Mercredi des cendres

Evangile

Suite du saint Evangile de notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Matthieu (VI, 1-12).

Comme les disciples s'étaient rassemblés sur la montagne[1], autour de Jésus, prenant la parole[2], il leur disait : « Si vous voulez vivre comme des justes [3], évitez d'agir en présence des hommes [4] pour vous faire remarquer [5]. Autrement, il n'y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux[6].

Ainsi, quand tu fais l'aumòne, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour se faire valoir devant les hommes[7] . Vraiment, je le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu fais l'aumòne, que ta main gauche[8] ignore ce que donne ta main droite[9] , afin que ton aumòne reste invisible  ton Père voit ce qui est invisible[10]  : il te le revaudra[11].

Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle : quand ils font leurs prières, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et les carrefours pour se montrer aux hommes. Vraiment, je le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre[12], ferme la porte, et prie ton Père qui est là, invisible[13]  ton Père voit ce qui est invisible : il te le revaudra[14].

Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu[15], comme ceux qui se donnent en spectacle : ils se composent une mine défaite pour bien faire connaître aux hommes qu'ils jeûnent. Vraiment, je vous le déclare : ils ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage[16]  ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est là, invisible  ton Père voit ce qui est invisible[17] : il te le revaudra. »

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Textes liturgiques © ALEF, Paris


[1] Lorsqu'il y a une grandé foule, il s'assied à l'écart, et non pas dans une ville ou en pleine place publique, mais dans la montagne et la solitude : il enseigne ainsi à ne rien faire pour la galerie, a nous dégager du bruit, surtout lorsqu'il faut méditer la parole de Dieu et parler de l'unique nécessaire. Quand Jésus eut gravi la montagne et se fut assis, ses disciples s'approchèrent. As-tu remarqué leurs progrès dans la vertu et la rapidité de leur amélioration ? La plupart voyaient les miracles, eux, ils désiraient entendre une grande et sublime doctrine  c'est même cela qui a déterminé le Christ à les instruire et à commencer ce discours (saint Jean Chrysostome : homélie XV sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[2] Pourquoi cette expression : « Prenant la parole » ? Pour t'apprendre qu'il enseignait par le silence aussi bien que par la parole, tantòt en parlant et tantòt en laissant parler ses actes. D'autre part, quand tu entends : « Il les instruisait » tu dois comprendre qu'il ne s'adressait pas seulement à ses disciples, mais, par leur intermédiaire, à tous (saint Jean Chrysostome : homélie XV sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[3]juste évoque la droiture morale, l'attachement sincère à la pratique de la loi, l'affectivité religieuse totalement tournée vers Dieu.

[4] Tant que nous cherchons la gloire de Dieu, nous gardons devant lui toutes nos œuvres, même quand elles sont connues des hommes  si, au contraire, nous cherchons notre gloire, nous étalons nos œuvres autour de nous, elles ne sont plus présentées à Dieu, même si elles sont ignorées des hommes. Mais il faut une grande perfection pour demeurer, dans cette publicité donnée à nos œuvres, uniquement préoccupés de la gloire de Dieu et ne point nous laisser enivrer par la louange  et c'est parce que les faibles se défendent difficilement de cette ivresse qu'il leur est bon de cacher le bien qu'ils font (saint Grégoire le Grand : «  Moralia in Job », VIII 48).

[5] Ne pas bien vivre est mauvais  bien vire et ne pas vouloir que cette bonne vie soit louée, c'est se faire l'ennemi de la soiciété humaine (…) Si ceux avec lesquels vous vivez ne vous louent pas quand vous faites bien, il sont dans l'erreur : s'ils vous louent, c'est vous qui êtes en danger, à moins que vous n'ayez un cœur si simple et si pur, que tout ce que vous faites de bien vous ne le fassiez pas pour être loué des hommes et que vous soyez content qu'on loue le bien plutòt que vous-mêmes  que vous vous réjouissiez de cette louange, parce qu'elle est utile à ceux qui la font, leur louange remontant jusqu'à Dieu  de cette sorte s'accomplira ce que disait le prophète : Mon âme sera louée en Dieu : que tous ceux qui ont le cœur doux écoutent et soient dans l'allégresse (saint Augustin : commentaire du sermon du Seigneur sur la Montagne, II 1).

[6] Il élève de nouveau nos âmes en nous rappelant le Père du Ciel, afin que le souvenir de celui à qui nous devons la vie se joigne à la pensée du dommage pour nous faire marcher dans le bon chemin. Ce serait perdre toute récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux (saint Jean Chrysostome : homélie XV sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[7] C'est une grande dureté de cœur, quand un homme a faim, au lieu de voir la misère à secourir, de chercher sa propre gloire. La véritable aumòne ne consiste pas à donner, mais à donner comme il faut, à donner pour secourir la misère (saint Jean Chrysostome : homélie XIX sur l'évangile selon saint Matthieu, 1).

[8] C'est qu'en nous les vertus sont à droite, alors que les vices sont à gauche. Si donc c'est une œuvre de sa droite que fait le donateur silencieux, ce que fait le donateur bavard, son hypocrisie, est une œuvre de sa gauche. L'hyprocrisie, le piège, le faux-semblant, la tromperie, le mensonge, l'élèvement, lenflure, la jactance sont à nos trousses et nous menacent du còté gauche. Autant de fois que la bienveillance, l'amour, la compassion est notre affaire, que notre main gauche n'en ait pas connaissance. La main gauche nous annonce toujours des combats spirituels  elle s'applique à ce que nos vertus ne soient pas suivies d'effets. Pour qu'il n'y ait pas d'amour, l'indifférence entre en jeu. Pour que l'aumòne n'ait pas la victoire, I'avidité la combat. L'avarice se déchaîne de crainte que la miséricorde ne se fortife. Pour que ne prédominent pas l'innocence, la pureté, la simplicité, la sainteté, à elle seule l'hypocrisie mène le combat  c'est elle seule que le Christ bannit dans sa proclamation : «t; Pour toi, quand tu fais l'aumòne, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Mes frères, fuyons en ce monde les choses qui sont à gauche, si plus tard nous désirons avoir notre place à droite (saint Pierre Chrysologue : sermon IX).

[9] Peut-être cette main droite, la main qui agit, représente l'intention sincère d'accomplir les préceptes de Dieu. La main gauche, cette main dont l'aide n'est pas nécessaire, représente, quand elle intervient, le désir de la louange (saint Augustin : commentaire du sermon du Seigneur sur la Montagne, II 2).

[10] Vous désirez des témoins à vos œuvres ? Quel témoin il vous donne ! Ce ne sont plus les hommes, pas même les anges, c'est le Maître de toutes choses. Et quel théâtre il vous assigne ! C'est le théâtre de la conscience où Dieu se rencontre avec vous, venant vous donner largement ce que vous pouvez désirer. Quelle folie ce serait de délaisser l'approbation de ce souverain Maître qui peut donner toute récompense et tout châtiment, pour chercher l'approbation des hommes ! (…) Aimez donc à demeurer inconnu des hommes pour être connu de Dieu (saint Jean Chrysostome : homélie XIX sur l'évangile selon saint Matthieu, 2).

[11] Puisque vous connaissez les devoirs qui nous reviennent, ramenez l'attention de votre âme sur les vòtres. Tous vos devoirs mutuels, accomplissez-les gratuitement. La récompense de vos œuvres, ne la recherchez pas en un monde qui, comme vous le voyez, a déjà décliné avec tant de rapidité. De même que vous désirez cacher vos mauvaises actions pour que les autres ne les voient pas, prenez garde de ne pas manifester vos bonnes actions dans le but d'en être loués par les hommes. Ne faites le mal d'aucune manière, et ne faites pas le bien en vue d'une récompense terrestre. Cherchez à avoir pour témoin de vos actions celui-là même que vous attendez comme juge. Donnez-lui de voir que vos bonnes actions sont maintenant secrètes, pour qu'à l'heure de la récompense, il les fasse connaître de tous. De même que vous accordez rous les jours de la nourriture à votre corps, afin qu'il ne défaille pas, que les bonnes œuvres soient l'aliment quotidien de votre âme. C'est par la nourriture que le corps se refait, c'est par l'œuvre de charité que l'âme doit s'entretenir. Ce que vous accordez à votre corps voué à mourir, ne le refusez pas à votre âme destinée à vivre pour l'éternité. Supposons que le feu dévore soudain une maison: n'importe quel propriétaire saisit alors ce qu'il peut et s'enfuit; il regarde comme un gain d'avoir pu arracher quoi que ce soit aux flammes avec lui. Voici que le feu des tribulations anéantit le monde, et que sa fin toute proche brûle comme une flamme tout ce qui en faisait l'ornement. Estimez donc, frères très chers, que c'est un gain considérable que vous réalisez si vous en arrachez quelque chose avec vous, si vous en emportez quoi que ce soit dans votre fuite, si ce que vous pouviez perdre en le gardant pour vous, vous le conservez pour votre récompense éternelle en le donnant (saint Grégoire le Grand : homélie IV sur les évangiles, 5).

[12] C'est-à-dire dans votre cœur. Bienheureux ceux qui, rentrant dans leur cœur, en éprouvent une impression de joie parce qu'ils n'y trouvent aucun signe de désordre. Que votre sainteté y fasse attention : de même que ceux qui ont des femmes méchantes n'aiment pas rentrer chez eux, qu'ils cherchent toutes les occasions de sortir, et, quand il faut rentrer, ne peuvent se défendre d'un sentiment de tristesse devant les ennuis, les murmures, les reproches, le désordre en un mot qu'ils doivent retrouver, car il n'y a point de maison ordonnée là où la paix n'existe pas entre l'homme et la femme, et la vie au-dehors est meilleure  de même ceux-là sont malheureux et plus malheureux qui ne veulent point revenir à leur conscience pour ne pas y être troublés par les querelles de leurs péchés. Donc pour que vous puissiez revenir volontiers à votre cœur, purifiez-le, enlevez-en les ordures des passions, la lèpre de l'avarice, les souillures des superstitions, les sacrilèges et les mauvaises pensées, la haine je ne dis pas contre vos amis, mais contre vos ennemis : éloignez tout cela et ensuite entrez dans votre cœur, et vous y trouverez la joie (saint Augustin : «  Enerrationes in Psalmos », Psaume XXXIII, 8).

[13] La foi aime, pour y prier, les lieux solitaires, afin de rendre hommage au Dieu caché, présent partout, et de reconnaître qu'il pénètre toutes choses de la plénitude de sa majesté (saint Cyprien : commentaire de la prière du Seigneur, exorde).

[14] Quoi donc, ne faut-il pas prier dans l'Assemblée ? Si, mais avec les mêmes intentions. Partout Dieu considère le but que nous nous proposons. Si, lorsque tu entres dans ta chambre et que tu en fermes la porte, tu agis ainsi pour te faire voir, la porte fermée t'est complètement inutile. Remarque aussi comme il l'a expliqué avec précision : Afin qu'on les voie, dit-il. Même si l'on ferme sa porte, ce qu'il veut avant tout, c'est une intention droite : il faut fermer la porte du cœur. On doit chasser partout la vaine gloire, mais surtout dans la prière... Ce n'est donc pas à la tenue du corps ni au volume de la voix, c'est aux dispositions de notre âme qu'il nous faut veiller dans la prière... Si tu pries dans de telles dispositions, tu recevras une belle récompense : Ton Père, qui voit dans le secret, te le revaudra. Il n'a pas dit : te donnera mais : te revaudra. Dieu s'est constitué ton débiteur, et en cela il t'a fait encore un grand honneur. Puisqu'il est lui-même invisible, il veut que telle soit ta prière (saint Jean Chrysostome : homélie XIX sur l'évangile selon saint Matthieu, 2).

[15] Entrons dans notre jeûne joyeusement comme il convient à des chrétiens. Personne n'est abattu quand il est couronné, triste un jour de triomphe. Au moins c'est pour vous un jour de guérison, de guérison pour votre âme  si vous étiez triste en un pareil jour, ce serait la preuve que vous êtes plus soucieux des joies de l'estomac que du salut de votre âme. Soyez joyeux car le péché est tué, chassé de votre âme (…) Le jeûne nous ramène à l'état primitif où l'homme était semblable aux anges (…) C'est par le jeûne que Moïse se prépara à gravir la montagne du Sinaï, toute enveloppée par la fumée, à entrer dans la nuée, et à recevoir de Dieu les tables écrites de sa main (…) C'est le jeûne qui prépara à leur mission les prophètes et les libérateurs d'Israël. C'est le jeûne qui repousse les tentations, qui prépare à la piété, qui est le père de la chasteté. Il enseigne le courage dans les combats, le repos pour le moment de la paix. C'est le jeûne qui prépara Elie à voir Dieu dans la caverne de l'Horeb, c'est le jeûne qui le prépara aux prodiges qu'il accomplit. C'est le jeûne qui prépara les trois enfants à supporter les flammes de la fournaise, et les rendit semblables à l'or qui devient plus pur et plus brillant au milieu du feu (saint Basile : « Du jeûne », homélie I, 1, 3, 5 & 6).

[16] Il est évident que ces prescriptions du Sauveur se rapportent à l'homme intérieur. Mais que faut-il entendre par cette tête que l'on doit parfurmer ? La tête est en nous ce qu'il y a de plus élevé et ce qui doit conduire tout le reste, c'est la raison. Oindre sa tête c'est mettre en soi une joie qui ne vient pas du dehors, de la louange des hommes, mais du dedans, de la bonté intrinsèque de l'acte qu'on accomplit. Laver son visage c'est purifier son cœur de toute considération qui pourrait nous empêcher de regarder uniquement Dieu, et pourrait offenser le regard de Dieu  vous avez purifié votre visage qui est appelé à contempler Dieu  vous avez realisé le commandement exprimé par le Prophète : « Lavez-vous, soyez purs, enlevez toute iniquité de vos âmes et de devant mes yeux » (Isaïe, I 16). En regardant dieu, nous commençons notre transformation en lui (saint Augustin : commentaire du sermon du Seigneur sur la Montagne, II 42).

[17] Il faut prendre garde ici à une ceraine nonchalance qui fait négliger les actions du dehors qui édifient le prochain. On dit : Qu'importe ce qu'il pense ? Comme on dirait : Que m'importe de le scandaliser ? A Dieu ne plaise ! Dans les actions du dehors, édifiez le prochain, et que tout soit réglé en vous jusqu'à un clin d'œil  mais que tout cela se fasse naturellement et simplement , et que la gloire en retourne à Dieu ! Gardez-vous bien aussi de vous contenter de vous régler à l'extérieur : il faut à Dieu son spectacle, c'est-à-dire dans le secret du cœur qui le cherche (J.-B. Bossuet : «  Méditation sur l'Evangile », vingtième jour).