4 juillet

Sainte Elisabeth du Portugal

Sommaire :

Biographie

Anecdotes

Martyre du mariage chrétien

Un couple d'élus : Elisabeth et Denis

Litanies



Biographie

Née en 1271, probablement à Saragosse, Isabelle (ou Elisabeth) est la dernière des six enfants de Pierre III d'Aragon[1] et de Constance, petite-fille de Frédéric II. L’enfant reçoit au baptême le nom de sa grand-tante, sainte Elisabeth de Thuringe (ou de Hongrie), que le pape Grégoire IX a canonisé en 1235[2]. Lors de sa naissance, son père n'est encore qu'infant d'Espagne, constamment opposé à son père, Jacques I°[3] . La naissance d'Isabelle permet la réconciliation familiale. En effet, Pierre confie l’enfant à Jacques I° qui, pendant cinq ans (1271-1276), veille tendrement sur sa petite-fille. Devenu cistercien, l'aïeul qui n'est nullement gâteux mais lucide, surnomme sa chère Isabelle par une appellation prémonitoire : « mon bel ange de la paix. » L'existence entière de l'enfant confirmera ce diagnostic.

En 1283, l'adolescente est demandée en mariage par les princes héritiers d'Angleterre et de Naples, et aussi par le roi Denis de Portugal[4] pour qui opte la chancellerie espagnole. Après avoir magnifiquement accueilli sa jeune fiancée à Bragance, résidence de la cour, le prince paraît d'abord filer le parfait amour, d’autant plus qu’Elisabeth lui donne deux enfants : Constance[5] (3 janvier 1290) et Alphonse (8 févier 1291), prince-hériter du royaume[6].

Premier des rois-organisateurs, Denis promeut une parfaite mise en valeur de ses états : plantation de pins pour construire une flotte puissante, développement rationnel du commerce et de l'industrie. Prenant ses distances envers la Castille, il crée à Lisbonne, l'Estudo geral, embryon de l'université future. Sa nationalisation des ordres militaires de Calatrava et de Santiago conforte l'unité de son royaume. En 1312, il transforme et rénove les Templiers en Ordre du Christ.

Cependant, un surnom infâmant lui est attribué : Denis, le faiseur de bâtards ; juste reproche. De fait, souverain intelligent et éclairé, bon administrateur autant que brave soldat, bon, pondéré et juste, le roi Denis laisse échapper ses sens dans une sexualité débridée. Et pourtant, il chérit son épouse qu’il trompe régulièrement : « C'est plus fort que moi, avoue-t-il à Elisabeth, pourtant, je vous aime. » La noble offensée lui rétorque : « Certes, vous m'offensez et j'en pleure. Pourtant, c'est le divin amour que vous bafouez. Devant lui, nous sommes unis à jamais. »

Autant pour se faire pardonner que par bonté, le roi Denis permet que sa femme distribue d'opulentes aumônes que les courtisans reprochent à leur reine : « Vous en faites trop, Majesté, certains vous comparent à une bonne poire que l'on savoure à volonté. » Elle répond : « Ami, je ne puis entendre les gémissements de tant de pauvres mères et la voix des petits-enfants. Je ne puis voir les larmes des vieillards et les misères de tant de pauvres gens sans m'employer à soulager les malheurs du pays. Les biens que Dieu m'a confiés, je n'en suis que l'intendante, pour secourir toutes détresses. » Plus encore, la reine prend soin des enfants illégitimes de son époux. On s'exclame autour d'elle : « N'est-ce pas un comble ? » L'interpellée fournit ses motivation, couronnées d'excuses sublimes : « Ces bâtards du roi sont des petits innocents. Je leur procure donc bonnes nourrices et chrétienne éducation. Sans doute ai-je mal su retenir mon mari qui est pourtant si bon ! »

Atteint de jalousie morbide, le Roi est irritable, furieux à l'excès par crises subites. Fâché contre lui-même, le malheureux croit devoir séquestrer la Reine au château d'Alemquer. « Vous êtes plus mère qu'amante en me préférant votre fils. » Alors que les courtisans plaignent l'exilée, elle leur répond : « La divine providence veillera parfaitement sur mes intérêts. Je les lui abandonne. Finalement, Dieu saura faire éclater mon innocence et enlever de l'esprit du roi, mon seigneur, les mauvaises impressions que j'ai pu lui causer. » De fait, le colérique pour cause d'incontinence, s'excuse bientôt à genoux et la comble de cadeaux : « La ville de Torres-Vedras en Estrémadure, sur le fleuve côtier Sizandro, sera votre propriété. Que ce don témoigne de ma repentance pour les peines dont je vous ai abreuvée. »

Un jour d’hiver le roi Denis en colère, avise son épouse dont il croit le tablier rempli de pièces d'argent destinées aux pauvres. Il l’arrête brusquement lui ordonne : « Ouvrez votre tablier, Madame, et découvrez votre fardeau. » Au lieu de l'argent qu'il escomptait récupérer, le roi découvre des fleurs magnifiques, spécialement des roses épanouies, totalement hors-saison. Honteux et confus, il s'excuse mais demeure songeur : « Je croyais bien trouver de l'argent destiné aux gueux. J'ai trouvé une brassée de belles fleurs, largement épanouies en plein hiver. Mon épouse serait-elle une sainte ? » A cause de ce miracle des fleurs, elle sera représentée : tablier ouvert sur une jonchée de roses.

En 1315, un page, gracieux et vertueux, admire respectueusement la reine dont il est le secrétaire. Un autre page, envieux, dit au souverain : « Majesté, ne seriez-vous pas enclin à croire que ce jeune et dévoué serviteur de votre gracieuse épouse, suscite en elle plus d'attention affectueuse que ne le permet la loi divine ? » Le roi Denis qui s'estime trompeur trompé, en éprouve un si vif dépit qu’il projette de faire mourir son rival. Lors d'une promenade à cheval, le roi Denis qui passe près d'un four à chaux, dit au chef du chantier : « Attention mon ami ; affaire d'état ! Demain matin, se présentera devant vous l'un des mes pages. De ma part, il vous posera la question : Avez-vous exécuté l'ordre du roi Denis ? Assurez-vous de sa personne et jetez-le dans votre four. »

Le lendemain, le roi Denis avise le page dévoué à la reine : « Tu sais où se trouve le four à chaux proche du palais. Vas-y et, sur place, interroge les responsables : Avez-vous exécuté les ordres du roi Denis ? Ensuite, reviens vite m'apporter leur réponse. » Le page se met en route sur le champ, mais passant devant une église où la cloche, annonce l'élévation, il entre et s'attarde dans le sanctuaire. Au palais, le souverain s'impatiente ; une voix intérieure insinue : « Tes ordres ont-il été exécutés ? Il faudrait t'en assurer ! » Le roi appelle un serviteur qui est justement le calomniateur et lui ordonne : « Prends un bon cheval dans nos écuries et galope jusqu'au four à chaux qui jouxte nos domaines. Là, tu interrogeras les ouvriers par le simple mot-de-passe : Avez-vous exécuté les ordres du roi Denis ? » Dès son arrivée sur le chantier, il demande : « Avez-vous exécuté les ordres du roi Denis ? » Il est saisi et jeté au feu sans autre forme de procès.

Quand survient le pieux page, réconforté par sa longue halte priante, on lui répond : « Travail accompli. Sa majesté sera satisfaite. » Le vertueux page rentre au palais. Sidéré, le roi Denis lui dit : « Tu en as mis du temps pour exécuter cette mission de confiance. Qu'est-il arrivé ? » Le page répond : « Sire, veuillez me pardonner. » Le Roi ordonne : « Mais encore : explique-toi franchement. » Et le page de répondre : « Voilà mon excuse, Sire, veuillez l'accepter. » Le roi insiste : « Je te somme de me dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. » Le page répond : « Mieux vaut tout vous avouer, voici l'affaire. A vos ordres, je faisais diligence lorsque, passant près d'une église où l'on célébrait la messe, j'entendis la clochette de l'élévation. J'entre et attends la fin. Ensuite, j'assiste une seconde, puis à une troisième messe. En effet, mon père mourant me fis jurer sur son lit de mort : Beau fils, sois fidèle à la tradition des trois messes à la suite. Dieu te protègera ! » Enfin, le roi demande : « Ensuite, bien sûr, tu es allé au four à chaux. » Et le page répond : « Certes et rapidement. Là les ouvriers me confièrent le message qui vous rassurera : Travail accompli. Sa majesté sera satisfaite. »

Honteux d'avoir pu causer la mort d'un homme par jalousie, le roi Denis s'exclame : « le doigt de Dieu est là. » Converti, il s'applique à réparer ses erreurs passées. Quant au page, il comprend parfaitement qu'un autre est mort à sa place, à cause de son providentiel retard. Les courtisans disent au Roi : « Après tout, le calomniateur est puni. La divine justice y a pourvu. »

En 1317, le prince-héritier Alphonse, marié à l'infante de Castille, craignant d'être supplanté par les bâtards de son père, fomente une conspiration contre Denis et s'avance avec une armée. Elisabeth s'interpose : « Fils bien-aimé, renoncez à cet affrontement. Je ferai tout pour préserver vos droits. De plus, quant au fond, votre père n'est-il pas juste et bon ? » Bientôt, la réconciliation est accomplie, et Jean XXII félicite la souveraine : « Vous êtes admirable d'avoir pu réconcilier votre époux et votre fils, tellement montés l'un contre l'autre ! »

Bientôt, elle obtiendra la réconciliation de Ferdinand IV, roi de Castille avec Alphonse de Cerda, son cousin germain, qui se disputent la couronne. Elle réconciliera aussi Jacques II, roi d'Aragon, son propre frère, avec le roi de Castille, son gendre. Toujours apaisante et tutélaire, la reine de Portugal arrange les affaires et réconcilie les antagonistes. Son talent de pacificatrice est tellement connu et reconnu que le bon peuple s'y repose : « Tant que vivra Dame Elisabeth, nous vivrons en paix. » De fait, ce charisme d'apaiseuse s'exerce jusqu'au seuil de l'éternité.

En 1324, le roi Denis tombe gravement malade et son épouse s'applique à bien le préparer à la mort : « Somme toute, Majesté, les rois ne sont que les bergers de leur peuple. Ensemble, détestons nos péchés. Ils nous seront remis par la divine Bonté qui nous ouvrira les portes du ciel. » L'année suivante, à Santarem, sur la rive droite du Tage, meurt saintement le roi Denis.

La reine Elisabeth qui rappelle souvent le conseil de saint Paul[7], assiste aux funérailles solennelles de son époux et accompagne le corps jusqu'au monastère cistercien d'Odiversa, sépulture royale. Pour le salut de son mari, elle fait un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où elle offre au sanctuaire la couronne d'or qu'elle avait portée le jour de son mariage. Ensuite, elle voudrait se retirer du monde au couvent de Coïmbre[8], dont elle était la seconde fondatrice pour finir sa vie, mais elle recule par charité réaliste et, sans trêve ni relâche, secourt les pauvres et travaille à établir ou rétablir la paix. Elisabeth prend toutefois l'habit du tiers-ordre de Saint-François, et se contente d'habiter une maison proche du monastère, vivant elle-même selon la règle du tiers-ordre. Ayant obtenu du Saint-Siège le privilège d'entrer dans le cloître, elle va souvent chez les moniales pour s'entretenir avec elles[9]. Dans sa maison il y a toujours cinq religieuses du monastère avec lesquelles elle prie, récite l'office et vit en communauté. Elle le fait à pied, déjà âgée de soixante-quatre ans, un deuxième pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, demandant l'aumône en route.

Alors qu’elle vient de fonder à Lisbonne le couvent de la Trinité, le premier sanctuaire où l'on vénère l'Immaculée Conception, et qu'elle y fait ses dévotions, on lui annonce subitement : « Noble dame, nouveau malheur ! La guerre paraît imminente entre Alphonse IV, roi du Portugal, votre fils et Alphonse XI, souverain de Castille, votre neveu. » A cette nouvelle, la sexagénaire décide : « Partons immédiatement pour Extremoz : il faut rétablir la concorde. » Ce qui fut dit, fut fait. Une fois encore, succès de la fine diplomate. Cette bien-avisée meurt irradiée de joie d'avoir pu éviter le conflit. Elle résume sa dernière démarche par une exclamation qui constitue son mot-de-passe pour l'éternité : « Procedamus un pace » (avançons en paix !)

Apprenant peu après que son fils Alphonse et son petit-fils, le roi de Castille, entraient en guerre, elle se rendit à Estremoz chez son fils. A peine arrivée, elle tomba malade. Béatrice tient affectueusement la main de sa belle-mère, lorsqu'elle sent une légère pression et entend un appel : « Approchez donc un siège, mamie. » La princesse répond : « Mais il n'y a personne pour l'occuper. » La Reine réplique : « Sûrement que si, en effet, j'aperçois une belle dame radieuse, vêtue d'une robe éclatante de blancheur. Elle vient me chercher. Je la reconnais : c'est Marie, mère de tout grâce. » Ce furent ces dernières paroles (4 juillet 1336).

Le corps de la reine Elisabeth, transféré d'Estremoz à Coïmbre, est déposé au monastère des Clarisses où le peuple pieux, en foule, le vénère. En 1520, à la demande du roi Manuel I° de Portugal[10], le pape Léon X autorise le culte, dans le diocèse de Coïmbre ; trente ans après, Paul IV l’étend à tout le royaume. En 1612 on retire du tombeau de marbre le corps entier d'Elisabeth, enseveli dans un drap de soie et placé dans un coffret de bois précieux recouvert de cuir : le visage de la sainte reine est encore régulier et souriant. Alphonse, évêque de Coïmbre, édifie une splendide chapelle. On y dépose les restes de la souveraine, dans une magnifique châsse d'argent massif. Canonisée par Urbain VIII le 25 mai 1625, Elisabeth suscite grande dévotion et se trouve exaltée par de nombreux panégyristes. La fête qui avait été transférée du 4 juillet au 8 juillet, par Innocent XII (1695) fut de nouveau fixée au 4 juillet par Paul VI.



[1] Pierre III leGrand (né en 1239) fut roi d'Aragon (1276-1285) et roi de Sicile (1282-1285). Fils de Jacques I° d’Aragon, il acquit des droits sur les anciennes possessions des Hohenstaufen en Italie par son mariage avec Constance, fille de Manfred, roi de Sicile, et héritière des Hohenstaufen (1262). Il accueillit à la cour d'Aragon les chefs siciliens dressés contre la tyrannie angevine, tels Roger de Lauria et Jean de Procida, et fut l'instigateur des Vêpres siciliennes (30 mars 1282) qui renversèrent la domination française. Dès le 4 septembre 1282, il s'emparait du pouvoir à Palerme et prit en Sicile le nom de Pierre I°. Charles d'Anjou obtint du pape Martin IV l'excommunication de Pierre III, et organisa une croisade d'Aragon (1284-1285) qui, menée par Philippe III le Hardi, roi de France, se termina par la victoire de l'Aragonais. Pierre lII avait fait de l'Aragon la pre­miè­re puissance de la Méditerranée occidentale, et c'est avec lui que commença l'intrusion de l'Espagne dans les affaires ita­lien­nes. En Aragon, il se trouva aux prises avec l'opposition de la no­blesse et des villes, qui obtinrent de lui le Grand Privilège (1283). Il mourut à Villafranca del Panadès (Catalogne) le 10 novembre 1285.

[2] Sainte Elisabeth de Thuringe (ou de Hongrie) est fêtée le 17 novembre.

[3] Jacques I° le Conquérant (né à Montpellier, en 1208), fils et suc­cesseur de Pierre II, fut roi d'Aragon de 1213 à 1276. Il conquit sur les Maures les royaumes de Valence (1238) et de Murcie (1266) ; il conquit et annexa les îles Baléares (1229-1335). Au trai­té de Corbeil (1258), saint Louis renonça aux comtés de Bar­ce­lone et de Roussillon, tandis que Jacques I° re­nonçait à toute prétention au-delà des Pyrénées, excepté Montpellier. Un de ses fils, Pierre III, régna sur l'Aragon, un autre Jacques I°, régna sur Majorque. Jacques I° qui écrit la chronique de son règne, mourut à Valence le 27 juillet 1276.

[4] Denis I° est le fils et le successeur du roi Alphonse III de Portugal qui mourut à Libonne le 16 novembre 1279.

[5] Constance épousera Ferdinand IV l’Ajourné (1289-1312), roi de Castille et de Léon (1295-1312) ; elle meurt en 1313.

[6] Alphonse IV le Brave fut roi d’Aragon de 1325 à 1357.

[7] « Que tout se fasse avec bienséance et dans l'ordre » (première épître de saint Paul aux Corinthiens, XIV, 10),

[8] La reine Elisabeth avait acquis l’église et le couvent inachevés qu’une chanoinesse de Saint-Jean-des-Dames avait voulu établir sur la rive gauche du fleuve ; elle y installa une communauté de Pauvres Dames de Sainte-Claire, venue de Zamora. L’église fut consacrée en 1330.

[9] « Publicas et privatas identidem ad eas adhortationes habebat », disent les textes de la relation faite au consistoire secret d'Urbain VIII, le 13 janvier 1625.

[10] Manuel I° le Grand ou le Fortuné (né en 1469) était le fils du duc Ferdinand de Viseu qui appartenait à une branche cadette de la maison de Portugal. En 1495, le roi Jean II étant mort sans enfant légitime, Manuel lui succéda sur le trône du Portugal. Il soutint activement les grandes explorations maritimes : sous son règne que Vasco de Gama doubla le cap de Bonne-Espérance et que Cabral aborda au Brésil (1500). Il fit de sa cour un grand centre d'activité littéraire et scientifique réforma les lois, bannit les Juifs et les Maures qui s'étaient réfugiés au Portugal après la prise de Grenade. On appela « manuélin » le style qui in­troduisit de la Renais­sance dans l'architecture portugaise (châ­teau de Cintra, église du Christ à Setubal, cloître de Belem). Par sa politique de mariages Manuel espérait assurer à ses héri­tiers la couronne d’Espagne Il mourut à Lisbonne le 13 décembre 1521.



Anecdotes

A partir d'anecdotes typiques, se constitue une riche tradition pour peintres, graveurs et sculpteurs. Voici les dominantes et symbolismes de ces représentations.

- Puisque le roi Denis se montre inquisiteur, soupçonneux et jaloux voilà qu'un jour, au cœur de l'hiver, il avise son épouse dont le tablier, croit-il, est rempli de pièces d'argent destinées aux pauvres. Le limier stoppe brusquement la donatrice et lui intime l'ordre : Ouvrez votre tablier, Madame, et découvrez votre fardeau. - Prodige ! Au lieu de l'argent qu'il escomptait récupérer, le souverain découvre des fleurs magnifiques, spécialement des roses épanouies, totalement hors-saison. Honteux et confus, il s'excuse mais demeure songeur.

Ce miracle des fleurs n'est-il pas enregistré en d'autres biographies, spécialement chez l'italienne Zite ou Zita (+ 1278) et pour la française Germaine Cousin (+ 1601). Nos trois saintes seront donc représentées : tablier ouvert sur une jonchée de roses. En tout cas, à partir de sa déconditure comme enquêteur, le roi Denis exprime cet aveu : Je croyais bien toruver de l'argent destiné aux gueux. J'ai trouvé une brassée de belles fleurs, largement épanouies en plein hiver. Mon épouse serait-elle une sainte ?

- Seconde représentation typique : la reine au broc. Pour expliciter, voici l'essai. Les médecins prescrivent à la reine, à cause de ses mots d'estomac : Buvez, lors de vos deux repas principaux, un verre de bon vin, c'est prudence, au lieu de vous abreuver d'eau, par pénitence ! Le roi qui connaît l'ordonnance des mires, en vérifie l'exécution. Le broc dans lequel Elisabeth puise sa boisson serait-il rempli d'eau ? Non pas car le roi qui est un fin palais apprécie : excellent vin : rien à dire ! Toutefois, le subtil s'interroge encore : Le miracle de Cana se serait-il renouvelé, à notre table ?

-

Enfin, compte-tenu de son option ternale chez les pauvres Dames, la reine apparaît, vêtue du costume franciscain : bure grise, ceinte par une corde. D'autres accentuent l'admirable échange : la souveraine foule aux pieds la couronne terrestre, pour mieux ceindre le diadème céleste.


Titre éminent : martyre du mariage chrétien

Ange de la paix, mère des pauvres, reine charitable : Elisabeth cumule les titres. Pourtant, elle semble demeurer, pour la postérité : patronne toujours secourable, sinon pleinement imitable, des épouses fidèles bien que trompées. En 42 ans de mariage elle supporte, durant plus de 30 ans, les favorites de son mari. cet euphémisme ne désigne-t-il pas les maîtresses préférées d'un souverain ? En cet environnement, se résoudre à l'infidélité de l'époux, passe encore : élever ses bâtards : suréminente vertu! On pèsera, en ces perspectives, le placide constat du vieil hagiographe :

Non seulement la sainte femme endure sans se plaindre peines et chagrins ; plus encore, elle éduque comme siens les enfants qui ne sont pas les siens. Surtout, jamais ne se plaint des infidélités du roi.

Une décennie de bonheur conjugal après la conversion du roi Denis, récompense cette longanimité exemplaire. Aux antipodes du pharisaïsme, la reine contate : La bonté de mon époux couvre ses péchés. Que la charité efface les miens !

Somme toute, avant d'envisager le divorce - conduite d'échec -, toute épouse trompée invoquera noble Dame Elisabeth. Son existence illustre en effet par exemples vivants, deux directives évangéliques :

- Par la patience, vous sauverez les âmes (Lc XXI, 19).

- Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mt XIX, 6).

Facile à répéter, difficile à vivre !

Sainte Elisabeth, priez pour nous.



Un couple d'élus : Elisabeth et Denis

A partir de cette longue union, maintenue malgré tous obstacles accumulés et failles crusées, on pourrait tracer les linéaments théologiques du mariage chrétien. Les leçons paraissent s'inscrire en filigrane des faits : l'épouse sauve son époux et, par sa foi maintenue, le ramène à Jésus-Christ. Sur ces composantes, quelques remarques.

- La fidélité (contance dans l'attachement promis), incombe à l'homme aussi bien qu'à la femme. Le masculin ne peut se prévaloir d'aucun privilège pour justifier une tromperie. En l'occurrence, Denis se révèle donc pécheur. elisabeth, par sa fidélité héroïque, retire finalement son mari de l'abîme du mal.

- tous seraient-ils capables de ce support exceptionnel ? La séparation de corps, sans remariage avant le décès du conjoint, demeure admise et pratiquée en église. Bien sûr, toutes les épouses ne se montrent pas : aimables comme rachel, sages comme Rébecca, fidèles comme Sara. Nombre de maris se révèlent, à l'image du bon roi Denis : infidèle et jaloux. Il faut pourtant tenter la pratique du support mutuel, dans la trame du terrible quotidien.

- Denis, par son infidélité, rompt le ocntra qu'il a signé : Moi, Denis, je te prends, toi, Elisabeth, pour être ma femme, pour le meilleur et pour le pire - richesse et pauvreté, maladie et santé - jusqu'à ce que la mort nous sépare. A cet effet, je te donne ma foi. Certes, ce n'est pas l'amour qui fait le mariage ; ce n'est pas l'enfant qui fait le mariage. Ce sacrement que se confèrent les époux par l'échange des anneaux, réside dans le libre consentement. Denis le renie, par débauche longtemps pratiquée ; Elisabeth le respecte, à travers des larmes de sang.

- Dernier point, non le moindre : comment doivent s'orienter veufs ou veuves : célibat, remariage ou vie religieuse ? Tout dépend des cas et du second appel qui n'est nullement secondaire ? Dame Elisabeth devient tertiaire, membre laïque de la grande famille franciscaine. Elle le fit et fit bien. Bonne preuve : la prière d'introduction de sa messe qui résume son message spirituel :

Seigneur, source de paix, ami de la charité, tu accordes à sainte Elisabeth de Portugal une grâce merveilleuse pour réconcilier les hommes désunis. accorde-nous, par ton intercession, de travailler au service de la paix et de pouvoir être appelés fils de Dieu.



Tous fidèles, en route vers la béatitude

Mariés ou célibataires, veufs ou remariés, laïcs, religieux ou prêtres, riches ou pauvres, simples ou rois : les vocaitons et les états différent, dans la bénéfique complémentarité écclésiale et sociétaire. L'important demeure simple : savoir fleurir, d'un cœur fidèle, contant et persévérant, là même où Dieu nous sema.

La vraie et tragique histoire conjugale du bon roi Henri, longtemps infidèle et de sa noble et fidèle épouse Elisabeth, mérite attention méditative. Le premier se sauve par chasteté recouvrée ; la seconde est élue, par chasteté conservée. A nous de les suivre, sur l'une de ces deux voies : les seules qui débouchent sur l'éternité de l'amour, dans la définitive fidélité.