17 juillet

Les 16 bienheureuses Carmélites de Compiègne

Sommaire :

Historique

Les Carmélites de Compiègne

Dialogues des carmélites de Compiègne

Comprendre...

Historique du martyr



Historique

Le 4 août 1790, les membres du directoire du district se présentèrent au monastère des carmélites de Compiègne, conformément aux ordres donnés par la Constituante, et procédèrent à l'inventaire des biens de la communauté. Les religieuses furent invitées à quitter leur habit et à abandonner leur monastère. Cinq jours plus tard, sur les conseils de la municipalité, elles signèrent toutes le serment de Liberté-Égalité. Dès lors, elles vécurent dispersées en quatre petits groupes, mais continuant, sous le costume séculier, leur existence de prière et d'immolation.


Le songe de sœur Elisabeth Baptiste

Un siècle auparavant, une carmélite de ce monastère, sœur Élisabeth-Baptiste, avait vu en songe toutes les religieuses de son couvent dans la gloire du ciel, revêtues de leur manteau blanc et tenant une palme à la main... Le ciel leur réservait-il donc l'honneur du martyre ? Cette pensée se présentait fréquemment à leur esprit. Aussi la mère prieure, sentant le désir qui prenait corps dans la communauté, leur proposa-t-elle, au cours de l'année 1792, de faire un acte de consécration par lequel la communauté s'offrirait en holocauste pour apaiser la colère de Dieu et (pour) que cette divine paix que son cher Fils était venu apporter au monde fût rendue à l'Église et à l'État. Cette consécration fut faite d'enthousiasme.

Deux religieuses anciennes, qui, tout d'abord, n'avaient pu dissimuler la crainte que leur causait l'idée de la guillotine et qui avaient hésité, émues moins du sacrifice lui-même que de la manière dont il devait s'accomplir, sollicitèrent, quelques heures plus tard et en pleurant, la faveur de se joindre à leurs sœurs. Et, chaque jour, en communauté d'abord, dans les différents groupes ensuite, la consécration était renouvelée, maintenant une flamme qui ne devait s'éteindre qu'au jour de la suprême immolation, sous le couperet de la guillotine.


Arrestation des carmélites

Cependant la régularité même de la vie de chaque groupe, reproduisant aussi exactement que le permettaient les circonstances l'horaire de la vie conventuelle, n'avait pas échappé aux Jacobins de Compiègne. Ils dénoncèrent donc au comité de salut public du district les ci-devant carmélites comme existant toujours en communauté, se livrant à des réunions suspectes et entretenant avec les fanatiques de Paris une correspondance criminelle.

Le 22 juin 1794, elles furent enfermées au monastère de la Visitation, transformé alors en prison. Là, en attendant que le Comité de salut public, avisé par le comité local, statuât sur leur sort, les recluses rétractèrent leur serment de Liberté-Égalité, préférant mille fois mourir plutôt que de rester coupables d'un tel serment.


Le transfert à Paris

Le 12 juillet, parvenait à Compiègne l'ordre du Comité de salut public de les transférer à Paris. Escorté de deux gendarmes et de neuf dragons, le cortège prit la direction de Paris, et parvint le lendemain, vers trois heures de l'après-midi, à la Conciergerie.

Malgré leurs liens et leur extrême fatigue, les carmélites mirent pied à terre sans l'aide de personnes. Seule, une religieuse octogénaire et infirme, sœur Charlotte de la Résurrection, les membres engourdis par une longue immobilité, ne savait comment descendre de la charrette. Impatientés, les voituriers la saisirent et la jetèrent brutalement sur le pavé. Elle se releva tout en sang et se contenta de dire à ceux qui venaient de la traiter ainsi : Croyez bien que je ne vous en veux pas. Je vous ai eau contraire bien de la reconnaissance de ce que vous ne m'avez pas tuée, parce que si je fusse morte... J'aurais été ravie au bonheur et à la gloire du martyre. C'était l'une des deux religieuses qui, deux ans auparavant, avaient hésité devant la perspective d'une mort sanglante ; maintenant, elle acceptait généreusement son sacrifice.

A la Conciergerie comme à Compiègne, les seize carmélites continuèrent à observer leur Règle : un témoin digne de foi, Denis Blot, élargi le 9 thermidor, déclare qu'on les entendait toutes les nuits, à deux heures du matin, récitant leur office. Le 16 juillet, elles célébrèrent la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel avec un tel enthousiasme qu'au dire d'un détenu la veille de leur mort paraissait un grand jour de fête pour elles.

Le soir elles reçurent avis de leur comparution, le lendemain, devant le Tribunal révolutionnaire.


La mort sur l'échafaud

Après un bref interrogatoire et sans même entendre de témoins, le tribunal condamnait à mort les seize carmélites coupables de former des rassemblements et des conciliabules contre-révolutionnaires, d'entretenir des correspondances fanatiques et de conserver des écrits liberticides. Et comme sans s'émouvoir, l'une d'elles, sœur Henriette de la Providence, demandait au président Scellier ce qu'il fallait entendre par le mot de fanatique qui figurait dans le texte du jugement, elle reçut cet aveu qui devait les remplir d'une joie indicible : J'entends par là votre attachement à ces croyances puériles, vos sottes pratiques de religion.

Une heure après, elles montaient dans les charrettes qui, par la place de la Bastille, les conduisirent sur la place du Trône renversé (place de la Nation). Tandis qu'à leur passage une foule assez composite manifeste des sentiments divers, allant des cris et des injures jusqu'à l'admiration, elles, indifférentes et sereines, chantent le Miserere puis le Salve Regina. Arrivées au pied de l'échafaud, elles entonnent le Te Deum, le cantique de l'action de grâce qu'elles font suivre du Veni Creator. Après quoi, elles renouvellent leurs promesses de baptême et leurs vœux de religion.

Mais voici qu'une jeune novice, sœur Constance, s'agenouille devant la prieure. Avec autant de simplicité que derrière les murs du couvent, elle lui demande sa bénédiction et la permission de mourir, puis, chantant le psaume Laudate Dominum, omnes gentes, elle gravit les marches de l'échafaud. L'une après l'autre, les autres religieuses observent le même cérémonial et viennent recevoir la bénédiction de mère Thérèse de Saint-Augustin avant de cueillir la palme du martyre. Enfin, la dernière, après avoir vu toutes ses filles donner à Dieu la plus grande preuve d'amour que puisse, ici-bas, lui donner la créature, la prieure livre, elle aussi, sa tête au bourreau.

Vie des saint et bienheureux,
Bénédictins de la rue de la Source, éd. Letouzey



Les Carmélites de Compiègne

Leur histoire a paru suffisamment riche de sens à des artistes de ce siècle pour qu'ils y trouvent la matière de plusieurs œuvres qui ont toutes été des événements marquants de la vie culturelle jusqu'à ces dernières années.

La nouvelle de Gertrud von le Fort, intitulée La dernière à l'échafaud, donne à Georges Bernanos le désir de voir réaliser un film dont il écrit le scénario. Il meurt en 1948 avant d'en voir la réalisation.

La version cinématographique, intitulée Dialogue des Carmélites, dans un texte adapté par le P. Bruckberger, est réalisée en 1960 par Philippe Agostini. Deux comédiennes célèbres interprétaient les rôles principaux : Jeanne Moreau et Madeleine Renaud.

Une version pour la scène est dirigée en 1961 par Marcelle Tassencourt.

Auparavant un opéra en trois actes de Francis Poulenc avait été créé en italien à la Scala de Milan et en français à l'Opéra de Paris (1957).

Plus près de nous, en 1987, une version intégrale était présentée pour la première fois dans une mise en scène de Gildas Bourdet, à Lille d'abord où le metteur en scène dirigeait un théâtre national décentralisé, puis à Paris au Théâtre de la Porte Saint-Martin sous l'égide de la Comédie Française.

Les deux personnages retenus par les différents auteurs, une jeune religieuse. Blanche de la Force, et la Mère Supérieure, sont unies par un lien spirituel qui permet une sorte d'échange mystique entre celle qui tremblait de peur, Blanche, et celle qui poussait ses filles au martyre, la Supérieure. Après avoir assisté sa Supérieure dans une douloureuse agonie, c'est Blanche, la timorée, qui monte la dernière à l'échafaud... en chantant un psaume.



Dialogues des Carmélites de Compiègne par Georges Bernanos

Les Dialogues des Carmélites que publient les Cahiers du Rhône (Éditions du Seuil) sont la dernière œuvre de Georges Bernanos ; il les écrivit en Afrique du Nord durant l'hiver 1947-1948 et en traça les lignes finales le jour même où il s'alita pour ne plus se relever. Ces dialogues lui avaient été commandés pour un film dont le R.P. Raymond Bruckberger avait écrit le scénario d'après la célèbre nouvelle de Gertrud von Le Fort, La Dernière à l'échafaud. Mais Bernanos, retrouvant dans ce canevas les thèmes qui avaient dominé toute sa vie spirituelle - l'enfance, la peur, la sainte agonie - en fit une œuvre qui n'appartient qu'à lui.

C'est l'histoire des seize carmélites de Compiègne qui furent guillotinées à Paris le 17 juillet 1794 et montèrent sur l'échafaud en chant le Veni Creator.

Gertrud von Le Fort, s'inspirant librement des sources historiques, a imaginé le personnage de la petite novice, Blanche de la Force, qui est l'héroïne des Dialogues. C'est une jeune fille peureuse, dont la mère est morte en couches, à la suite de la frayeur qu'elle a eue, prise dans la foule en panique lors d'un accident survenu Place Louis-XV, en 1774. A quinze ans, Blanche décide d'entrer en religion, après avoir à son tour été isolée dans une foule en émeute, en avril 1789. Elle se présente à la Prieure du Carmel de Compiègne, Mme de Croissy (c'est la scène que nous reproduisons), et par une sorte de divination, choisit de s'appeler en religion Sœur Blanche de l'Agonie du Christ.

Elle connaîtra bientôt le sens de ce nom qui convient à sa vocation personnelle. elle assiste d'abord à la terrible agonie de la Prieure qui, ayant deviné l'âme timorée de Blanche, la confie à Mère Marie de l'Incarnation. Cependant, les événements révolutionnaires se déroulent et on procède à l'inventaire des couvents, en attendant des mesures plus graves. Pourtant, Sœur Blanche, malgré la peur qui l'habite, refuse de rentrer dans sa famille. Un décret de la République interdit de prononcer des vœux monastiques. Mère Marie voudrait qu'on admît Blanche à prononcer les siens, mais la nouvelle Prieure, Mme Lidoine, femme courageuse mais prudente et d'un bon sens un peu terre à terre, s'y oppose.

Devant la menace grandissante, Mère Marie et la plupart des carmélites voudraient prononcer un vœu de martyre. Cette fois encore, la Prieure use de son autorité et les dissuade d'un geste qui lui paraît prématuré. Mais en son absence et aussitôt après le pillage du couvent, Mère Marie prend sur elle de faire prononcer ce vœu. Alors que toutes s'attendaient à voir Blanche s'y soustraire, elle prend l'engagement de s'offrir au martyre. C'en est trop pourtant : aussitôt après elle s'évade.

Mère Marie part à sa recherche. Blanche, dont le père a été exécuté, vit comme absente d'elle-même, prisonnière d'une bande de sans-culottes qui l'exhibent comme la victime, libérée par eux, de la tyrannie des prêtres. Lorsque Mère Marie la retrouve, on sait que les carmélites viennent d'être condamnées à mort, Blanche refuse de les rejoindre et s'enfuit encore. Mais elle se trouve Place de la Révolution lorsque ses sœurs montent à l'échafaud et, au moment où la dernière voix chantant le Veni Creator s'éteind, la voix de blanche reprend l'hymne et l'enfant peureuse s'offre à la guillotine. Seule survivra Mère Marie à qui l'aumônier du Carmel arrache un ultime sacrifice : le sacrifice de sa volonté de martyre.

Ainsi s'accomplit le mystère de la peur, transfigurée par son identification à l'angoisse du Crucifié. Comme l'indique le nom de Blanche, ce mystère est celui de l'imitation de la Sainte-Agonie. Bernanos l'avait dit déjà, il y a longtemps, dans une page de La Joie où l'abbé Chevance disait : En un sens la Peur est tout de même la fille, de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi Saint... Ne vous y trompez pas, elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l'homme.

Albert Béguin.



Comprendre...

Ouvrir aujourd'hui le dossier des carmélites de Compiègne à l'occasion de la reprise de Dialogues des Carmélites conduit paradoxalement l'historien à s'interroger sur ces fonctions : certifier, expliquer, comprendre.

Oui, effectivement seize carmélites arrêtées à Compiègne et transférées à Paris furent bien jugées par le tribunal révolutionnaire, condamnées et exécutées le jour même, 17 juillet 1794, dix jours avant la chute de Robespierre. La communauté comprenait deux tourières et une novice de 29 ans. Le grand âge des plus vieilles (79 ans) ne les sauva point de la mort. Une seule échappa, parce qu'absente de Compiègne. Elle devint la première historienne de cette tragédie. Oui encore, la prieure, à l'été 1792, suggéra à sa communauté de faire acte de consécration par lequel elle s'offrirait en holocauste pour apaiser la colère de Dieu, ce qui causa quelques troubles ; oui enfin, à l'ultime moment, celle-ci obtint de monter la dernière à l'échafaud pour encourager et bénir ses filles une à une. Le reste est littérature, mais quelle littérature ! Ajoutons que les carmélites furent reconnues martyres, béatifiées en 1906, au moment même où Pie X condamnait véhémentement la séparation de l'Église et de l'État.

Expliquer, ensuite. Le sang a coulé sous la Révolution et souvent celui d'innocents, mais l'exécution d'une communauté entière de religieuses, si l'on met à part la Vendée, est un fait heureusement exceptionnel.

Plusieurs phénomènes semble-t-il conjuguent ici leurs effets. D'abord, indéniablement, la nouvelle législation répressive du 10 juin 1794. Début alors la Grande Terreur : en quarante-sept jours, le tribunal révolutionnaire de Paris prononcera plus de condamnations à mort que durant les quatorze mois précédents. En second lieu le contexte local. La ville de Compiègne, en mai, est soupçonnée de tiédeur dans sa lutte contre le fanatisme. En arrêtant un moi plus tard les carmélites que l'on savait regroupées en plusieurs maisons, les autorités se dédouanaient à bon compte. Enfin peut-être, comme en bien d'autres cas, l'imprudence des intéressées. Les perquisitions permirent de saisir des pièces jugées compromettantes.

Se souvint-on de plus que le carmel de Compiègne avait des liens privilégiés avec la famille royale, même si la majorité des moniales était d'origine plutôt modeste ? C'est fort possible.

Comprendre enfin. Il faudrait pour cela abandonner un temps nos carmélites pour mieux restituer la mentalité révolutionnaire, vivre leur drame partagé par d'autres. Trois dossiers seraient particulièrement éclairants. Celui de la déchristianisation d'abord, telle qu'elle a été vécue, sur place, dans la région de Compiègne ; immédiate, dès octobre-novembre 1792, violente avec abdication forcée des prêtres et fermeture des églises, mais aussi mal acceptée des populations, rarement dramatique, à l'exception justement de l'exécution des carmélites.

Celui de l'attitude devant la mort ensuite. La lecture des dernières lettres que les condamnées ont envoyées à leurs familles montre que la sérénité et le courage étaient largement partagés, mais aussi, l'espérance de se trouver bientôt, sans crainte, devant l'Être suprême dans un face-à-face confiant, mais sans médiateur, sans Christ et sans prêtre, le plus souvent.

Celui enfin de la guillotine qui nous révèle bien des choses sur l'imaginaire de la Terreur. Les exécutions, ces messes rouges, exerçaient incontestablement une étrange fascination sur les foules. Pourtant quel romancier aurait osé parler ainsi de la guillotine. Écoutons Chaumette, le déchristianisateur parisien : Montagne sainte, devenez un volcan dont les laves dévorent nos ennemis ! Plus de quartier, plus de miséricorde aux traîtres ! Jetons entre eux et nous la barrière de l'éternité ! L'histoire parfois a de ces audaces...

Claude Langlois.



Historique du martyr

Les Carmélites, 17 juillet (29 messidor), écrit M. Wallon, t. V, p. 40, habitaient à Compiègne depuis plus d'un siècle une maison qu'elles avaient fait bâtir sur un terrain acheté de leurs deniers, quand l'Assemblée constituante, par la loi du 13 février 1790, supprima les ordres religieux. Cette loi, pourtant (qu'on ne l'oublie pas) ne fermait pas les couvents, elle les ouvrait. Elle déliait les religieux de leurs vœux, autant que le pouvait faire la loi civile : elle en supprimait la sanction publique. Elle leur permettait de sortir du couvent ; elle ne leur défendait pas d'y rester en congrégations libres ; elle décidait même (la loi du 2 novembre 1790 ayant mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation) que des bâtiments spéciaux seraient désignés pour ceux qui voudraient continuer de vivre en congrégation comme auparavant. Les religieuses mêmes étaient autorisées à rester provisoirement dans leur couvent. - Non seulement les congrégations dissoutes ne devaient pas être dispersées, mais le décret du 8 octobre 1790 avait pourvu à leur réorganisation. Les religieuses qui préféreraient la vie commune à la liberté devaient nommer entre elles, au scrutin et à la pluralité absolue des suffrages, une supérieure et une économe qui seraient nommées pour deux ans et pourraient être réélues ; et un officier municipal avait mission de présider à cette opération. A Compiègne les 18 carmélites, quinze professes et trois sœurs converses, ayant opté pour la fidélité à leurs vœux, étaient restées dans leur couvent (5 août 1790) et l'élection se fit au commencement de l'année suivant en présence de deux officiers municipaux : madame Sidoine fut élue supérieure, dignité qu'elle avait déjà, et Mme de Croissy économe.

Mais après le 10 août 1792, les choses changèrent de face. La chute de la royauté inaugurait même avant la proclamation de la république, l'ère de la révolution, et le décret du 17 août ordonna que les maisons occupées encore par les religieux et les religieuses seraient évacuées et mises en vente. Les Carmélites durent donc sortir de leur couvent ; et toutefois, même alors, on ne mit aucun acharnement à les disperser. Ni après les journées de septembre, ni dans toute l'année 1793, on ne les inquiéta. Elles s'étaient partagées entres trois maisons, sortant peu, selon l'esprit de leur ordre, et pratiquant autant qu'elles le pouvaient, en commun, leurs devoirs religieux ; ce qui ne pouvait tarder à les rendre suspectes, quand la religion devint un crime d'État.

Elles avaient cependant obéi à tout ce qui ne paraissait pas contraire à leur foi. - Elles avaient prêté le serment de liberté et d'égalité, ce serment qui avait effarouché leurs sœurs de Paris, auquel celles-ci se refusèrent obstinément, même devant le tribunal, sous le couteau de la guillotine. Mais elles n'avaient aucune part avec ceux qui avaient fait acte de schisme par le serment de la constitution civile du clergé. Elles étaient en correspondance avec d'autres religieuses, avec des parents qui ne cachaient pas davantage leur tristesse sur l'état de l'Église. Elles ne se croyaient pas, sur ce sujet, tenues à la règle du silence. - C'était un péril, et une de leurs correspondantes les en avertit : Ne vous gênez jamais, disait-elle, quand vous avez besoin d'écrire à mon père, je lui ferai remettre exactement ; mais entre nous deux, ma bonne mère, on parle trop à Compiègne, et on m'en a parlé à Senlis, quelqu'un de poids qui m'a dit que l'on manquait de circonspection, et que cela pouvait avoir des suites ; on m'a prié de l'avertir lui-même, afin qu'il recommande le silence, vertu si nécessaire.

Quand il fallait si peu de chose pour qu'un simple fidèle fût envoyé au tribunal, il était difficile que des religieuses, demeurées dans la ville où elles étaient connues, et si peu séparées les unes des autres, ne frappassent point l'attention d'un comité de surveillance révolutionnaire. Le comité de Compiègne cru devoir faire une enquête, et il y procéda avec cet appareil militaire que l'autorité départementale aime à déployer en pareille circonstance. Le 3 messidor il prit l'arrêté suivant :

Le comité de surveillance révolutionnaire : sur l'avis reçu que les ci-devant Carmélites dispersées en trois ou quatre sections de cette commune, se réunissent le soir ; que depuis l'arrestation de la fameuse Theol, se disant Mère de Dieu, il paraît plus de mouvement, s'aperçoit plus d'empressement de la part des ci-devant religieuses et de certaines dévotes de la commune ; le comité considérant que déjà il existe dans ses registres une dénonciation qui atteste que ses filles existent toujours en communauté : qu'elles vivent toujours soumises au régime fanatique de leur ci-devant cloître, qu'il peut exister entre ces ci-devant religieuses et fanatiques de Paris, une correspondance criminelles : qu'il y a lieu de soupçonner chez elles des rassemblements dirigés par le fanatisme ;

Arrête qu'il sera, par les membres divisés en plusieurs sections, fait une visite dans les différentes maisons par elles occupées et que chaque section se fera accompagner d'un nombre suffisant de dragons...

L'enquête fit trouver chez elles : quelques lettres adressées, soit à la supérieure, soit à une ou deux autres religieuses - une image de Louis XVI, telle qu'on en avait répandu à profusion dans le premier enthousiasme de l'ère de la liberté : elle avait pour légende : Louis XVI (roi des Français). De notre liberté c'est le libérateur, De Nestor, des Titus auguste imitateur. Que dis-je ?... ô peuple heureux par son amour extrême, Tu ne peux comparer ce grand roi qu'à lui-même. - des vers envoyés, par un bourgeois de Compiègne, rimeur incorrigible et malheureux, Mulot de la Menardière, à une de ces religieuses qui était sa cousine, etc.

C'en fut assez pour que le comité toujours à la poursuite des traîtres, comme il le dit au début de sa lettre, dénonçât l'infortuné Mulot et 18 religieuses aux membres composant les comités du salut public et de sûreté générale.

Les deux comités ordonnèrent l'envoi des accusés à Paris. Ils avaient même compris dans l'ordre d'envoi un nommé Guillemette à qui était adressée une lettre pleine d'horreur et d'effroi sur la journée du 10 août, lettre écrite le lendemain ou surlendemain de ce jour, et une citoyenne Delavallée. Mais dans la ville et que la citoyenne Delavallée n'avait été nommée dans l'acte de dénonciation que pour donner l'adresse d'une des maisons où plusieurs des Carmélites étaient logées ; c'était un simple numéro.

On dut donc se contenter de Mulot de la Menardière et des 10 religieuses dont voici les noms : Marie-Claude Sidoine, Anne-Marie-Madeleine Thouret, Marie-Claude-Cyprienne Brard, Marie Dufour, Thérèse Soiron (sœur tourrière), Marie-Geneviève Meunier (novice), Marie-Aimée Brideau, rose Chrétien, Marie-Gabrielle Trezel, Marie-Françoise Croissy, Anne Pellerat, Angélique Roussel (sœur converse), Élisabeth-Julie Vérolot (id.), Marie-Anne Hanisset, Marie-Anne Piecourt, Catherine Soiron (sœur tourière).

On les accusait de vivre en communauté ; on les accusait de fanatisme (c'était le mot du temps), et à cet égard les preuves ne manquaient pas. Telle était cette recommandation de prière en faveur des autorités civiles : Vous joindrez aux intentions générales pour les besoins de l'état et de l'église celle d'obtenir aux membres qui composent les districts et les municipalités, les lumières pour connaître tout le mal qu'ils font en se prêtant à l'exécution des décrets contraires à la Religion, et la fidélité à le refuser même au péril de leur vie ou renoncer absolument à des emplois qui ne peuvent s'allier avec le christianisme.

Il y avait aussi parmi les pièces saisies, des lettres de religieuses ou de femmes parlant des scapulaires et de neuvaines ; il y avait des lettres de prêtres ; elles ne sont pas signées, mais elles portent la marque du sacerdoce dans l'élévation et la gravité des pensées religieuses, comme dans la fermeté du conseil, épuré, fortifié par les épreuves de la vie du proscrit. - Rien de la politique : mais de la tristesse, et, sous l'impression des faits déjà accomplis, des pressentiments sombres, facilement prophétiques. Je n'en veux citer que ce passage d'une lettre qui remonte au 20 mai 1790 :

Ce qui m'afflige, c'est de voir que tant d'églises où Dieu a été honoré et où il a répandu des torrents de grâces sur une infinité de fidèles, vont être changées en lieux d'abomination et de désordre, etc., etc... Cependant rien n'arrive que par l'ordre et la volonté de Dieu, et qui sommes-nous pour lui demander raison de sa conduite ! - Adorons donc et taisons-nous. - aussi bien, après le scandale de la croix, rien ne doit plus nous scandaliser dans ces temps orageux. Il faut nous disposer au martyre ; car, selon toutes les apparences, on finira par là. Heureux ceux qui mériteront d'en recevoir la couronne !

Les Carmélites de Compiègne avaient, nous l'avons vu, prêté le serment civique de liberté et d'égalité. Il est assez inutile de rechercher si, comme le prétend une de leurs sœurs, qui leur survécut, elles l'avaient rétracté depuis. On était suffisamment assuré qu'elles n'avaient nu rapport avec les prêtres jureurs ; et si l'on ne produisait aucune de leurs lettres à cet égard, il y en avait à elles adressées, qui ne laissaient point de doute sur leur parfaite conformité de sentiments avec leurs correspondantes : telle est cette lettre d'une religieuse ursuline de Paris qui, à la date du 16 juillet 1791, répond au nom de sa supérieure, à la sœur Thérèse de Saint-Augustin, supérieure des Carmélites de Compiègne. Elle peint avec une vivacité pittoresque les dispositions que les évêques intrus rencontraient parmi les religieuses de leur ressort :

Madame, - Notre mère supérieure, extrêmement occupée d'affaire qu'elle ne peut remettre, me charge de vous répondre, afin de ne pas différer. Je m'en acquitte avec d'auteur plus de plaisir que ce sera pour moi, Madame, une occasion de vous réitérer l'assurance des sentiments tendres et respectueux que vous m'avez inspirés.

Nous ignorons, Madame, quelle est la manière dont se conduisent nos sœurs de Beauvais envers M. Massieu ; nous pouvons vous dire avec certitude que dans cette capitale nous sommes toutes résolues à ne reconnaître l'intrus en aucune sorte. - S'il venait rendre visite à cette maison et qu'il demandât à entrer, nous refuserions de lui ouvrir ; s'il insistait et menaçait, nous lui ouvririons pour éviter un plus grand scandale qui serait causé par la violence, mais nous ne le conduirions pas à l'église, il irait seul s'il voulait. - S'il demandait à voir nos registres à titre d'évêque légitime qui fait sa visite, nous ne les lui montrerions pas ; s'il le voulait absolument, nous les lui montrerions, en lui disant que nous ne les lui montrons pas comme le reconnaissant pour notre évêque, mais pour céder à la violence, car nous ne reconnaissons d'autre évêque, mais pour céder à la violence, car nous ne reconnaissons d'autre évêque, mais pour céder à la violence, car nous ne reconnaissons d'autre évêque que Monseigneur de Juigné. Après qu'il serait parti, nous ferions dresser un procès-verbal comme quoi M. un tel... Est venu pour se faire reconnaître, comme quoi il est entré par force, et qu'en un mot, comme nous ne le reconnaissons pas, (que) tous les actes qu'il a faits dans notre maison sont autant d'actes de violence. La supérieure et les anciennes signeraient ce procès-verbal fait par un notaire, et ce procès serait conservé.

On est venu pour nous faire déclarer si nous voulions des prêtres qui fussent donnés par M. de Lida pour être nos confesseurs et chapelains : nous avons dit que jamais nous n'en accepterions que de notre évêque légitime. On nous a laissées tranquilles depuis, d'autant que nous étions libre de choisir à condition que si nous gardions des prêtres que nous avions, notre église serait fermée ; elle l'est depuis ce temps-là.

Voilà, Madame, des réponses positives et que je vous fais de part de notre mère qui est, on ne peut pas plus sensible, à tout ce que vous lui avez dit d'honnête ; elle veut que je vous assure de tout l'intérêt qu'elle prend à votre position ; elle est charmée et édifiée de votre attachement inviolable aux bons sentiments et aux vrais principes ; elle a pour vous la plus parfaite estime et le plus tendre attachement. Croyez qu'on ne peut rien ajouter à la sincérité des sentiments et du respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Madame, Votre très humble et très obéissante servante,

Sœur Ste B.


Permettez, Madame, que j'assure ma tendre amie, sœur Marie de l'Incarnation de la constance de mes sentiments pour elle et de la joie que me cause la béatification de sa sainte patronne. Mes occupations depuis longtemps, sont cause de mon silence et de mon sacrifice.

On ne trouvera pas étonnant que les vœux des persécutées ne fussent point pour le triomphe du gouvernement persécuteur, et cela pouvait amener des manifestations plus sérieusement compromettantes au milieu des incidents de la lutte où la France, et non pas seulement la faction dominante, se trouvait engagée. Dans une lettre, après des plaintes fort légitimes, fort criminelles alors, sur la mort du roi (comment a-t-on pu avoir le cœur assez dur pour le condamner ?), on lisait :

On dit aujourd'hui que les Autrichiens ont forcé les Français patriotes de lever le siège de Maestricht, et que les 6000 émigrés qui y étaient l'ont défendu. Dieu veuille permettre que tout ceci réussisse pour un plus grand bien. Pour moi je souhaite que nous puissions le servir plus librement qu'à présent.

Il y avait aussi dans les papiers trouvés un cantique au Sacré Cœur de Jésus, dont plusieurs strophes étaient animées de sentiments plus violemment hostiles :

Cantique du Sacré Cœur de Jésus


1.
Cœur Sacré d'un Dieu qui nous aime,
Source aimable de nos vertus,
Toi qui fais mon bonheur suprême
Cœur adorable de Jésus...

2.
De l'amour trop chère victime,
Oublie un instant la douceur ;
tu vois les attentats du crime,
Viens mettre un frein à sa fureur.

3.
Fais marcher l'aigle vengeresse,
Contre ces vautours dévorants,
Et qu'enfin l'olivier renaisse,
Sur la cendre de nos tyrans.

4.
Qu'il paraisse au bruit du tonnerre,
Au milieu du ciel embrasé,
Ce Cœur, le salut de la terre,
Par qui Satan fut écrasé.

5.
A son aspect doux et terrible,
Je vois pâlir les factieux ;
La France alors devient paisible
Son roi libre et son peuple heureux.

(Par M. D., ci-devant prêtre habitué à la paroisse St-Sulpice.)


- La lettre n'avait pas été écrite, mais reçue, et le cantique portait une désignation d'auteur. Mais on n'avait pas attendu aux derniers jours de messidor pur regarder le détenteur d'un écrit comme complice de l'écrit. C'était presque dès l'origine, la jurisprudence du tribunal. On n'avait pas pu saisir ce prêtre de Saint-Sulpice, mais on avait sous la main un autre poète de même esprit et, disons-le, de même force, Mulot de la Menardière, qui, dans une pièce de vers adressée à sa cousine, Mme Ste-Euphrasie (Mme Brard), sur ce que la Providence, écrivait-elle, avait mis par la pluie et le froid un veto sur son travail au jardin, avait osé dire :

Le froid détruira les insectes...
S'il détruisait tous les méchants,
Des Jacobins toutes les sectes
Et nombre de représentants !

Ce vœu provient de mon envie
De voir renaître le bonheur,
De voir heureuse ma patrie ;
C'est le souhait de tout mon cœur.


On avait de plus trouvé parmi les papiers des religieuses un gros cahier intitulé mon apologie, où l'on attaquait le serment prescrit par la Constitution civile du clergé.

On ne sait quelle main de ceux qui firent l'enquête écrivit au haut du premier feuillet : De Mulot. Ce fut l'arrêt de mort du malheureux. Le mémoire était évidemment d'un prêtre : toute l'argumentation le prouvait, et la déclaration en était faite dès les premières lignes : Mon apologie.

Je n'ai pas prêté le serment civique exigé par le décret du 27 novembre.

Par honneur et par religion je dois compte de ma conduite à tous mes confrères dans le sacerdoce, etc... Or, Mulot n'avait jamais été prêtre. Il était marié, et sa femme, arrêtée avec lui comme suspecte, se trouvait alors détenue à Chantilly. N'importe, la pièce sera irrévocablement de Mulot, et, pour tout accorder, Fouquier-Tinville, dans son acte d'accusation, le tiendra lui-même pour un prêtre.

L'audience du 29 messidor, an II (17 juillet 1794), commença à dix heures du matin, trente-quatre accusés prirent place sur les gradins. Parmi eux se trouvaient les seize Carmélites et Mulot de la Ménardière. Les autres appartenaient à tous les pays et étaient gens de toute condition.

Il y avait notamment un maître de mathématiques, une femme de chambre, un courrier de la malle, un greffier de justice de paix, un perruquier alsacien, et deux frères musiciens, nés également à Strasbourg, et dont tout le crime consistait à avoir dit que les Prussiens étaient de bons garçons.

Sézille Montarlet, ancien avoué au district de Noyon, était assis au banc de la défense et devait prêter l'appui de sa parole à ses infortunées compatriotes.

Aussitôt l'audience ouverte, Scellier fit décliner à chaque accusé ses noms et prénoms, puis Fouquier-Tinville ou son substitut fit donner lecture de l'acte d'accusation qu'il avait habilement préparé. Dans ce document, qui joue une grande importance dans le procès, l'accusateur public commence à s'expliquer sur le compte des accusés étrangers au département de l'Oise, puis, arrivant à Mulot de la Ménardière, et aux Carmélites, il s'exprime ainsi :


Mulot de la Ménardière, ex-prêtre réfractaire, était dans la commune de Compiègne le chef d'un rassemblement contre-révolutionnaire, d'une espèce de foyer de Vendée, composé de religieuses carmélites et d'autres ennemis de la Révolution. - Sa correspondance avec ces femmes soumises à ses volontés, dépose des principes et des sentiments contre-révolutionnaires qui l'animaient et on y remarque surtout cette fourberie profonde familière à ces tartufes accoutumés à donner leurs passions pour règle de la volonté du ciel. Il paraît que c'est lui qui joignait à ses lettres un billet conçu en ces termes : Vous joindrez aux intentions générales pour le besoin de l'Église, celle d'obtenir aux membres qui composent les districts et les municipalités, les lumières pour connaître tout le mal qu'il font en se prêtant à l'exécution de décrets contraire à la religion et la fidélité à refuser, même au péril de leur vie, ou à recevoir des emplois qui ne peuvent s'allier avec le christianisme.


Un autre manuscrit sur son refus de prêter le serment dis constitutionnel, établit que sa résistance à l'autorité légitime était méditée et réfléchie ; sa correspondance prouve que les plus cruels ennemis de la Révolution étaient ses amis. Dans une de ses lettres, les intrépides défenseurs de la Patrie y sont représentés comme des fainéants sans probité sans mœurs, et la plupart même, de la lie du peuple, sans sentiments, sans honneur, sans cœur ; les drapeaux et les bonnets rouges l'ont toujours révolté. Enfin, Mulot termine une pièce de vers adressée par lui à l'une des ex-religieuses, par ces quatre vers :

Le froid détruira les insectes,
S'il détruisait tous les méchants,
Des Jacobins toutes les sectes
Et nombre de Représentants


Quant aux ex-religieuses Carmélites Sidoine, Touret, Brard, Dufour et autres, quoique séparées par leurs domiciles, elles formaient cependant des rassemblements et des conciliabules de contre-révolution entre elles et d'autres qu'elles réunissaient. En reprenant cet esprit de corps, elles conspirèrent contre la République ; une correspondance volumineuse trouvée chez elles, démontre qu'elles ne cessaient de machiner contre la Révolution ; le portrait de Capet, son testament, les cœurs, signes de ralliement de la Vendée, des puérilités fanatiques accompagnées de brevet d'un prêtre étranger ou émigré, brevet daté de 1793, prouvent qu'elles avaient des correspondances avec les ennemis extérieurs de la France : telles étaient les marques de la confédération formée entre elles ; elles vivaient sous l'obédience d'une supérieure et quant à leurs principes et à leurs vœux, leurs lettres et leurs écrits en déposent. Dans un prétendu cantique dit du Cœur de Jésus et Marie, on

Fait marcher l'aigle vengeresse
Contre ces vautours dévorants
Et qu'enfin l'olivier renaisse
Sur les cendres de nos tyrans.

Qu'il paraisse au milieu du tonnerre,
Au milieu du ciel embrasé
Ce Cœur, le salut de la terre
Par qui Satan fut écrasé.

A son aspect doux et terrible
Je vois pâlir les factieux,
La France alors devient paisible,
Son roy libre et son peuple heureux.


Cette hymne contre-révolutionnaire était, on ne peut en douter, celle avec laquelle les prêtres de la Vendée conduisaient les victimes aveugles de leur scélératesse aux meurtres et assassinats de leurs frères. Aussi voit-on dans leur correspondance avec quel plaisir elles parlaient de trahison et des autres manœuvres pratiquées par les despotes coalisés contre la République Française. On dit, est-il écrit dans une des lettres trouvées chez la femme Lidoine, que les Autrichiens ont forcé les Français patriotes de lever le siège de Maestricht et que les 6000 émigrés qui y étaient l'ont défendu. Dieu veuille permettre que tout ceci réussisse pour plus d'un grand bien. Pour moi, je souhaite que nous puissions le servir plus librement et que je puisse réparer dans un cloître toutes mes infidélités.

Ainsi, suivant cette conspiration, il fallait verser le sang des hommes pour rétablir les couvents ; enfin, toutes les ex-religieuses, méconnaissant la souveraineté nationale et l'empire de ses lois, ont refusé de prêter le serment que la Société avait droit de leur demander en leur accordant des moyens de subsistance ; elles n'offrent qu'une réunion, un rassemblement de rebelles, de séditieuses qui nourrissent dans leur cœur le désir et l'espoir criminel de voir le peuple Français remis au fer de ses tyrans et dans l'esclavage des prêtres sanguinaires, autant qu'imposteurs, et de voir la liberté engloutie dans les flots de sang que leurs infâmes machinations ont fait répandre au nom du Ciel.


Indépendamment de l'exagération qui est un des cachets caractéristiques du langage révolutionnaire à pareille époque, cet acte d'accusation prouvait une indigne mauvaise foi, ou, à tout le moins, une légèreté inqualifiable de la part de Fouquier-Tinville.

En effet, comme nous avons déjà eu occasion de le dire, Mulot y était présenté comme prêtre réfractaire, alors que le moindre renseignement eût permis de s'assurer du contraire. Mais l'accusateur public avait accepté avec empressement la mention que le Président du Comité de Compiègne avait mise sur la pièce saisie, intitulée : Mon apologie, mention qui présentait ce document comme émanant de Mulot, alors que le reste de la correspondance démontrait qu'il était l'œuvre d'un ecclésiastique étranger à Compiègne.

D'un autre côté, Fouquier-Tinville altérait sciemment les passages qu'il reproduisait. Il suffit pour s'en convaincre, de rapprocher, comme nous l'avons fait, les originaux des pièces saisies, avec les extraits qui en sont donnés dans l'acte d'accusation ; mais rien n'arrêtait cet homme quand il s'agissait de satisfaire sa haine et sa vengeance pour tout ce qui touchait à la noblesse ou au clergé.

La lecture de cet acte d'accusation ne causa aucune émotion aux Carmélites. elles savaient ce dont étaient capables leurs ennemis et que rien ne pourrait les sauver. Leur interrogatoire fut des plus courts. Il se borna à leur faire avouer qu'elles étaient restées religieuses du fond du cœur ; le temps d'ailleurs et la façon de procéder des juges du tribunal révolutionnaire à ce moment ne permettaient pas qu'on s'étendit davantage et quand un malheureux accusé voulait entrer dans quelques explications, le président lui criait aussitôt : Tais-toi, tu n'as pas la parole !

Cependant, d'après le récit de la Sœur Marie de l'Incarnation, l'interrogatoire aurait été assez long, et chaque chef de l'accusation aurait été suivi d'une réponse de la part de la Mère-Prieure. Cette dernière, notamment, interpellée sur ce fait que les religieuses recelaient dans leur maison des armes pour les émigrés, aurait répondu, en tirant aussitôt de son sein un crucifix : Voilà, voilà, citoyen, les seules armes que nous ayons jamais eues dans notre maison et l'on ne prouvera pas que nous en ayons eu d'autres.

Cette question a-t-elle été posée ? nous ne saurions ni l'affirmer ni le nier d'une façon absolue, puisqu'aucune trace des débats résultant du témoignage d'une personne qui y ait assisté, n'est arrivée jusqu'à nous. Il est à regretter, notamment, que le seul témoin en situation de raconter exactement ce qui s'est passé, c'est-à-dire M. Sézile de Montarlet, n'ait laissé aucune notre à cet égard. Quant à la Sœur Marie de l'Incarnation, elle n'était pas, heureusement pour elle, à Paris à ce moment-là, et l'on s'aperçoit facilement qu'elle a écrit plus de 40 ans après, car elle confond le président avec l'accusateur public et attribue la présidence à Fouquier-Tinville, alors que c'est Scellier, dont elle connaissait pourtant bien le nom, qui dirigeait les débats. Et puis, il est aisé de voir que l'interrogatoire dont elle parle, n'est autre chose que l'acte d'accusation qu'elle a divisé en plusieurs fragments. D'ailleurs, nous le répétons, Scellier n'ignorait pas que le tribunal avait trente-quatre accusés à juger ce jour-là et il n'aurait certainement pas laissé la parole aussi longtemps à chacun d'eux.

Quant à Mulot de la Ménardière, il parait certain qu'il a protesté contre la qualité de prêtre réfractaire qu'on lui attribuait, déclarant qu'il était marié depuis quinze ans, et que sa femme était détenue à Chantilly ; il en appela même à Scellier, qui l'avait connu à Compiègne et qui mieux que personne pouvait déclarer ce qu'il était, mais l'impitoyable vice-président l'avait fait asseoir en lui disant : Tais-toi, tu n'as pas la parole !

Aucun témoin ne fut entendu dans l'affaire des Carmélites ; Fouquier-Tinville avait jugé inutile d'en faire citer un seul, en présence des termes mêmes du décret du 22 prairial.

Pour fêter dignement l'Etre Suprême (8 juin 1794), Robespierre fait enlever la guillotine de la place de la Révolution pour la faire dresser où s'élevait naguère la Bastille, mais, sous la chaleur torride de cette fin de printemps, l'air ensanglanté suffoque tant les riverains qu'ils obtiennent son déplacement, et, le 14 juin, la sinistre machine est installée la place du Trône renversé. Là, dans les quarante-trois derniers jours de la Terreur, on exécutera mille trois cent six personnes de toutes conditions dont la chapelle du couvent de Picpus, près des fosses où leurs dépouilles furent jetées, garde les noms inscrits sous la vénérable statue de Notre-Dame de la Paix qui avait jadis converti Ange de Joyeuse et guéri Louis XIV.

Parmi les victimes de la place du Trône renversé, les Carmélites de Compiègnes, exécutées le 17 juillet 1794, sont assurément les plus connues, non seulement parce qu'elles ont été béatifiées par Pie X, le 15 mai 1906, mais aussi parce qu'elles ont inspiré une nouvelle de Gertrud von le Fort, La dernière à l'échafaud, dont Georges Bernanos fit un scénario cinématographique et Francis Poulenc un opéra. A vrai dire, la vérité historique, n'a pas été le souci majeur de Gertrud von le Fort, et encore moins des auteurs qui se recommandèrent de sa nouvelle, puisque le personnage central de leurs œuvres, Blanche de la Force, est inventé de toutes pièces. Le Dialogue des Carmélites de Bernanos, porté à l'écran par le R.P. Bruckberger et Philippe Agostini, est cependant une œuvre admirable, comme une sorte de testament spirituel de l'auteur, où il a entrelacé, autour de sainte Agonie, de la grâce et du salut, bien des thèmes qui lui furent chers : l'enfance, l'humilité, la peur, l'honneur et la France.

A la fin du XVII° siècle, les Carmélites avaient acheté un terrain à Compiègne et construit un couvent où, dans un songe, l'une des leurs, sœur Élisabeth-Baptiste, les avait vues dans la béatitude éternelle, drapées de leur manteau blanc, tenant à la main la palme du martyre.

Lorsque la loi du 13 février 1790, les délia de leurs vœux et les autorisa leur sécularisation, les dix-huit carmélites (quinze professes et trois sœurs converses) choisirent la fidélité, restèrent dans leur couvent et, surveillées par deux officiers municipaux, procédèrent à la réélection de leur prieure, madame Lidoine (mère Thérèse de Saint-Augustin), fille spirituelle de l'illustre Madame Louise, fille de Louis XV et prieure du carmel de Saint-Denis.

Après la chute de la royauté, les carmélites, expulsées de leur couvent, se répartirent entre trois maisons où elles continuèrent à pratiquer autant que faire se pouvait la règle de leur Ordre, obéissantes à tout ce qui ne leur semblait pas contrarier à leur foi, au point de se soumettre au serment de liberté-égalité, sans pour autant se commettre avec le schisme de la Constitution civile du clergé, ce dont témoigne leur correspondance : entre nous deux, ma bonne mère, on parle trop à Compiègne, et on m'en a parlé à Senlis, quelqu'un de poids qui m'a dit que l'on manquait de circonspection, et que cela pouvait avoir des suites ; on m'a prié de l'avertir lui-même, afin qu'il recommande le silence, vertu si nécessaire. La Prieure, sentant venir la réalisation du songe de sœur Élisabeth-Baptiste, pendant l'année 1792, fit faire à sa communauté un acte de consécration par lequel la communauté s'offrirait en holocauste pour apaiser la colère de Dieu et (pour) que cette divine paix que son cher Fils était venu apporter au monde fût rendue à l'Église et à l'État.

Les Carmélites n'échappèrent pas à la vigilance du Comité de surveillance révolutionnaire de Compiègne qui diligenta une enquête : sur l'avis reçu que les ci-devant Carmélites dispersées en trois ou quatre sections de cette commune, se réunissent le soir ; que depuis l'arrestation de la fameuse Theol, se disant Mère de Dieu, il paraît plus de mouvement, s'aperçoit plus d'empressement de la part des ci-devant religieuses et de certaines dévotes de la commune ; le comité considérant que déjà il existe dans ses registres une dénonciation qui atteste que ses filles existent toujours en communauté : qu'elles vivent toujours soumises au régime fanatique de leur ci-devant cloître, qu'il peut exister entre ces ci-devant religieuses et fanatiques de Paris, une correspondance criminelles : qu'il y a lieu de soupçonner chez elles des rassemblements dirigés par le fanatisme ; arrête qu'il sera, par les membres divisés en plusieurs sections, fait une visite dans les différentes maisons par elles occupées et que chaque section se fera accompagner d'un nombre suffisant de dragons. On trouva quelques lettres compromettantes, un cantique au Sacré Cœur de Jésus plus dangereux encore, un cahier contre le serment de la Constitution civile du clergé, une de ces images de Louis XVI si répandue au début de la Révolution avec une légende louangeuse que Mulot de la Menardière avait adressée à une religieuse de ses cousines et un assez violent poème du même auteur. Le rimeur et les carmélites furent dénoncés aux comités du salut public et de sûreté générale : Vous joindrez aux intentions générales pour les besoins de l'état et de l'église celle d'obtenir aux membres qui composent les districts et les municipalités, les lumières pour connaître tout le mal qu'ils font en se prêtant à l'exécution des décrets contraires à la Religion, et la fidélité à le refuser même au péril de leur vie ou renoncer absolument à des emplois qui ne peuvent s'allier avec le christianisme. Ils appréhendèrent, avec Mulot de la Menardière, la prieure et quinze carmélites, accusées de vie commune et de fanatisme. Le 22 juin, les Carmélités étaient enfermées à la Visitation, devenue prison, où en attendant que l'on statuât leur sort, elles rétractèrent leur serment de Liberté-Égalité, préférant mille fois mourir plutôt que de rester coupables d'un tel serment. Le 12 juillet, arrivait du Comité de salut public l'ordre de leur transfert à Paris où elles arrivèrent le lendemain, sous la garde deux gendarmes et de neuf dragons qui les déposèrent à la Conciergerie.

Dans l'obscure prison, les carmélites, au témoignage de Denis Blot, élargi le 9 thermidor, continuèrent d'observer leur Règle : on les entendait toutes les nuits, à deux heures du matin, récitant leur office. Le 16, elles fêtèrent Notre-Dame du Mont-Carmel avec une telle ferveur enthousiasme que, dit un prisonnier, la veille de leur mort paraissait un grand jour de fête pour elles ; le soir, on les avisa de leur comparution devant le Tribunal révolutionnaire pour le lendemain.

Le 17 juillet 1794, à dix heures du matin, les seize carmélites de Compiègnes, défendues par Sézille Montarlet, ancien avoué au district de Noyon, entrèrent en jugement, avec dix-huit autres accusés, dont Mulot de la Ménardière, un maître de mathématiques, une femme de chambre, un courrier de la malle, un greffier de justice de paix, un perruquier alsacien, et deux frères musiciens strasbourgeois. On lut un habile réquisitoire d'une incroyable mauvaise foi où Mulot de la Ménardière était promu au sacerdoce et où les pièces citées étaient altérées ou déformées. Quant aux ex-religieuses Carmélites Sidoine, Touret, Brard, Dufour et autres, quoique séparées par leurs domiciles, elles formaient cependant des rassemblements et des conciliabules de contre-révolution entre elles et d'autres qu'elles réunissaient. En reprenant cet esprit de corps, elles conspirèrent contre la République ; une correspondance volumineuse trouvée chez elles, démontre qu'elles ne cessaient de machiner contre la Révolution ; le portrait de Capet, son testament, les cœurs, signes de ralliement de la Vendée, des puérilités fanatiques accompagnées de brevet d'un prêtre étranger ou émigré, brevet daté de 1793, prouvent qu'elles avaient des correspondances avec les ennemis extérieurs de la France : telles étaient les marques de la confédération formée entre elles ; elles vivaient sous l'obédience d'une supérieure et quant à leurs principes et à leurs vœux, leurs lettres et leurs écrits en déposent (...) Enfin, toutes les ex-religieuses, méconnaissant la souveraineté nationale et l'empire de ses lois, ont refusé de prêter le serment que la Société avait droit de leur demander en leur accordant des moyens de subsistance ; elles n'offrent qu'une réunion, un rassemblement de rebelles, de séditieuses qui nourrissent dans leur cœur le désir et l'espoir criminel de voir le peuple Français remis au fer de ses tyrans et dans l'esclavage des prêtres sanguinaires, autant qu'imposteurs, et de voir la liberté engloutie dans les flots de sang que leurs infâmes machinations ont fait répandre au nom du Ciel. Après un interrogatoire bâclé, on se garda d'appeler aucun témoin, on plaida pour la forme, puis on délibéra prestement et les accusés entendirent leur condamnation. Une heure plus tard, dans la cour de Mai, les condamnés étaient liés à la charrette et emmenés jusqu'à la place du Trône renversé.

Indifférentes à la foule, elles chantent le Miserere et le Salve Regina, puis, au pied de l'échafaud, elles entonnent le Te Deum, suivi du Veni Creator, avant de renouveler les promesses de leur baptême et leurs vœux de religion. Imitant une novice, sœur Constance, toutes les religieuses, comme si elles était encore dans le carmel, s'agenouillent devant Mère Thérèse de Saint-Augustin pour demander sa bénédiction et la permission de mourir, puis, en chantant le psaume Laudate Dominum, omnes gentes, montent à l'échafaud.