7 septembre Saint Cloud Histoire des Francs de saint Grégoire de Tours (Livre III, VI) Or tandis que Godomar1 tournait le dos avec son armée et que Clodomir2, qui le poursuivait, s'était écarté des siens une grande distance, les adversaires, contrefaisant son signe (de ralliement) lui crient : « Tourne-toi par ici, par ici ! disent-ils, car nous sommes tes hommes. » Mais lui, leur ajoutant foi, partit et se jeta au milieu des ennemis. Sa tête fut coupée et on l'éleva en l'air, fixée à une lance. Ce que voyant, les Francs, qui reconnaissaient Clodomir tué, mettent en fuite Godomar après s'être ressaisis, écrasent les Burgondes et soumettent le pays à leur domination3. Sans plus tarder Clotaire épousa la femme de son frère nommée Gontheuque. Quant à ses fils, la reine Clotilde, sitôt que les jours de deuil furent passés, les accueillit et les garda. L'un s'appelait Théobald, le second Gonthier, le troisième Cloud. De nouveau Godomar récupéra son royaume. (Livre III, XVIII) Tandis que le reine Clotilde demeurait à Paris, Childebert4, voyant que sa mère aimait d'une affection exclusive les fils de Clodomir, que nous avons cités ci-dessus, en éprouva de la jalousie et craignant qu'avec la faveur de la Reine ils ne trouvassent accès au trône envoya secrètement vers son frère le roi Clotaire5 pour lui dire : « Notre mère garde avec elle les fils de notre frère et veut qu'ils soient dotés du royaume ; tu dois venir à Paris et après avoir délibéré ensemble, il faudra décider ce qu'on doit faire d'eux : auront-ils la chevelure coupée comme le reste du peuple ou bien après qu'ils auront été tués le royaume de notre frère sera-t-il partagé également entre nous deux ? » Vivement réjoui par ces paroles, Clotaire vint à Paris. Childebert avait fait courir dans la population le bruit que les rois se réunissaient pour élever ces petits enfants sur le trône. Lorsqu'ils furent réunis, ils envoyèrent dire à la Reine qui demeurait alors dans la dite ville : « Envoie-nous les enfants pour qu'on les élève sur le trône. » Elle en fut joyeuse, car elle ignorait leur fourberie ; ayant donc donné aux enfants de la nourriture et de la boisson, elle les envoya en disant : « Je ne croirai plus que j'ai perdu mon fils si je vous vois lui succéder dans son royaume. » A peine étaient-ils partis qu'ils furent appréhendés et séparés de leurs domestiques et de leurs nourriciers ; on séquestra les uns et les autres, en mettant d'un côté les esclaves, de l'autre les petits enfants. C'est alors que Childebert et Clotaire envoyèrent à la Reine Arcadius (...) avec des ciseaux et une épée tirée du fourreau. Dès son arrivée, il montra à la Reine les deux objets en disant : « C'est à ta volonté, O très glorieuse reine, que tes fils nos seigneurs font appel. Que juges-tu qu'il faut faire des enfants ? Donnes-tu l'ordre de les laisser vivre avec les cheveux coupés ou de les étrangler tous les deux. » Mais elle, terrifiée de la nouvelle et outrée de rancœur surtout lorsqu'elle vit l'épée hors du fourreau et les ciseaux, se laissa gagner par l'amertume et, ne sachant plus dans sa douleur ce qu'elle disait, répondit simplement : « Je préfère s'il ne doivent pas monter sur le trône, les voir morts que tondus. » Mais lui sans faire attention à sa douleur ni se demander ce que dans la suite elle déciderait à la réflexion, s'en revint rapidement annoncer et dire : « La Reine étant consentante, poursuivez l'œuvre commencée, car elle-même veut que votre projet soit exécuté. » Aussitôt Clotaire ayant saisi l'aîné des enfants par le bras, le tua cruellement en lui plantant un couteau dans l'aisselle. A ses cris son frère se prosterne aux pieds de Childebert et lui saisissant les genoux s'écrie avec des larmes : « Au secours, père très pieux, que je ne périsse pas comme mon frère. » Alors Childebert, le visage baigné de larmes, déclara : « Je t'en prie, frère très doux, accorde-moi dans ta générosité la vie de celui-ci et je te donnerai ce que tu exigeras pour son salut à condition qu'il ne soit pas tué. » Mais l'autre l'ayant accablé d'injures, s'écria : « Rejette-le loin de toi ou c'est toi à coup sûr qui mourras à sa place. C'est toi, ajouta-t-il, qui as eu l'initiative de cette chose, et maintenant tu te dédis aussi rapidement de ton engagement. » En entendant ces mots, celui-là repoussant l'enfant le projeta sur celui-ci. Ce dernier l'attrapant et lui ayant planté un couteau dans le côté comme il avait fait auparavant pour le frère l'étrangla ; ensuite ils assassinèrent les esclaves ainsi que les nourriciers. Après ces meurtres Clotaire, montant à cheval, s'en alla sans se soucier du meurtre de ses neveux ; mais Childebert se rendit dans le faubourg. Quant à la Reine, après avoir déposés les deux petits corps dans un cercueil, elle les suivit accompagnée d'un grand chœur de chantres et avec une immense tristesse jusqu'à la basilique de Saint-Pierre6 où elles les ensevelit tous deux ensemble. L'un avait dix ans et l'autre sept ans. Quand au troisième, Cloud, on ne put le saisir parce qu'il s'échappa avec le secours d'hommes courageux. Dédaignant le royaume terrestre, il se donna à Dieu et coupant de sa propre main ses cheveux, il devint clerc et, persistant dans les bonnes œuvres, il était prêtre quand il quitta ce monde. Le prince Cloud reçut le sacerdoce des mains d'Eusèbe, évêque de Paris, vers 551. L'habit monastique lui fut donné par saint Séverin, pieux solitaire du Petit-Pont, dans les environs de Paris ; après avoir vécu quelques temps dans une retraite provençale, il vint près de Paris, dans le bourg de Nogent qui, après sa mort prit le nom de Saint-Cloud7 ; il y fonda une église sous le vocable de Saint-Martin où il vécut jusqu'à sa mort, vers 560, et où il fut inhumé8. Les reliques de saint Cloud, gardées à Paris pendant les invasions normandes et plus tard rendues à la collégiale9 (809), furent détruites par les révolutionnaires, à l'exception d'un os du bras qui fut sauvé par une pieuse femme, d'une vertèbre et d'un morceau du suaire recueilli par un des porteurs de la châsse ; ces précieuses reliques ont été solennellement rendues à l'église paroissiale le 12 juin 1848. 1 Godomar : roi des Burgondes, frère de Sigismond. 2 Clodomir : fils de Clovis et de sainte Clotilde, né vers 495 et baptisé dès sa naissance. A la mort de Clovis (511) il partagea le royaume avec ses deux frères (Childebert et Clotaire) et eut pour sa part la vallée de la Loire d'Orléans à Tours, Bourges, Poitiers, Chartres, Sens et Auxerre. 3 Il s'agit de la bataille de Vézeronce (canton de Morestel, dans l'Isère) que la Chronique de Marius d'Avenches situe en 524. 4 Childebert : fils de Clovis et de sainte Clotilde. A la mort de Clovis, il eut Paris, les pays jusqu'à la Somme, les côtes de la Manche jusqu'à la Bretagne, Nantes et Angers. 5 Clotaire : fils de Clovis et de sainte Clotilde. A la mort de Clovis, il eut Soissons, Noyon, Laon, Arras et le vieux pays franc avec Tournai, Cambrai, Térouanne et Tongres. 6 Il s'agit de la basilique fondée par Clovis et où il a été enseveli, qui, depuis, est devenue l'abbatiale Sainte-Geneviève. 7 La terre de Saint-Cloud, propriété de l'Eglise de Paris, fut érigée par Louis XIV en duché-pairie en faveur de l'archevêque de Paris. 8 L'église Saint-Martin, dans laquelle saint Cloud avait été inhumé, prit au VIII° siècle le nom de Saint-Cloud qui désigna aussi le bourg de Nogent. L'église, devenue collégiale vers 811, endommagée par les Normands fut reconstruite au XII° siècle et détruite par les révolutionnaires ; l'actuelle église paroissiale de Saint-Cloud, commencée par Marie-Antoinette (1788), fut achevée sous Napoléon III. 9 Le corps de saint Cloud était enseveli dans la crypte de l’église et recouvert d’une large plaque de marbre noir bleuâtre où l’on pouvait lire « Le corps vénérable de saint Cloud, issu de la noble race des rois, consacre ce tombeau. Il n’eut pas le sceptre d’un royaume périssable, mais il éleva cette basilique au Seigneur et en donna la juridiction à l’église-mère et au pontife de la ville de Paris. »
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