28 juin

Saint Irénée,
évêque de Lyon et martyr

Biographie

Au 2 juin, nous fêtions les martyrs de Lyon, immolés en 177. Les survivants, émus du trouble que suscitait le mouvement prophétique montaniste[1], né en Asie Mineure, envoyèrent des lettres aux Eglises d'Asie et de Phrygie[2], et au pape Eleuthère[3]. Ils demandèrent à Irénée d’être leur ambassadeur auprès du Pape ; Irénée était muni de cette recommandation : « Nous avons chargé de te remettre cette lettre notre frère et compagnon, Irénée, et nous te prions de lui faire bon accueil, comme à un zélateur du testament du Christ. Si nous pensions que le rang crée la justice, nous le présenterions d'abord comme prêtre d'Eglise, car il est cela. » Le nom d'Irénée dérive du mot grec qui veut dire « paix. » Irénée recevait une mission de paix. Il serait toujours agent de liaison, d'union, de paix. A son retour, le vieil évêque Pothin était mort martyr[4], et Irénée fut élu pour lui succéder.

Irénée était né en Asie Mineure, peut-être à Smyrne, vers 130-135. Dans sa jeunesse, il avait connu le saint Evêque Polycarpe[5]. Au prêtre Florinus qui était tombé dans l’hérésie gnostique, Irénée écrivit : « Je t’ai vu, quand j'étais encore enfant, dans l'Asie inférieure, auprès de Polycarpe ; tu avais une situation brillante à la cour impériale et tu cherchais à te faire bien voir de lui. Car j’ai meilleur souvenir de ces jours d'autrefois que des événenents récents. Ce que l'on a appris dès l'enfance, en effet, se développe en même temps que l'âme, en ne faisant qu'un avec elle. Si bien que je puis dire le lieu où s'asseyait pour nous entretenir le bienheureux Polycarpe, ses allées et venues, le caractère de sa vie et l'aspect de son corps, les discours qu'il tenait à la foule, et comment il racontait ses relations avec Jean, et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, et comment il rapportait leurs paroles, et ce qu'il tenait d'eux au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement, en un mot comment Polycarpe avait reçu la tradition de ceux qui avaient vu de leurs yeux le Verbe de vie, il était dans tout ce qu'il rapportait d'accord avec les Ecritures. J'écoutais cela attentivement, par la faveur que Dieu a bien voulu me faire, et je le notais non sur du papier, mais en mon cœur, et, par la grâce de Dieu, je ne cesse de le ruminer fidèlement. Je puis témoigner devant Dieu que si le bienheureux vieillard, l'homme apostolique, avait entendu quelque chose de pareil (les doctrines gnostiques), il se serait récrié, il aurait bouché ses oreilles, il aurait dit comme à son ordinaire : O bon Dieu, pour quels temps m'as-tu réservé, faut-il que je supporte de telles choses ! et il aurait fui loin du lieu où, assis ou debout, il aurait entendu de pareils discours.[6] »

L’esprit d’Irénée, formé à l'admiration « des témoins du Verbe de vie », avait donc reçu à un haut degré le culte de la tradition. On comprend que les nouveautés gnostiques aient trouvé en lui un adversaire décidé. La gnose (ce mot grec signifie science, connaissance) prétendait offrir à une élite des connaissances supérieures sur Dieu et l'univers. Le passage difficile de l'infini au fini se faisait dans ce système grâce à des émanations d'êtres intermédiaires, les éons, dont les accouplements étranges faisaient revivre les théogonies mythologiques.

Saint Irénée écrivit contre la gnose[7] « La réfutation de la fausse science » qu'on appelle aussi « Adversus hœreses » (Contre les hérésies). Il s'excusait de son mauvais style grec : « Nous vivons chez les Celtes, et dans notre action auprès d'eux, usons souvent de la langue barbare. » Mais le contact avec ces barbares, qui portaient, gravé dans leur cœur par l'esprit, le message du salut, était salutaire. Pour vaincre les novateurs, il suffisait presque de révéler leurs doctrines. L'emploi de l'ironie, à propos de tous ces enfantements d'éons, eût été facile. Mais Irénée cherchait surtout à convertir les gnostiques : « De toute notre âme, nous leur tendons la main, et nous ne nous lasserons pas de le faire. » En face des rêveries morbides de ses adversaires, comme sa théologie apparaît simple, saine et optimiste : « Le Verbe de Dieu, poussé par l'immense amour qu'il vous portait, s'est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu'il est lui-même. »

Sans négliger la théologie rationnelle, Irénée a exposé avec bonheur l'argument de la tradition : « La tradition des apôtres est manifeste dans le monde entier : il n'y a qu'à la contempler dans toute église, pour quiconque veut voir la vérité. Nous pouvons énumérer les évêques qui ont été institués par les apôtres, et leurs successeurs jusqu'à nous : ils n'ont rien enseigné, rien connu qui ressemblât à ces folies. Car si les apôtres avaient connu des mystères cachés dont ils auraient instruit les parfaits, en dehors et à l'insu du reste (des chrétiens), c'est surtout à ceux auxquels ils confiaient les Églises qu'ils les auraient communiqués. Ils exigeaient la perfection absolue, irréprochable, de ceux qui leur succédaient et auxquels ils confiaient, à leur place, la charge d'enseigner... Il serait trop long... d'énumérer les successeurs des apôtres dans toutes les Églises ; nous ne nous occuperons que de la plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ; nous montrerons que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous, par des successions régulières d'évêques... C'est avec cette Église (romaine), en raison de l'autorité de son origine, que doit être d'accord toute Eglise, c'est-à-dire tous les fidèles venus de partout ; et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition apostolique.[8] »

Irénée a écrit aussi un petit livre, « Démonstration de la prédication apostolique. » Il était perdu. On l'a découvert en 1904, dans une traduction arménienne. Dans la controverse sur la date de Pâques, Irénée penchait pour l'usage de l'Asie, qui fêtait la résurrection du Christ le dimanche, et non un autre jour. Mais il tenait aussi à sauvegarder la charité, la tolérance. Il essayait de retenir le pape Victor sur le point d'excommunier les dissidents. Il avait écrit : « Il n'y a pas de Dieu sans bonté. »

Est-il mort martyr ? Il y a dans ce sens une indication du martyrologe hiéronymien, une autre de saint Jérôme et une autre de saint Grégoire de Tours. Les anciens bollandistes (Tillemont, Ruinart) opinaient dans ce sens. Mais on ne peut rien affirmer. Saint Irénée, d'après saint Grégoire de Tours, fut enterré dans la crypte de la basilique Saint-Jean, sous l'autel. A cette basilique, succéda une église Saint-Irénée, qui a donné son nom à un quartier de Lyon (rive droite de la Saône, sud-ouest de l'ancienne cité). En 1562, les calvinistes dispersèrent les reliques du saint. Un antique calendrier de marbre, retrouvé à Naples, marque la passion d'Irénée au 27 juin.



[1] Montan, prêtre païen converti, qui se mit à prophétiser la fin du monde et à prêcher la pénitence, vers 172, aux confins de la Mysie et de la Phrygie, et envoya des missionnaires dans toute l'Asie Mineure. Il en vint à prétendre être le Paraclet lui-même, venu compléter la révélation du Christ. Montan était mort avant 179. Le Montanisme est donc un mouvement de prophétisme et d'ascétisme. Il conservait à l'origine la foi commune, les Ecritures, l'attachement à l’Eglise, mais sa prétention à incarner la seule véritable Eglise de l'Esprit, comme son prophétisme incontrôlé, amenèrent une vive réaction de l'épiscopat, qui eut pour conséquence la séparation de Montan et de ses partisans d'avec l'Eglise. La propagande montaniste s'étendit dès le deuxième siècle jusqu’en Occident ; en Afrique au troisième siècle, elle entraîna Tertullien. La secte qui survécut plusieurs siècles, n’avait pas encore entièrement disparu au neuvième siècle.

[2] « Lettre des serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères qui sont en Asie et en Phrygie, ayant la même foi et la même espérance de la rédemption. »

[3] Saint Eleuthère, grec, originaire de Nicopolis en Epire,  est le douzième successeur de saint Pierre (174-189). Selon Hégésippe, qui était à Rome pendant les années 160, il était diacre du pape Anicet. Agbard, aussi appelé Lucius, roi d'Edesse, lui écrivit pour demander à devenir chrétien, ce qu’il fit ultérieurement. En 177, lorsque le pape Eleuthère reçut la visite d'Irénée de Lyon, la Nouvelle Prophétie, qui avait débuté peu avant en Phrygie et faisait l'objet de discussions assidues. L’attitude du pape Eleuthère au sujet du montanisme est incertaine, mais il n’y vit manifestement pas un danger et ne se prononça pas sur ses prétentions prophétiques. Son règne (quinze ans et trois mois) fut paisible. Il mourut dans la dixième année de l’empereur Commode (180-192), soit en 189. Mentionné pour la première fois comme martyr dans le martyrologe d’Adon de Vienne, il est fêté le 26 mai.

[4] Le vénérable évêque de Lyon, Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, avait dû être porté jusqu'au tribunal où, interrogé par le légat sur ce qu'était le Dieu des chrétiens, il répondait : « Tu le connaîtras, si tu en es digne. » Cette réponse lui valut d'être accablé d'injures, de coups de pieds et de coups de pierres, puis il fut de nouveau jeté en prison où il rendit l'âme quarante-huit heures plus tard.

[5] Saint Polycarpe appartient au groupe des Pères apostoliques qui sont disciples immédiats des apôtres. Il naquit sous Vespasien (vers 70), et fut converti au christianisme dès l’enfance. Attaché à l'Eglise de Smyrne, il fut un disciple de saint Jean. Son biographe, Pionius, dit qu’originaire du Levant, il fut amené à Smyrne par des marchands qui le vendirent à la noble Callisto. Cette généreuse chrétienne l'éleva dans la crainte du Seigneur, lui confia le soin de sa maison. Héritier des biens de Callisto, Polycarpe n'en aurait usé que pour se perfectionner dans la connaissance des Ecritures, s'avancer dans la pratique de la piété, et aurait reçu le diaconat des mains de l'évêque de Smyrne, Bucolus, qui l'attacha à son Eglise. Cependant, des autorités, comme celle de saint Irénée nous apprennent que Polycarpe suivit les leçons de Jean, l'apôtre bien-aimé de Jésus. Ce fut par les apôtres eux-mêmes que Polycarpe fut établi évêque de Smyrne. L'épiscopat de Polycarpe fut assez tranquille sous le règne de Trajan, alors que la persécution agitait l'église dans les autres provinces de l'empire. L'évêque de Smyrne alla à Rome et y séjourna ; il devait entretenir le Pape de divers sujets, défense des vérités de la foi, union et paix des fidèles, observances de discipline. L'accord n'existait pas entre Rome et les Eglises d'Asie pour la célébration de la Pâque. Anicet et Polycarpe estimèrent que le plus sage, sur ce dernier point, était de laisser jusqu'à nouvel ordre l'Orient et l'Occident suivre leur coutume respective. Le séjour de Polycarpe à Rome fut encore utile à beaucoup de personnes qui s'étaient laissé infecter du venin de l'hérésie ; l'évêque rendit un public témoignage à la vérité orthodoxe, fit rentrer dans le sein de l'Eglise des âmes séduites par les erreurs de Valentin et de Marcion. Rentré dans son Eglise de Smyrne, Polycarpe n'y jouit pas longtemps du calme et de la tranquillité. alors s'éleva une grande persécution contre les chrétiens où Polycarpe fut martyrisé (22 février 155).

[6] Eusèbe de Césarée : Histoire ecclésiastique, V 20.

[7] La gnose (d'un mot grec signifiant connaissance) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s'opposa à la gnose pour les raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l'Ancien Testament ; elle évacuait l'attente chrétienne de l'accomplissement eschatologique..

[8] Saint Irénée : Adversus hœreses, III, III, 1-2.