Jeudi Saint

Première lecture

Lecture du livre de l'Exode (XXII 1-8 & 11-14)

Dans le pays d'Egypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron[1] : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l'année[2]. Parlez ainsi à toute la communauté d'Israël : le dix de ce mois, que l'on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle prendra avec elle son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l'agneau d'après ce que chacun peut manger. Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d'un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour du mois. Dans toute l'assemblée de la communauté d'Israël, on l'immolera au coucher du soleil[3].

On prendra du sang que l'on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera[4]. On mangera sa chair cette nuit-là[5], on la mangera rôtie au feu[6], avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c'est la Pâque du Seigneur. Cette nuit-là, je traverserai le pays d'Egypte, je frapperai tout premier-né au pays d'Egypte, depuis les hommes jusqu'au bétail. Contre tous les dieux de l'Egypte j'exercerai mes jugements : je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les  maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai[7] : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d'Egypte[8]. Ce jour-là sera pour vous un mémorial[9]. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C'est une loi perpétuelle : d'âge en âge vous la fêterez.[7] »


Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Dans l'ancienne tradition, Aaron est le porte-parole de Moïse qu’il accompagne dans la guerre ou sur le Sinaï, l'assistant de sa parole et de ses prodiges, le remplaçant en cas d'absence. Il meurt après le départ de Cadès, à Hor la montagne ou à Moséroth. La tradition dit aussi qu’Aaron est fils d'Aram et de Jokabed, frère aîné de Moïse. De sa femme, Elisabeth, il a quatre enfants : Nadab, Abiu, Eléazar et Ithamar. Il est le premier grand prêtre et l'éponyme de la caste sacerdotale (les fils d'Aaron).

[2] Le temps du sacrifice pascal marque le début de l’année, le premier mois. Car le Christ est le principe de tout (Colossiens, I 18) : il n'est pas récent (Psaume LXXXI 10), celui qui naît de Dieu avant tous les siècles ; et c'est lui qui sanctifie toutes choses à travers les temps, depuis le commencement jusqu'à la fin, et particulièrement en cette fête qui marque le premier mois. Il fait « toutes choses nouvelles » (II Corinthiens, V 17) : la nature humaine refleurit dans le Christ : en lui elle redevient ce qu'elle était au commencement (saint Cyrille d’Alexandrie : commentaire du livre de l’Exode, LXIX).

[3] Tout ce que voulait signifier cet agneau devient parfaitement clair quand Jean-Baptiste montre le Christ du doigt : « Voici l'Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jean, I 36). Jean-Baptiste qui est « la lampe ardente et brillante » (Jean, V 35), éclaire pour nous ce « soir » où la multitude des fils d'lsraël immola, en sacrifice rituel, I'agneau. Tout ce que l'on fit alors dans les ténèbres se montre maintenant sous le vrai jour, la vraie lumière. Tout est resplendissant, tout est plein de la sagesse divine (…) L'Agneau véritable pourvut lui-même à tous les détails de sa propre immolation, et les prescrivit dans l'agneau figuratif. Au premier mois, au dixième jour du mois (où chaque maison, suivant la Loi, « prenait un agneau »), il entra dans la sainte Cité de Jérusalem sous les acclamations de la foule et pendant le temps exact où l'on « gardait » l’agneau, suivant la Loi, lui-même demeura aux alentours de la Cité et du Temple (…) Enfin le quatorzième jour, vers le soir, quand il mangea avec ses disciples l'agneau de l'ancienne Pâque, alors l'Agneau du nouveau sacrifice, qui allait être conduit à l'immolation, qui déjà agonisait dans l’angoisse de sa Passion, s'offrit en sacrifice au Père, de ses propres mains : il prit le pain et le vin, et par un étonnant pouvoir de consécration, le changea dans le sacrement de son corps et de son sang (Rupert de Deutz : « De Trinitate », CLXVII).

[4] Ce sang, on en met sur les deux montants de la porte lorsqu'on ne l'absorbe pas seulement par la bouche, mais aussi par le cœur. On met le sang de l'agneau sur les deux montants de la porte quand, recevant pour son salut le sacrement de la Passion du Seigneur, on pense aussi de tout son esprit à l'imiter. Car celui qui reçoit le sang de son Redempteur sans vouloir pour autant imiter sa Passion ne met ce sang que sur un seul montant, quand il lui faudrait en mettre aussi sur le linteau de la porte des maisons. Les maisons, au sens spirituel, ne signifient-elles pas nos esprits, que nous habitons par la pensée ? Et le linteau de telles maisons, c'est la volonté qui préside à notre action. Ainsi, celui qui applique sa volonté et sa pensée à imiter la Passion du Seigneur met le sang de l'agneau sur le linteau de sa maison. A moins que nos maisons ne soient nos corps eux-mêmes, en lesquels nous habitons tant que nous vivons : nous mettons le sang de l'agneau sur le linteau de la maison lorsque nous portons sur notre front la croix de sa Passion (saint Grégoire le Grand : homélie XXII sur les évangiles, 7).

[5] Dieu ordonne aussi que la chair soit mangée « pendant cette nuit », c'est-à-dire pendant ce siècle qui est le nôtre, et dont saint Paul écrit : « La nuit a précédé, mais le jour approche » (Romains, XIII 12). Le « jour » dont il parle est le siècle futur, illuminé par le Christ. On mangera donc la chair en ce siècle, ce qui veut dire : pendant que nous sommes dans cette vie, nous communions au Christ par sa sainte chair et son sang précieux, mais quand nous arriverons au jour de sa puissance et de sa gloire, comme dit le psaume, quand nous monterons Jusqu'à la clarté des saints, alors nous serons sanctifiés d'une autre manière, que connaît le dispensateur des biens futurs (saint Cyrille d’Alexandrie : commentaire du livre de l’Exode, LXIX).

[6] Ses chairs doivent être rôties au feu : dans une cuisson à l'eau, les chairs se délitent sous l'action du feu, tandis qu'elles se raffermissent si elles sont grillées au feu sans eau. Elles ont bien été grillées au feu, les chairs de notre Agneau, car c'est la véhémence même de sa Passion qui lui a conféré plus de puissance en sa Résurrection et l'a rendu plus ferme en son incorruptibilité. Les chairs de celui qui fut revigoré par la mort ont donc été raffermies par le feu. C'est pourquoi le psalmiste afffirme : « Ma force s'est desséchée comme un tesson de poterie » (Psaume XXII 16). Avant de passer au feu, le tesson de poterie n'est que de la terre molle. C'est le feu qui le solidifie. Ainsi, la vertu de l'humanité du Seigneur s'est desséchée comme un tesson, puisque le feu de la Passion lui a communiqué une vertu d'incorruptibilité (saint Grégoire le Grand : homélie XXII sur les évangiles, 7).

[7] L'immolation de l'agneau est le salut d'Israël ; sa mort devient la vie du peuple, et le sang inspire à l'ange de la crainte. Dis-moi, ange, que crains-tu donc ? L'immolation de l'agneau ou la vie du Seigneur, la mort de l'agneau ou la figure du Seigneur, le sang de l'agneau ou l'Esprit du Seigneur ? Evidemment, tu crains parce que tu vois le mystère du Seigneur s'accomplir dans l’agneau, la vie du Seigneur dans l'immolation de l’agneau et la figure du Seigneur dans la mort de l'agneau. Voilà pourquoi tu n'as pas touché Israël mais tu as privé l'Egypte, seule, de ses enfants. Mystère inouï : l’Egypte frappée pour sa perte et Israël protégé pour son salut ! (...) Emmené comme un agneau, immolé, le Christ nous a rachetés de la servitude du monde, comme de la terre d’Egypte ; il nous a libérés de l'esclavage du démon, comme de la maison de Pharaon ; il a marqué nos âmes du sceau de son Esprit et les membres de notre corps de son sang. Il a couvert la mort de honte et mis le diable dans le deuil, comme Moïse le fit pour Pharaon. Il a frappé l'iniquité et privé l'injustice de postérité, comme Moïse le fit envers l’Egypte. C'est lui qui nous a arrachés de l’esclavage pour la liberté, des ténèbres pour la lumière, de la mort pour la vie, de la tyrannie pour une royauté éternelle. Il a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple à part, pour toujours (Méliton de Sardes : homélie sur la Pâque).

[8] Ce que dit l'Ecriture des Israélites sortant d’Egypte a été raconté comme une figure des baptisés ; car les premiers-nés des Israélites furent sauvés, tout comme le corps des baptisés, la grâce étant accordée à ceux qui sont marqués du sang. Car le sang de l'agneau figurait le sang du Christ, les premiers-nés figuraient l'homme qui fut créé le premier(…) nous mourons tous en Adam, et la mort a régné jusqu'à la consommation de la Loi et à l'avènement du Christ. Les premiers-nés furent préservés par Dieu pour que l'Exterminateur ne les touchât pas : cela signifie que nous ne mourons plus en Adam, nous qui avons été vivifiés dans le Christ (saint Basile : « Traité du saint-Esprit », XVII).

[9] Dans le sens de l'Ecriture Sainte le mémorial n'est pas seulement le souvenir des événements du passé, mais la proclamation des merveilles que Dieu a accomplies pour les hommes (Exode, XIII 3). Dans la célébration liturgique de ces événements, ils deviennent d'une certaine façon présents et actuels. C'est de cette manière qu’Israël comprend sa libération d’Egypte : chaque fois qu'est célébrée la Pâque, les événements de l'Exode sont rendus présents à la mémoire des croyants afin qu'ils y conforment leur vie. Le mémorial reçoit un sens nouveau dans le Nouveau Testament. Quand l'Eglise célèbre l'Eucharistie, elle fait mémoire de la Pâque du Christ, et celle-ci devient présente : le sacrifice que le Christ a offert une fois pour toutes sur la Croix derneure toujours actuel (Hébreux, VII 25-27) : « Toutes les fois que le sacrifice de la Croix par lequel le Christ notre Pâque a été immolé se célèbre sur l'autel, l'œuvre de notre rédemption s'opére » (Vatican II : « Lumen Gentium », 3). Parce qu'elle est mémorial de la Pâque du Christ, l’Eucharistie est aussi un sacrifice. Le caractère sacrificiel de l'Eucharistie est manifesté dans les paroles mêmes de l'institution : « Ceci est mon Corps qui va être donné pour vous » et « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon Sang, qui va être versé pour vous » (Luc, XXII 19-20). Dans l'Eucharistie le Christ donne ce corps même qu'II a livré pour nous sur la Croix, le sang même qu'II a « répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Matthieu, XXVI 28). L'Eucharistie est donc un sacrifice parce qu'elle représente (rend présent) le sacrifice de la Croix, parce qu'elle en est le mémorial et parc qu'elle en applique le fruit (« Catéchisme de l’Eglise catholique », deuxième partie, deuxième section, chapître premier, article 5, 1363-1366).

[7] Il est à la fois nouveau et ancien, le mystère de la Pâque, il est éternel et provisoire, corruptible et incorruptible, mortel et immortel : ancien selon la loi, nouveau selon le Verbe ; provisoire par la figure, éternel par la grâce ; corruptible par l'immolation de l'agneau, incorruptible par la vie du Seigneur ; mortel par l’ensevelissement, immortel par la résurrection. Vraiment ancienne est la Loi, mais nouveau le Verbe : provisoire la figure, mais éternelle la grâce ; corruptible l'agneau, mais incorruptible le Seigneur, lui qui fut immolé comme un agneau, mais qui ressuscita comme Dieu (…) La figure s'en est allée, mais la Vérité reste présente, puisqu'à la place de l'agneau, c'est Dieu qui est venu ; et à la place de la brebis, un homme ; et dans cet homme, le Christ qui contient tout. Ainsi l'immolation de l'agneau, le rite de la Pâque, la lettre de la loi ont abouti au Christ Jésus, en prévision de qui tout s'est produit dans la loi ancienne et, plus encore, dans l'ordre nouveau. Car la Loi est devenue Verbe, et l’ancien est devenu nouveau, et le commandement est devenu grâce, et la figure Vérité, et l'agneau Fils, et la brebis homme, et l'homme Dieu (Méliton de Sardes : homélie sur la Pâque).