les prédicateurs a conduit à la foi même les extrémités du monde. Voici en effet qu'il a pénétré le coeur de presque toutes les nations ; voici qu'il a réuni dans une même foi les limes de l'Orient et les limes de l'Occident ; voici que la langue de la Bretagne, qui ne savait que marmonner des choses barbares, initiée désormais à la louange de Dieu, commence de chanter l'Alleluia en hébreux. Voici que l'Océan, naguère gonflé de vagues, se met docilement au service des pieds des saints et les colères barbares, que les princes de la terre n'avaient pu dompter par le fer, les bouches des prêtres, par de simples paroles, les lient par la crainte de Dieu. Saint Grégoire le Grand Lettre au clergé de Milan, avril 593 (Ep. III 29) Soyez certains que vous aurez un pasteur qui plaira à Dieu, si vous-mêmes vous plaisez à Dieu par vos actions. Voici que déjà nous assistons à la ruine de toutes les choses de se monde, alors que nous lisions dans les saintes Ecritures que cette ruine était pour l'avenir. Villes anéanties, fortifications abattues, églises détruites ... Considérez d'une âme attentive le jour prochain du Juge éternel et préparez-vous à ce jour terrible en faisant pénitence. Saint Grégoire le Grand Lettre à Ethelred, roi de Kent, juin 601 (Ep. XI 37). Quant à vous, si vous voyez certains de ces signes se produire dans votre pays, que votre esprit ne se trouble en aucune façon, car ces signes concernant la fin des temps nous sont envoyés pour nous indiquer le devoir qui est le nôtre de nous préoccuper de nos âmes, d'attendre l'heure de la mort, de nous trouver prêts au jugement à venir grâce à nos bonnes actions. Saint Grégoire le Grand Doctrine pénitentielle selon St Grégoire La pénitence peut être envisagée comme une série de sentiments et d’exercices privés dans lesquels le ministère ecclésiastique n’intervient pas et auxquels le fidèle se livre sous sa libre responsabilité ; il s’agit de la pratique de la vertu de pénitence. Cependant, la pénitence peut être aussi envisagée comme une discipline dont les conditions ont été déterminées par le Christ et dont les détails sont réglés par l’Eglise ; il s’agit du sacrement de pénitence. Le sacrement de pénitence se différencie surtout de la pénitence privée en ce qu’elle comporte, de la part du pénitent, un aveu de ses péchés fait au prêtre, la confession, et, de la part du prêtre, un pardon officiellement donné, l’absolution. Bien des auteurs ecclésiastiques des premiers siècles ont parlé avec force de la pénitence, insisté sur sa nécessité absolue, fait ressortir ses effets salutaires, en ayant seulement en vue le regret et l’expiation privée des péchés commis, tant ils voulaient nous souligner que la confession n’est qu’un élément de la pénitence qui doit impérativement se conjuguer avec la contrition, le ferme propos de la résolution, la satisfaction ou l’expiation, sous peine de rendre nulle, voire sacrilège, l’absolution. De fait, on trouve dans les œuvres de saint Grégoire le Grand de fréquentes exhortations à la pénitence qui n’ont pas trait, du moins expressément, à la pénitence canonique ou à l’administration du sacrement de pénitence. D’aucuns ne se sont pas fait faute d’en déduire que le saint pape négligeait la forme sacramentelle au point que dans la troisième partie du Pastoral, ouvrage écrit à l’usage des prédicateurs, il n’indique pas précisément la forme de la pénitence qu’ils doivent conseiller aux pécheurs ; c’est aller bien vite en besogne et oublier que le but de l’ouvrage n’est pas d’enseigner comment on doit effacer les péchés, mais ce qu’il faut faire pour n’y pas retomber et pour se corriger des vices qui y entraînent. Selon saint Grégoire le Grand, la conversion du pécheur, singulièrement du pécheur endurci, débute par un sentiment de crainte. Le rouleau présenté à Ezéchiel, dit-il, contenait, en même temps que le cantique des justes dans le ciel, les lamentations des pénitents sur la terre ; mais, ces lamentations, le pécheur que les voluptés charnelles captivent ne peut s’y livrer qu’à la condition de considérer les malédictions que son état ne manquera pas d’attirer sur lui. Ainsi, conseille saint Grégoire le Grand, le prédicateur de la divine Parole, doit d’abord s’appliquer à provoquer chez le pécheur endurci la terreur des jugements de Dieu. Cette terreur, selon lui, fera naître naturellement dans l’âme du pécheur le regret et la douleur des fautes commises, lui arrachant, dit-il, des soupirs, des gémissements et des larmes. Il s’agit proprement de la contrition, certes imparfaite, mais absolument nécessaire car, pour effacer les péchés passés, professe saint Grégoire le Grand, il ne suffit pas de n’en pas commettre de nouveaux, il faut d’abord pleurer ceux auxquels on s’est adonné : le scribe qui cesse d’écrire n’efface pas pour autant ce qu’il a écrit précédemment. Dieu, continue le Pontife, n’aime pas nos larmes et nos tristesses pour elles-mêmes, mais il les veut comme des remèdes aux plaisirs mauvais que nous nous sommes permis, et il ne saurait y avoir de pardon sans cela. Or, si la crainte commence l’œuvre de justification, pour qu’elle soit efficace et salutaire, poursuit saint Grégoire le Grand, le pécheur repenti doit avoir l’espérance en la miséricorde divine. La crainte seule déprimerait l’âme et la précipiterait dans une tristesse sans issue si la foi ne lui montrait le Seigneur toujours prêt à accueillir le repentir et, mieux encore, le Seigneur qui, malgré les iniquités, poursuit l’âme, la prévient, l’appelle et l’attire à lui. Cette idée de la bonté inlassable de Dieu a inspiré à saint Grégoire le Grand quelques-unes de ses plus belles pages où il invite le pécheur, quelle que soit la multitude de ses fautes, à garder confiance, car la puissance de son médecin est plus grande que son mal. Si le pécheur en reste à détester son péché uniquement parce qu’il redoute le châtiment, même si cette crainte le détourne de la pratique du mal, saint Grégoire le Grand dit qu’il n’est pas suffisamment détaché de l’affection au péché puisque, si le châtiment n’existait pas, il s’y laisserait encore aller ; sa disposition reste une servitude de crainte absolument opposée à la liberté de la grâce. La crainte n’est que d’une utilité passagère et ne vaut que comme faisant entrer dans la voie droite. Il recommande de s’inspirer de la crainte, mais il veut que l’on ne s’y arrête pas pour pouvoir arriver bientôt à cette crainte chaste qui est celle de la charité, de l’amour de Dieu, qui fait moins gémir le pénitent sur son propre malheur que sur l’offense à Dieu. La crainte jointe à l’espérance et à l’amour conduit donc le pécheur aux gémissements et aux larmes qui ne seraient pas sincères si le pécheur repenti ne les accompagnait d’œuvres satisfactoires proportionnées aux fautes passées, avec la ferme résolution de mieux vivre à l’avenir. Il est juste, selon saint Grégoire le Grand, que celui qui s’est naguère adonné aux plaisirs illicites se prive de certains plaisirs permis ; il est juste d’expier l’orgueil passé par des exercices d’humilité, la désobéissance par l’obéissance, la curiosité par le détachement, la gourmandise par la mortification ; par là, nous satisfaisons à notre Créateur dont nous avons enfreint les lois. Ainsi s’opère le changement de vie que saint Grégoire le Grand considère comme si essentiel à la pénitence qu’il le fait entrer dans sa définition. Le saint pape professe comme un principe absolu que tout péché doit toujours être puni et que Dieu fera expier au pénitent ce qu’il ne punit pas en lui-même. Quant à nous, si nous attachons justement une très grande importance à l’acte sacramentel, il semble que, par je ne sais quelle tentation démoniaque, nous supposons trop souvent qu’il suffit de recevoir l’absolution des péchés avoués et d’exécuter la menue pénitence imposée par le prêtre, pour être pleinement rétablis dans l’amitié divine, comme si les paroles de l’acte de contrition que nous débitons plus ou moins dévotement ne nous engageait pas, pour être réellement réconciliés, à la satisfaction. Nul ne saurait s’arroger les qualités de la vraie repentance s’il ne prend aucun souci d’éviter les occasions de retomber dans son péché, il découvre, dit saint Grégoire le Grand, des blessures auxquelles il ne veut porter aucun remède et s’expose par là à s’envenimer. Plus ou moins atteints par les déviations libérales, réputant Dieu si bon qu’il en devient injuste, voire gâteux, supposant que l’enfer est vide et le purgatoire fermé pour cause d’inventaire, nous avons perdu le sens de l’horreur du péché et, par tant, la crainte du châtiment. Il suffit que nous nous pardonnions à nous mêmes les offenses que nous lui avons faites pour croire que Dieu nous a pardonné. Ce faisant, après avoir fait mentir le Christ et toute l’Ecriture avec lui, suivie du magistère de l’Eglise, nous nous fermons les chemins de l’amour de Dieu parce que nous ne nous convertissons pas en changeant de vie par les moyens de la pénitence, et, qu’au mieux, nos résolutions, bien légalistes, sont circonscrites à la simple observance. Que de fois j’ai reçu à mon confessionnal des pécheurs qui avaient si peu le sens de l’offense à Dieu qu’ils ne se rappelaient même pas leurs péchés ! Que de foi j’ai entendu des pécheurs qui avaient si peu le sens du châtiment divin qu’ils s’imposaient des résolutions minimes sans aucun rapport avec les fautes accusées ! Que de fois j’ai subi des pécheurs qui avaient si peu de repentir qu’ils refusaient une réparation proportionnée à leurs fautes ! Que de fois j’ai supporté des pécheurs qui avaient si peu de ferme propos qu’ils ne songeaient même pas à éviter les occasions de leurs péchés ! Dieu sait que je ne suis pas un confesseur terroriste, mais je crains bien que beaucoup des absolutions que je risque restent inefficaces parce qu’elles ne sont guère suivies de justes réparations ni de changements de vie. Entendez saint Grégoire le Grand : Ceux qui s’irritent contre eux-mêmes reviennent par la pénitence à la vie ; ou bien : Ceux qui se convertissent de leurs péchés au Seigneur non seulement effacent par leurs larmes les iniquités qu’ils ont commises, mais encore s’élèvent aux hauteurs par leurs œuvres admirables. Saint Grégoire le Grand considère la confession comme un des premiers actes que fait le pécheur désireux de se réconcilier avec Dieu, et, quand elle est accompagnée d’humilité, il la considère comme une preuve indubitable de la sincérité de la conversion. En effet, dit-il, le premier mouvement du coupable, tels Adam et Eve au paradis terrestre, est de s’excuser ; au contraire pour chaque pécheur le commencement de la lumière est une confession humble, parce que celui-là est résolu à ne pas s’épargner lui-même qui ne rougit pas d’avouer le mal qu’il a commis. Et le saint pontife de remarquer qu’à cause du respect humain, il faut souvent plus de courage pour avouer les péchés commis que pour éviter de les commettre. La confession bien faite, poursuit-il, est l’indice de la vie spirituelle que Dieu a rendue au pécheur, en lui inspirant le regret de ses fautes et le courage de les confesser. Puissent nos cœurs accueillir le pardon du Seigneur en lui offrant le repentir, en recevant l’absolution et en se proposant une vraie satisfaction.
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