21 mai

Saint Eugène de Mazenod

Biographie

Charles-Joseph-Eugéne de Mazenod naquit le premier août 1782, à Aix-en-Provence ; sa famille qui était de la petite noblesse[1], paraissait pouvoir lui assurer une brillante carrière et une certaine aisance, ce que les bouleversements de la révolution française allaient changer pour toujours. Eugène n'avait encore que huit ans quand sa famille dut fuir la France en abandonnant ses biens derrière elle. La famille commençait alors un long et pénible exil qui allait durer onze ans.

La famille de Mazenod partit en exil en Italie, passant d'une ville à une autre. Le père fut contraint de s'adonner au commerce pour faire vivre sa famille. Il se montra si peu habile en affaire qu'au bout de quelques années sa famille était proche de la détresse. Eugène étudia quelque peu au Collège des Nobles à Turin mais l'obligation de partir pour Venise allait marquer pour lui la fin d'une fréquentation scolaire normale. Les frontières italiennes n'étaient plus sûres devant les troupes françaises conquérantes. Le 2 mai 1794, Eugène prit place avec toute sa famille et de nombreux émigrés, sur une barque frétée par son père. En suivant le cours du Pô, puis par les canaux, les rivières, les lagunes, ils arrivèrent à Venise[2]. Tous les matins, il lui servait la messe dans l'église paroissiale de Saint-Sylvestre. Il lia ainsi connaissance avec le curé, l'abbé Milesi, qui devait devenir évêque de Vigevano et mourir patriarche de Venise. Ce fut son confesseur tous les samedis. Le saint prêtre aimait le pieux enfant auquel il venait délicatement en aide ; il le fit admettre dans une famille patriarcale et chrétienne, celle des Zinelli, laquelle comprenait avec la vénérable mère, Donna Camilla Brigheriti, six enfants, dont un diacre et un prêtre, don Bartolo Zinelli, qui devait mourir jésuite à Rome, et en odeur de sainteté. Ce fut le maître et le directeur d'Eugène. Don Bartolo donna à Eugène une éducation fondamentale imprégnée du sens de Dieu et du désir d'une vie de piété qui devaient l'accompagner pour toujours malgré les hauts et les bas de son existence[3].

Deux ans plus tard, il dut partir pour Naples où il connut une période d'ennui doublée d'un sentiment d'impuissance. La famille changea de nouveau, et cette fois se rendit à Palerme, où grâce à la bonté du Duc et de la Duchesse de Cannizzaro, Eugène goûta pour la première fois à la vie de la noblesse qu’il trouva agréable[4]. ll prit le titre de « Comte de Mazenod », s'initia aux habitudes de cour et se mit à réver à un brillant avenir.

En 1802, à l'âge de vingt ans, Eugène put retourner dans son pays où ses illusions s'évanouirent rapidement. La France avait beaucoup changé. Ses parents s'étaient séparés. Sa mère essaya de récupérer le patrimoine familial. Elle était aussi très préoccupée de marier Eugène à une plus riche héritière. Il devint pessimiste face à l'avenir qui s'offrait à lui. Mais son souci spontané des autres, joint à la foi qu'il avait développée à Venise commencèrent à s'affirmer. Il fut profondément peiné par la situation désastreuse de l'Eglise de France qui avait été provoquée, attaquée et décimée par la révolution. L'appel au sacerdoce commença à se manifester en lui et Eugène répondit à cet appel. En dépit de l'opposition de sa mère[5], il entra au séminaire Saint-Sulpice à Paris, en octobre 1808 ; il fut ordonné prêtre à Amiens, par Mgr de Mandolx, le 21 décembre 1811.

Revenant à Aix-en-Provence, il ne prit pas la charge d'une paroisse, mais commença à exercer son ministère en se souciant tout spécialement d'aider spirituellement les plus pauvres : les prisonniers, les jeunes, les employés, les gens des campagnes. Souvent, Eugène fut en butte à l'opposition du clergé local. Mais bientôt il trouva d'autres prêtres également remplis de zèle et prêts à sortir des sentiers battus. Eugène et ses compagnons prêchèrent en provençal, le langage courant chez leurs auditeurs et non dans le français des gens instruits. Ils allaient de village en village, enseignant le « petit peuple » et passant de longues heures au confessionnal. Entre ces « missions paroissiales », le groupe se retrouvait pour une intense vie communautaire de prière, d'étude et de fraternité. Ils s'appelaient « Les Missionnaires de Provence. » Pour assurer la continuité de l'Oeuvre, Eugène entreprit d'en appeler au Pape pour de lui demander que son groupe fût reconnu comme congrégation de droit pontifical.

Sa foi et sa persévérance portèrent des fruits et c'est ainsi que le 17 février 1826, le pape Léon XII approuvait la nouvelle congrégation sous le nom d' « Oblats de Marie Immaculée. » Eugène fut élu supérieur général et il continua d'inspirer et de guider ses membres pendant encore trente-cinq ans, jusqu'à sa mort. Le nombre des œuvres allait croissant : prédications, confessions, ministère auprès des jeunes, responsabilité de sanctuaires marials, visites de prisons, directions de séminaires, charges de paroisses. Dans leur accomplissement, Eugène insista toujours sur la nécessité d’une profonde formation spirituelle et d'une vie communautaire intense. Il aimait Jésus-Christ avec passion et il était toujours prêt à assumer un nouvel engagement s'il y voyait une réponse aux besoins de l'Eglise. La « gloire de Dieu, le bien de l'Eglise et la sanctification des âmes » étaient à la source de son dynamisme intérieur.

Le diocèse de Marseille avait été supprimé après le Concordat de 1802. Quand il fut rétabli, c'est le vieil oncle d'Eugène, le chanoine Fortuné de Mazenod (1749-1840), qui y fut nommé évêque. Aussitôt, le nouvel éveque appela Eugène comme vicaire général et c'est ainsi que le chantier immense de la reconstruction du diocèse lui incomba. Après quelques années, en 1832, Eugène lui-même fut nommé évêque auxiliaire de son oncle. Son ordination épiscopale eut lieu à Rome le 14 octobre 1832. Ce fut considéré comme un défi au gouvernement français qui prétendait avoir le droit de confirrner de telles nominations. Il s'en suivit une bataille diplomatique serrée dont Eugène fut le centre : accusations, incompréhensions, menaces et récriminations. Ce fut une période douloureuse pour lui, douleur accrue encore par les diff'cultés croissantes de sa propre famille regieuse. Cependant, il garda fermement le cap et finalement les affaires s'apaisèrent. Cinq ans plus tard, quand son oncle se retira, il fut nommé évêque de Marseille et prit possession le 24 décembre 1837.

Bien qu'il eût fondé les Oblats de Marie Immaculée pour apponer d'abord les services de la foi aux pauvres des campagnes de France, le zèle d'Eugène pour le Royaume de Dieu et son amour pour l'Eglise amenèrent les Oblats à la pointe de l’apostolat missionnaire. Ceux-ci s'installèrent en Suisse, en Angleterre et en Irlande. En raison de son zèle, Eugène fut regardé comme un « second Saint Paul. » Des évêques missionnaires vinrent lui demander d'envoyer des Oblats dans leur champ apostolique en expansion. Malgré le petit nombre des membres de son Institut, Eugène répondit génereusement. Il envoya ses hommes au Canada, aux Etats-Unis, à Ceylan, en Afrique du Sud et au Basutoland. Missionnaires à sa manière, ils se répandirent en prêchant, baptisant, apportant à tous leur soutien. Fréquemment, ils s'installèrent dans des terres ignorées, établirent et dirigèrent de nouveaux diocèses et de multiples façons ils « osèrent tout pour faire avancer le Règne de Dieu. » Pendant les années qui suivirent, l'élan missionnaire s'est poursuivi de sorte qu'aujourd'hui l'esprit d’Eugène de Mazenod est bien vivant dans soixante-huit pays.

Dans ce bouillonnement d'activités misslonnaires, Eugène se révélait comme l'éminent pasteur du diocèse de Marseille. Il assurait la meilleure formation à ses prêtres, établissait de nouvelles paroisses, construisait une nouvelle cathédrale ainsi que, dominant la ville, la spectaculaire basilique de Notre-Dame-de-la-Garde. Il encourageait ses prêtres à devenir des saints, invitait un grand nombre de communautés religieuses à travailler dans son diocèse et prenait la tête de l'ensemble des évêques français pour appuyer le Pape dans ses droits. Il devint une figure reconnue de l'Eglise de France. En 1856. Napoléon III le nommait sénateur, et à sa mort il était le doyen des évêques de France.

Le 21 mai 1861, Mgr Eugène de Mazenod retournait vers Dieu à l'âge de soixante-dix-neuf ans. Ainsi se terminait une vie riche de réalisations dont plusieurs avaient été portées dans la souffrance. Pour sa famille religieuse et pour son diocèse, il avait été à la fois point d'appui et inspiration ; pour Dieu et l'Eglise, il avait été un fils fidèle et généreux. Au moment de sa mort il laissa une ultime recommandation : « Entre vous pratiquez bien la charité. La charité, la charité et dans le monde, le zèle pour le salut des âmes. » En le canonisant, le 3 decembre 1995, l'Eglise mit en valeur ces deux traits de sa vie : l'amour et le zèle. Sa vie et ses œuvres demeurent pour tous une ouverture sur le mystére de Dieu lui-même.



[1] Famille de souche lyonnaise établie à Marseille au XVI° siècle. Eugène est le fils de Charles-Antoine de Mazenod (1745-1820), président de chambre à la Cour des Comptes du Parlement d'Aix, et de Marie-Rose de Joannis (1760-1851).

[2] « Venise, écrira Eugène, cette reine des mers, majestueusement assise au centre de ces eaux, d'où jadis elle rendait tributaire le commerce de toutes les nations. La République antique vivait encore, mais elle était sur son déclin, et elle s'éteignit bientôt sous nos yeux. »

[3] « O bienheureux Zinelli, écrira, près de cinquante ans plus tard, Mgr de Mazenod en revoyant Venise, que serais-je devenu sans vous ? Quelles actions de grâces ne dois-je pas à Dieu pour m'avoir ménagé la connaissance et l'affection d'un si saint personnage ! Passer près de quatre ans, et précisément les années les plus dangereuses, sous la direction et dans l'intimité d'un saint veritable, qui, inspiré par la charité la plus affectueuse, non seulement s'était imposé la tâche de m'instruire dans les belles-lettres, mais qui me façonna à la vertu autant par ses exemples que par ses préceptes ! J'étais le Benjamin de toute sa famille ; c'était à qui me témoignerait le plus d'affection. »
« C'est à l'école de ce saint prêtre que j'ai appris à mépriser les vanités du monde et à goûter les choses de Dieu. Eloigné de toute dissipation, de tout contact avec les jeunes gens de mon âge, je ne pensais seulement pas à ce qui fait l'objet de toutes leurs convoitises. »

[4] Il me prirent l’un et l’autre en grande affection, et il paraît qu’ils s’estimèrent heureux de donner à leurs deux fils qui étaient à peu près de mon âge, un compagnon qui pût devenir leur ami et leur offrir l’exemple d’une bonne conduite, chose rare, hélas ! sorte de phénomène dans un pays comme le leur. » 

[5] « Quelle est donc la pensée qui vous agite, ma bonne maman, et comment, après tout ce que nous avons dit, écoutez-vous encore les mauvaises insinuation que le malin esprit tâche d’introduire dans votre cœur au sujet de ma vocation à l'état ecclésiastique ? Eh ! bon Dieu, le Seigneur n'est-il pas le maître de ses créatures et que sommes-nous pour oser lui résister ? Si jamais vocation a été éprouvée, ç'a certainement été la mienne. Je vous ai donné tant et de si bonnes raisons, que je crois tout à fait inutile de revenir là-dessus. Je croyais que vous aviez fait votre sacrifice, poussée à cela par vos sentiments religieux, mais que dis-je, sacrifice ? Je vous ai prouvé, comme deux et deux font quatre, que bien loin de faire le moindre sacrifice votre tendresse gagne prodigieusement par mon entrée dans l'état ecclésiastique. Je vous conjure de ne point vous faire de monstres pour avoir le plaisir de les combattre ! Quelle illusion de croire que je puisse me sanctifier dans un état où Dieu visiblement ne me veut pas ! Une fois pour toutes, voyez donc les choses comme elles sont. Vous ne vous tirez pas de cette idée que je pourrais tranquillement me sanctifier en étant laïque. Cela est faux, puisque, je vous le répète, on ne se sanctifie que dans l’état où Dieu nous veut. »

« Ah ! ma chère maman, si vous vous pénétriez bien d’une grande vérité : que les âmes rachetées par le sang de l'Homme-Dieu sont si précieuses que quand même passés, présents et avenirs emploieraient, pour en sauver une seule, tout ce qu'ils ont de talents, de moyens et de vie, ce temps serait bien et admirablement employé ; bien loin de gémir de ce que votre fils se consacre à ce divin ministère, vous ne cesseriez de bénir Dieu de ce que dans sa miséricorde, il m'a bien voulu appeler à une si haute faveur par une vocation qui vient si visiblement de lui. »