22 juin

Saint Paulin

Biographie

Saint Paulin naquit à Bordeaux, en une année qui a de grandes chances d'être 353. Paulin appartenait à la plus haute noblesse de l'Empire. Son nom même, selon l'usage, le disait à tous. Nous avons actuellement des formes et des usages qui révèlent la splendeur de la race. Chez les Romains, ces formes n'étaient pas les mêmes, mais elles existaient aussi bien que chez nous. A sa naissance, Paulin fut appelé : Meropius Pontius Anicius Paulinus. Le mot important ici était Anicius. Les Paulins étaient une branche de l'antique gens Anicia, dont le poète Claudien avait dit que ses aïeux se comptaient par des fastes consulaires. Paulin lui-même ne démentira pas la tradition. Il sera consul, lui aussi, comme tant de ses ancêtres. Cette branche de la gens s'était établie, en Aquitaine, à une date que nous ignorons. Ils y possédaient d'immenses domaines, qu'on appelait alors des villas, tout remplir d'esclaves, avec de riches résidences, ornées de mosaïques, de statues innombrables, de marbres races, de très beaux meubles en bois précieux. Les maîtres de ces énormes propriétés vivaient alors dans le luxe et le plaisir en occupant leurs loisirs à la chasse, à la pêche, à de nombreuses réceptions, dans lesquelles, entourés d'amis et de clients, ils discutaient sans fin de littérature ou de politique.

Né dans un tel milieu, Paulin reçût une éducation très soignée. On lui donna pour maître le poète le plus illustre de la région, le célèbre Ausone. Paulin apprit tout jeune à compter des syllabes, à rythmer des phrases avec élégance, à grouper des vocables rares. Il n'oubliera jamais les leçons d'Ausone, et il sera, plus tard, avec Prudence, le meilleur poète chrétien du temps.

Mais cela était pour l'avenir. Paulin n'était pas baptisé. Il ne le sera que dans un âge relativement avancé. Il allait d'abord traverser les honneurs. La mort de son père, en 377, le mit à la tête d'une fortune prodigieuse. Il devint membre d'office du Sénat romain. Dès 378, l'empereur Valens ayant trouvé la mort, à la bataille d'Andrinople, il fallut lui donner, en cours d'année, un successeur dans le consulat. On appelait cela un consul suffectus - consul subrogé. Le choix du Sénat serait tombé sur Paulin, mais c'était l'empereur Gratien qui avait seul le droit de faire cette nomination. Justement Gratien avait pris comme conseiller l'ancien précepteur de Paulin, Ausone. Gratien nomma donc Paulin, qui fit , dans Rome, une entrée triomphale, et fut conduit en grande pompe au Capitale, tandis que d'immenses largesses tombaient, par ses ordres, sur la plèbe romaine.

Il ne resta consul, selon l'usage, que jusqu'à la fin de l'année courante. Puis, il devint gouverneur de Campanie, où il possédait de vastes propriétés, comme en Aquitaine. Ce fut pendant son séjour en Campanie qu'il fut touché par la grâce, au sanctuaire de saint Félix de Nole, en 379. Mais cette conversion ne fut qu'un début. Il ne se pressa pas de se faire instruire, ni de se faire baptiser. Après une année en Campanie, il revint à Bordeaux, et se maria. Sa femme, nommée Terasia, appartenait à une très riche famille espagnole.

Paulin a connu alors ce qu'on nomme le bonheur humain. Il aurait pu poursuivre jusqu'à sa mort une vie paisible, honnête, charitable, mais fastueuse et somme toute presque banale. Mais Dieu avait sur lui d'autres pensées. Il fut touché par l'épreuve et son destin en fut entièrement changé et ennobli. Il perdit un fils. Il fut englobé dans une tragédie obscure, où la calomnie le déchira sans pitié, mais non sans péril pour sa vie même. Il vit alors le néant des choses. Il fut dégoûté des richesses qui ne font qu'exciter les jalousies et les haines. Il se tourna vers le Christ, en qui, déjà, il avait foi. Il se retira de tout, il s'adonna à la méditation, à la prière, se plongea dans l'étude des Écritures. Bientôt sa résolution fut prise et devint irrévocable. D'accord avec son épouse, il fut entendu qu'il la traiterait comme une sœur aimée, que toute leur fortune serait distribuée aux pauvres, que les domaines seraient vendus, que le dépouillement de tout ce qui n'est que terrestre serait complet. Cela ne pouvait se faire sans soulever dans tout l'empire une émotion et une admiration générales. C'est à l'enthousiasme suscité par de tels exemple, dans le peuple, qu'il faut attribuer l'élévation de Paulin au sacerdoce.

Il avait été baptisé, à Bordeaux, par son évêque, saint Delphin, en 389, deux ans après Augustin. Et dès 392, il devenait prêtre. Mais ordonné à Barcelone, le pays de sa femme, il s'empressa d'achever la liquidation de ses propriétés, pour venir s'installer à Nole, en Campanie, auprès de ce tombeau de saint Félix, où il avait trouvé la foi. Au cours des années fécondes, qui s'écoulèrent de 379, date de sa conversion, à 394, date de son installation à Nole, Paulin avait noué des relations épistolaires avec les personnages les plus saints de son temps : Martin, évêque de Tours, et thaumaturge renommé. Sulpice-Sévère, ami de Martin et son futur biographe, Ambroise de Milan, Victrice de Rouen. Quand il fut établi à Nole, ces relations continuèrent, au moins jusqu'à la mort des intéressés. Mais d'autres s'y ajoutèrent : lettres à Delphin de Bordeaux, à Augustin d'Hippone, à Alypius, ami d'Augustin, à Jérôme, exégète incomparable retiré à Bethléem. Des messagers parcouraient l'empire et partaient de Nole ou y revenaient leur mission accomplie. Les restes de sa fortune, Paulin les employait à ses études, à sa correspondance pieuse, à la charité surtout. Il avait fondé un hospice à Nole et il y vivait, dans la pauvreté volontaire et la pénitence, parmi les pauvres et les vieillards.

Chaque année, pour la fête de saint Félix, au 14 janvier, Paulin limait avec tendresse un poème à l'honneur du saint et ces panégyriques annuels de saint Félix, en vers, sont la part principale de l'œuvre poétique, parvenue jusqu'à nous. Poèmes et lettres, c'est tout cela qui représente pour nous l'héritage littéraire du saint.

Comme poète, il est bien le disciple d'Ausone en ce qu'il a le vers facile, élégant, gracieux. Paulin est moins original, moins coloré, moins vivant que son contemporain, le poète chrétien Prudence, mais il a du charme et de la douceur. Ses pièces sont courtes, car il manque de souffle, mais agréables, car il a beaucoup de cœur.

Étant donnés les usages du temps, il était à peu près inévitable que Paulin devint évêque. Il avait été ordonné prêtre, sous la contrainte du peuple, il fut sacré évêque, à Nole, cette fois, à peu près de la même manière. Mais il n'eut rien à changer à sa vie. Il continua à résider dans son hospice, à y lire et relire les Écritures, à y répandre des aumônes et des bienfaits de toute nature, sur tous ceux qui l'approchaient, à entretenir des rapports épistolaires avec les grands évêques de son siècle.

Sa fonction épiscopale consista surtout à déverser sur son peuple, sous forme d'homélies, sa science des Saintes Lettres.

Devenu évêque en 409, il ne devait mourir qu'en 431, un an après Augustin d'Hippone. Sa mort nous a été racontée par le prêtre Uranius. Il avait reçu la visite, in extremis, de deux évêque ses voisins. Il s'entretint avec eux dans un langage angélique et divin, puis il leur demanda de célébrer les saints mystères, au pied de son lit. Soudain il se mit à dire : A présent, je veux parler à mes frères Janvier et Martin, qui tout à l'heure, s'entretenaient avec moi, et qui m'ont annoncé qu'ils n'allaient pas tarder à revenir !

C'étaient saint Janvier, évêque de Naples, et saint Martin, évêque de Tours, qui venaient à sa rencontre, pour le conduire au ciel. Paulin passa cette dernière journée dans la prière. Le soir, il étendit les bras et prononça d'une voix lente : Paravi lucernam Christo meo, Domine, decantavi ! - J'ai préparé ma lampe pour le Christ, ô Seigneur, j'ai achevé de chanter ! ...

Il était dix heures du soir. Tout à coup, un violent tremblement de terre ébranla la cellule où expirait Paulin. Tous ceux qui l'entouraient tombèrent à genoux, épouvanté. Au dehors, cependant nul n'avait ressenti le séisme. Ce fut en cet instant que le pieux évêque rendit l'âme. Quelle mort et quelle entrée dans la vraie vie ! ...