21 juillet

Saint Laurent de Brindisi

On donnerait volontiers de Laurent de Brindisi une image équestre, symbole de son grand rôle politique et militaire, mais ce serait le trahir, car, bien que les papes l'eussent engagé à user d'un cheval pour ménager ses forces, il ne voulut aller qu’à pied : meneur d'hommes mais pauvre piéton, chef magnifique mais fantassin poussiéreux. On ne le vit en selle qu'une fois, entraînant les charges contre les Turcs, un jour décisif de 1601. De sa vie riche et mouvementée, on aurait pu faire un opéra éclatant de trompettes et superbe de contrastes, de sa cellule austère aux palais princiers, de ses prédications tonitruantes aux mêlées tourbillonnantes, sur fond de décharges d'artillerie.

Fils de Guillaume de Rossi et d’Elisabeth de Masella, Laurent naquit à Brindisi, le 22 juillet 1559, trois semaines avant que ne mourût le vieux pape Paul IV, implacable champion de la réforme catholique ; la populace, joyeuse d'être débarrassée d'une telle poigne, jeta bas la statue du pontife dont la tête échoua au musée du château Saint-Ange. L’enfant aura le zèle du pape défunt, mais avec plus de charité et de souplesse. Laurent était de la noble famille des Rossi, dont le patronyme signifie rouge, couleur symbole de charité. On le baptisa Jules-César. Le ciel, dans sa bénévolence, écrit Guillaume Rossi à son frère, prêtre à Venise, vient de nous donner un fils, mais quel fils! Sa physionomie est tellement admirable qu’il est impossible de ne pas le considérer comme un enfant de bénédiction. N’imagine pas, mon cher Pierre, que c’est la tendresse paternelle qui me plonge dans l’illusion. Pas du tout ! Tous ceux qui voient un si beau bébé se demandent s’il n’est pas lavantage un ange qu’un homme.

On dit que César prêcha à l'âge de six ans dans la cathédrale de Brindisi et que l'auditoire fut transporté d'admiration ; ce fut une de ces petites récitations enfantines devant la crèche comme il s’en dit pour Noël à l'Ara Cæli de Rome. Jusqu'à quatorze ans, il étudia chez les Franciscains de Brindisi. A dix ans, il perdit son père et supplia en vain que sa mère le laissât entrer chez les Capucins : Laisse-moi entrer chez les capucins, Dieu m’y appelle. Cinq ans plus tard, il perdit sa mère et, tandis que les Turcs menaçaient Brindisi, il s’en fut se réfugier à Venise, près de son oncle Pierre qui veilla tendrement à sur lui et lui permit, l’année suivante, d’entrer chez les Capucins de Vérone (17 février 1575) où, après une brêve maladie, au jour de sa profession, il prit le nom de frère Laurent (24 mars 1576). Entraîné à la pénitence (chaînes de fer, trois jours de jeûne par semaine avec seulement du pain et de la verdure, une méditation assidue des souffrances du Christ), il fut un novice modeste, grave et aimable.

Ses supérieurs, ayant constaté sa prodigieuse mémoire et son goût pour l’étude, l'envoyèrent étudier à l’université de Padoue. Il apprenait des langues à ses moments de loisir et acquit la parfaite maîtrise de l’italien, du latin, du grec, du français, de l’allemand, du syriaque et de l’hébreu. On le fit prêcher avant même le sacerdoce. Il tenait que la Bible était la grande source du prédicateur, et il la pratiquait si bien qu'il pouvait en discuter le texte hébreu avec des hérétiques ou des Juifs ; la morale et le dogme de l'Écriture passaient en traits de feu dans ses prédications pour enflammer les âmes. C'est ainsi qu'il prêcha deux carêmes à Venise, capitale du carnaval qui avait bien des poissons d'eau trouble pour le pêcheur apostolique. Le bien qu'il y fit ne saurait se dire. Une courtisane, venue au sermon dans sa superbe et sa morbidesse pour y faire des conquêtes, fut conquise au Christ.

Une fois prêtre (18 décembre 1582), il fut d’abord lecteur en théologie et en Ecriture sainte à Venise (1583-1586), puis supérieur et maître des novices à Bassano del Grappa (1586-1588) ; il fut plusieurs fois ministre provincial[1] ; il fut élu définiteur général[2] et, enfin, ministre général[3].

Clément VIII le fit prêcher aux Juifs de Rome pendant trois ans : il obtint de bons résultats grâce à sa connaissance de l'hébreu. Puis ce furent des missions, comme commissaire général, en Autriche et en Bohême où il fonda les couvents de Prague, de Vienne et de Gratz. Les Capucins travaillèrent à convertir les âmes dans l'Europe centrale ravagée par le protestantisme. Laurent se dévoua à cette tâche, en liaison avec les Jésuites.

Mais il fallait un animateur spirituel à la lutte contre les Turcs qui harcelaient les forces de l'Empire. Clément VIII envoya Laurent à l'empereur Rodolphe II : Ce capucin, animateur spirituel, écrit le Pape à l’Empereur, vaut une armée entière. En effet, aumônier des troupes impériales, Laurent fut le bras droit du prince Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, qui remporta une victoire éclatante sur l'Islam près d'Albe royale (Szekes-Fejervar) en Hongrie (octobre 1601), bien que les chrétiens s’y battissent à un contre cinq. Au plus fort de la bataille, Laurent, un moment cerné par l’ennemi, est dégagé par ses compagnons de lutte : Votre place n’est pas ici, lui crient-ils ; Vous vous trompez, leur répond-il, c’est bien ici que, de par Dieu, je dois être. En avant ! La victoire est à nous !

Écoutez saint François de Sales dans son oraison funèbre du duc de Mercœur, prêchée à Notre-Dame de Paris, le 27 avril 1602 : Il avait toujours en son armée des Pères capucins lesquels, portant une grande croix, non seulement animaient les soldats, mais aussi, après la confession générale que tous catholiques faisaient en signe de contrition, leur donnaient la sainte bénédiction. Mais surtout c'était une belle chose de voir ce général exhorter ses capitaines à la constance, leur remontrer que s'ils mouraient ce serait avec le mérite du martyre, et parler à chacun en sa propre langue, français allemand, italien.

S'il excellait dans les missions militaires, il s'employa aussi, avec des succès divers, à des négociations diplomatiques, parfois très délicates. En 1606, le Pape Paul V, à la demande de l'Empereur, lui ordonna : Passez en Allemagne, pour y travailler aux affaires politico-religieuses de l’Empire ; ainsi, Laurent, conseiller ordinaire du duc de Bavière, Maxililien I°, joua un rôle capital dans la création et l’animation de la Ligue catholique contre l’Union évangélique protestante et obtint pour elle la participation financière de la cour de Madrid. En 1612, il règla les questions litigieuses entre les Habsbourg et les princes électeurs catholiques. Paul V l'utilisa de même en Allemagne, en Bavière et en Italie. Le roi catholique était en guerre avec le duc de Savoie, l'Espagne griffait l'Italie, lutte fratricide ! Laurent vint trouver le duc de Savoie et l'achemina vers la paix désirable. Dès 1587, ses qualités lui avaient valu un poste envié dans l'administration de son ordre qu’il dirigea de 1602 à 1605.

Cependant, au milieu des ovations, comme parmi les outrages et les menaces de mort qui n'étaient point rares en pays hérétiques, il demeurait simple et affable. Il repoussait les honneurs, et la fine cuisine, couchait sur la dure et se levait la nuit pour psalmodier. Son oraison allait jusqu'à l'extase. Il eut la joie de fonder plusieurs couvents capucins en Allemagne, en Autriche, en Moravie et au Tyrol. En 1618, les Napolitains, soumis aux exactions du vice-roi, le dux d’Ossuna, chargèrent Laurent de leur défense près du roi d’Espagne et le dépêchèrent auprès de Philippe III qui tenait sa cour à Lisbonne où il mourut le 22 juillet 1619. Son corps fut enseveli au monastère des Clarisses de Villafranca del Bierzo.

Laurent de Brindisi fut béatifié le 1° juin 1783 et canonisé le 8 décembre 1881. Le 19 mars 1959, dans le bref apostolique Celsitudo ex humiliate, Jean XXIII proclama saint Laurent de Brindisi docteur de l’Eglise universelle.



[1] De Toscane (1590-1592), de Venise (1596-1597), de Suisse (1598-1599) et de Gênes (1613-1616).

[2] 1596-1602 et 1613-1619.

[3] 1602-1605.